Absent des listes de pronostics des bookmakers, Abdulrazak Gurnah a reçu ce jeudi le prestigieux
prix nobel de littérature, à la grande surprise des critiques, de son propre éditeur Henrik Celander en Suède, mais aussi de lui-même. Quand l’Académie suédoise a appelé, « j’ai cru à une blague », a confié le lauréat, rapporte l’AFP. 

C’est pourtant bien ce romancier qui a été récompensé, et tout particulièrement son récit « empathique et sans compromis des effets du colonialisme et le destin des réfugiés pris entre les cultures et les continents », ainsi que son « attachement à la vérité et son aversion pour la simplification », a expliqué le jury. Une question qui parcourt toute l’œuvre de cet auteur qui a commencé à écrire « sans aucune idée de plan mais pressé par le désir d’en dire plus ».

« Tombé » dans l’écriture

Né en 1948 à Zanzibar – un archipel situé au large des côtes de l’Afrique de l’Est et qui fait aujourd’hui partie de la Tanzanie —, Abdulrazak Gurnah est venu au Royaume-Uni en 1968 pour y étudier. Dans un article du quotidien britannique The Guardian, publié en 2004, Abdulrazak Gurnah expliquait avoir commencé à écrire à l’âge de 21 ans, peu après son installation en Angleterre. Il a déclaré être « tombé » dans l’écriture, sans l’avoir prévu. « J’ai commencé à écrire avec désinvolture, dans une certaine angoisse, sans aucune idée de plan mais pressé par le désir d’en dire plus », expliquait-il.

Ses trois premiers romans, Memory of Departure (1987), Pilgrims Way (1988) et Dottie (1990), évoquent l’expérience des immigrants dans la société britannique contemporaine. Son quatrième roman, Paradis (1994), se déroule dans l’Afrique de l’Est coloniale pendant la Première Guerre mondiale et avait été retenu dans la sélection du Booker Prize, prix littéraire britannique. Admiring Silence (1996) raconte l’histoire d’un jeune homme qui quitte Zanzibar et émigre en Angleterre où il se marie et devient enseignant. Un retour dans son pays natal 20 ans plus tard trouble profondément son rapport à lui-même et à son mariage.

A la remise de son Nobel ce jeudi, Abdulrazak Gurnah a notamment appelé l’Europe à voir les réfugiés venus d’Afrique comme une richesse. « Beaucoup de ces gens qui viennent, viennent par nécessité, et aussi franchement parce qu’ils ont quelque chose à donner. Ils ne viennent pas les mains vides », a affirmé l’écrivain dans une interview à la Fondation Nobel, appelant à changer de regard sur « des gens talentueux et pleins d’énergie ».

« Des œuvres mélancoliques, désenchantées et superbement incarnées »

Pour l’universitaire Luca Prono, les œuvres de Gurnah sont « dominées par les questions de l’identité et du déplacement et comment elles sont façonnées par l’héritage du colonialisme et de l’esclavage ». « Les récits de Gurnah reposent tous sur l’impact dévastateur que la migration vers un nouveau contexte géographique et social a sur l’identité de son personnage », a-t-il écrit sur le site du British Council.

Près de la mer (2001), récompensé en 2007 par le prix littéraire RFI Témoin du monde, raconte l’histoire de Saleh Omar, un demandeur d’asile âgé vivant dans une ville balnéaire anglaise. « Enracinés dans l’histoire coloniale de l’Orient africain, bruissants de légendes swahilies, servis par une langue ensorceleuse, les récits de Gurnah naviguent entre le conte initiatique, l’exploration des douleurs de l’exil, l’introspection autobiographique et la méditation sur la condition humaine », écrivait en 2010 Abdourahman A. Waberi dans le Monde diplomatique. Gurnah « nous offre des œuvres mélancoliques, désenchantées et superbement incarnées », ajoutait-il, dans cette critique du livre Desertion, publié en France sous le nom Adieu Zanzibar.

Son roman le plus récent, Afterlives a été publié en 2020 et se penche sur la colonisation allemande en Afrique. « Voyager loin de chez soi offre de la distance et de la perspective, ainsi qu’un degré d’amplitude et de libération. Cela rend plus intenses les souvenirs, qui est l’arrière-pays de l’écrivain. » écrivait Abdulrazak Gurnah dans le Guardian. Le romancier vit actuellement à Brighton, dans le sud-est de l’Angleterre et a enseigné la littérature à l’Université de Kent.

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