« Oh mais c’est tellement boooon ! ». Derrière le passe, Alessandra s’enthousiasme en goûtant la sauce piment-kumquat préparée par Juan, son second.

Des compliments à son équipe, des « Je suis tellement contente de te voir », de la musique et des rires, il y en aura une foule, le temps du repas qu’elle prépare pour nous dans la cuisine pas encore inaugurée de son restaurant flambant neuf.

Face à la crise

On se demande comment elle parvient à maintenir le cap de l’allégresse tant la situation est grave.

Les aides de l’État, elle n’y a pas droit puisque son restaurant n’a jamais ouvert. Elle n’est donc pas officiellement en cessation d’activité. « J’en suis à 40 000 € pris sur mes économies, pour acheter le matériel, faire les travaux, sans rentrée d’argent. Je n’ai plus rien, mais tant pis, c’est la vie. »

Tant pis ? Pas le genre de la maison. Peu de temps avant de fermer son adresse précédente, Tempero, dans ce 13e arrondissement aussi et dont l’activité était ralentie par les grèves et les manifestations, elle a, pour éviter de licencier une personne de son équipe, préféré arrêter de se verser un salaire et chercher un deuxième travail.

Son engagement en cuisine

Elle est ainsi devenue directrice générale d’un laboratoire dans l’Orne, spécialisé dans la phytothérapie et les compléments alimentaires.

On peine à le croire. « Je sais bien m’entourer. Et puis, quand on arrive à manager quatre personnes dans une cuisine de 2 m2 comme je l’ai fait chez Tempero, on n’a plus peur de rien ! »

Ce qu’Alessandra ne mentionne pas, c’est que l’une des premières choses qu’elle a mises en œuvre au labo, c’est de collaborer avec une association qui fait travailler des personnes en situation de handicap.

Pas plus qu’elle ne prend les devants pour évoquer tout ce qu’elle fait « à côté » du restaurant : les repas pour les précaires, l’engagement aux côtés de l’association Hello Ernest, qui finance des actions d’aide alimentaire.

Une équipe « légère, enthousiaste, optimiste »

Elle est intarissable sur son équipe en revanche : « Légère, enthousiaste, optimiste ».

Il y a donc Juan Solano, le second – et associé – arrivé comme commis chez Tempero, originaire du Costa Rica, passionné de bières artisanales, dont l’arrière-grand-père était le cuisinier du roi d’Espagne.

On veut mettre de la gentillesse et de la simplicité dans le service

Sandra Sfeir, la cheffe pâtissière libanaise, qui prépare d’aériens délices, Aurélien Gil-Artagnan, né au Brésil, son alter ego en salle, sommelier passionné qui veille sur tout et pas uniquement sur les vins, passé par les plus grandes maisons, dont il a gardé le meilleur. « On veut mettre de la gentillesse et de la simplicité dans le service. Au client régulier, on offre le café, on veille à ce qu’il ait des surprises au menu. S’il nous reste du pain en fin de repas, on le distribue aux clients. »

Des plats bios et élégants

L’art de mêler la précision des grandes tables et le sens du partage. Un restaurant comme une invitation dans la famille Montagne. Nosso, « le nôtre » en brésilien.

L’amour pour la terre, les produits, les hommes et les femmes qui la cultivent reviennent aussi dans la bouche de celle qui a transformé pendant le premier confinement son appartement en point relais pour les producteurs.

Je travaille avec des personnes que je respecte, qui comptent pour moi et sur moi

« Je travaille avec des personnes que je respecte, qui comptent pour moi et sur moi. » Elle rentre de Zone Sensible, la dernière ferme maraîchère encore en activité aux portes de Paris, à Saint-Denis, au pied des tours, les bras chargés de choux pointu, romanesco, kale, cultivés en bio, dont une large part est distribuée gratuitement aux habitants de la commune.

C’est cette déclinaison de choux, avec un peu de volaille en garniture – et non l’inverse – qu’elle cuisine pour nous, dans une élégante simplicité qui cache un sacré travail. Les sauces et les jus sont redoutables.

Elle cuisine comme elle est, Alessandra, c’est d’une grande générosité sans être démonstratif. « On m’a souvent reproché de vouloir trop en mettre dans l’assiette, en quantité mais aussi en propositions de saveurs. Ça doit être mon tempérament, le Brésil qui ressort, mais je me suis un peu calmée. »

Rien à la poubelle

On l’entend parler d’une saucisse végétale. Véridique, elle transforme en saucisse ce qui n’est pas invité sur les assiettes des clients. Feuilles de chou pas assez jolies, parures de volaille, pain rassis : direction le poussoir (machine à faire les saucisses).

À la ferme, on ne jetait rien

La peau des topinambours ? Déshydratée, transformée en chips ou poudre. « Quand j’achète du cochon, je le prends entier et je ne jette rien, sauf les os, après avoir préparé une sauce avec. »

Il y a bien une poubelle dans la cuisine, mais elle demeure quasiment vide. C’est à cette aune-là que l’on peut se permettre de continuer de manger de la viande, de façon responsable.

Une vie qui ne l’a pas épargnée

« À la ferme, on ne jetait rien. » La ferme originelle, le lieu de son enfance, était celle de ses grands-parents dans le Minas Gerais. On y produisait du café. On n’avait pas l’eau courante, il fallait la filtrer.

La vie ne l’a pas beaucoup épargnée. Le père avait disparu et la mère ne pouvait pas s’occuper d’elle.

Enceinte à 16 ans, Alessandra a été mariée de force, puis les violences conjugales, les voisins qui ne voient pas. Personne pour l’aider. Elle sauve sa peau en partant pour la France retrouver sa mère et son beau-père.

Ce dernier l’aide autant qu’il le peut, elle fait des ménages, s’inscrit à La Sorbonne en Français langue étrangère (FLE) puis à l’école hôtelière Jean-Drouant, à Paris, par passion.

« Tout ce que j’ai fait, c’est pour mon fils qui a aujourd’hui 26 ans (elle a eu une fille depuis, ndlr). Travailler, me battre pour le faire venir. Je ne peux pas flancher, je n’ai jamais pu. Vous êtes un peu gâtés, vous, en France, vous ne vous rendez pas toujours compte. »

Tout ce que j’ai fait, c’est pour mon fils

Elle parle encore de sa chance. Parfois son regard se voile un peu, un tremblement affleure, vite secoué par un grand rire et un mot bienveillant. « Dans la vie, il y a de bons moments et d’autres moins bons, mieux vaut les traverser en souriant », disait le grand-père. « J’adore tellement ce que je fais. La cuisine, ce n’est pas qu’un travail, c’est toute ma vie. »

Recette : volaille, chou, sauce Nosso

Les ingrédients pour 4 personnes

  • 1 petite volaille entière
  • sel fin, gros sel
  • 1 petit chou pointu
  • 1 petit chou romanesco
  • 4 feuilles de chou kale
  • 50 g de beurre doux
  • 1 gousse d’ail pelée.

Pour la sauce Nosso

  • 7 g d’ail
  • 12 g de gingembre
  • 20 g de citronnelle détaillée en petits morceaux
  • 75 g de mirin
  • 10 g de sauce huître
  • 25 g de Savora
  • 5 g de sauce soja
  • 25 cl de jus d’orange sanguine (passées à la centrifugeuse si possible)
  • 25 cl de vinaigre blanc
  • 1,5 g d’huile de sésame.

La recette 

Laisser reposer la volaille crue salée au sel fin une nuit au réfrigérateur. La frotter au torchon pour la débarrasser de son sel. La frotter au gros sel avant de la cuire au four dans un plat, à découvert, pendant 2 heures à 130 °C.

Couper le chou pointu et le chou romanesco en quatre dans le sens de la longueur. Les blanchir 5 min à l’eau bouillante puis les plonger dans un bain d’eau glacée. Égoutter et réserver. Faire revenir dans une sauteuse à feu moyen les morceaux de chou dans le beurre doux avec la gousse d’ail.

Sauce Nosso

Mettre tous les ingrédients dans une casserole et laisser cuire à feu moyen pendant 6 heures. Mixer puis passer au chinois. Peut se conserver 3 mois au frais.

À noter : une fois mixée, ne pas jeter la partie solide. Il faut la mettre à sécher une nuit au four à 70 °C, ensuite remixer jusqu’à obtenir une poudre. Ajouter du sel et du piment séché. C’est un mélange génial pour assaisonner la volaille et le poisson.

Dresser chaque assiette avec les morceaux de volaille de votre choix, la sauce Nosso et les morceaux de chou.

Bolo de Fubá (gâteau de maïs), crème au café

Les ingrédients pour 6 personnes

  • 150 g d’huile neutre
  • 4 œufs
  • 300 g de maïs frais mixé
  • 300 g de sucre
  • 250 g de farine de maïs
  • 3 c. à s. de noix de coco râpée (fraîche si possible)
  • 3 c. à s. de lait de coco
  • 50 g de comté 12 mois
  • 1 sachet de levure
  • 1 pincée de sel.

Pour la crème au café

  • 200 ml de crème fleurette
  • 15 g de sucre en poudre
  • 20 g de café en grains

La recette

Tout mettre au mixeur dans l’ordre de la liste des ingrédients. Mixer 3 min, puis ajouter le sachet de levure. Cuire au four à 180 °C pendant 10 min, puis à 170 °C pendant 25 min.

Crème au café

Écraser les grains de café au pilon ou au couteau. En garder une cuillérée à café bombée pour disposer sur la crème. Dans une casserole, chauffer la crème et le café à feu doux jusqu’à ébullition et coloration.

Couper le feu et laisser infuser pendant 30 min. Filtrer et réserver au frais. Monter la crème froide au batteur dans un cul-de-poule ou un saladier froid. Former des quenelles à l’aide d’une cuillère à soupe trempée dans l’eau chaude. Disposer sur chaque assiette. Disposer un peu de grains de café écrasés sur la crème.

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