Dans le bâtiment F de l’hôpital de la Croix-Rousse, à Lyon, le couloir du rez-de-chaussée abrite depuis deux mois un hôpital de jour multidisciplinaire diagnostiquant les personnes souffrant de règles abondantes, aussi appelée ménorragies.
Cet après-midi de février 2022, elles sont quatre, âgées de l’adolescence à la fin de la trentaine, à se succéder, espérant trouver des réponses à leurs questions, et surtout, des solutions.
À leur arrivée, une secrétaire médicale spécialisée en gynécologie leur explique le parcours qu’elles suivront pendant les deux prochaines heures.
Le projet, pensé début 2021, a vu le jour en décembre dernier. Depuis, les Hospices Civils de Lyon accueillent environ cinq patientes chaque vendredi après-midi, et devraient étendre prochainement leurs créneaux.
Une pathologie aux causes diverses
« Le parcours s’inscrit dans l’actualité parce que le 8 mars 2021, l’association Fibrome Info France a lancé une campagne de sensibilisation aux menstruations au fibrome utérin (entraînant des saignements abondants, ndlr). Ce qu’on veut faire comprendre, c’est que cette pathologie va au-delà du médical parce qu’il y a des impacts psychologiques, médico-économiques, sociaux, détaille Flore Matthieu, responsable administrative du pôle de gynécologie-obstétrique-néonatologie des Hospices Civils de Lyon. Quand on a des règles abondantes il y a tout ce qui va avec : l’absentéisme, le coût des protections périodiques, le coût des hospitalisations et des traitements hémorragiques. »
Les causes des règles abondantes sont diverses et peuvent notamment être dues à un polype ou à un fibrome, à de l’adénomyose (endométriose se trouvant à l’intérieur de l’utérus, ndlr), à des maladies hémorragiques ou génétiques, et interviennent plus fréquemment après une grossesse.
Une errance médicale compliquée
À 14h30, Audrey, 37 ans, est la première à sortir de l’hôpital. Documents en main, elle se dit « soulagée » et ravie de la prise en charge : « Tout le monde est accueillant et a la sourire. On m’a expliqué beaucoup de choses. On m’a aussi posé beaucoup de questions. Les problématiques individuelles sont vraiment prises en compte. »
Cette habitante de la région lyonnaise souffre de règles abondantes depuis ses quatorze ans. Audrey a ses règles quasiment en continu et porte en permanence des protections hygiéniques. « J’en ai parlé à mes gynécologues successifs. Ils ont toujours dit que c’était normal et que je devais faire attention de bien prendre ma pilule à la bonne heure chaque jour… J’ai essayé plusieurs pilules, un stérilet, un implant, mais rien ne marchait, donc j’ai laissé tomber et je n’en ai plus parlé », confie-t-elle.
Aucun médecin traitant, ni gynécologue, ne lui a fait d’examen. Le 24 décembre 2021, alors qu’elle s’apprêtait à célébrer Noël en famille, la trentenaire souffrant de règles trop douloureuses doit annuler. C’est en lisant des témoignages similaires sur des forums et en naviguant sur Internet qu’elle a trouvé des informations sur ce nouvel hôpital de jour.
Visiblement souriante derrière son masque chirurgical, Audrey explique avoir posé une demi-journée de congé pour ce rendez-vous. Pour la première fois en plus de vingt ans, elle repart avec une ordonnance pour un traitement qui devrait atténuer ses règles.
Un circuit complet et une prise en charge multidisciplinaire
En arrivant à l’hôpital de jour, chaque patiente suit le même circuit. Après le passage au secrétariat, puis un arrêt dans la salle d’attente, elles effectuent un bilan sanguin complet, puis une échographie de l’utérus. Se succèdent ensuite des rendez-vous individuels avec la médecin gynécologue et la spécialiste en trouble de la coagulation.
C’est la docteure Lucia Rugeri, spécialiste en troubles de la coagulation, à l’origine de cet hôpital de jour, qui est en charge de la dernière étape. Après un échange avec sa collègue gynécologue, elle transmet le diagnostic à la patiente, accompagné d’une ordonnance et de la documentation.
Selon les résultats de l’échographie, un rendez-vous chirurgical peut déjà être prescrit. Et pour les échographies normales, un traitement est prescrit pour six mois avant un second rendez-vous de contrôle. Enfin, des IRM peuvent aussi être réalisées pour diagnostiquer de l’endométriose, précise la médecin.
Après avoir vu entre 20 et 25 patientes en deux mois, âgées de quinze ans à la cinquantaine, avec « des problématiques différentes », Lucia Rugeri dresse un premier bilan positif. C’est en échangeant avec des patientes souffrant de règles abondantes lorsqu’elle travaillait dans une structure spécialisée dans les troubles de la coagulation qu’elle a eu l’idée de cet hôpital de jour.
« Je ne savais pas à qui les adresser parce qu’il y a un vrai manque de gynécologues dans la région. Certaines venaient depuis la région des Alpes… Avoir une prise en charge multidisciplinaire est une recommandation de la Haute autorité de la santé, alors quand j’ai parlé de mon idée au chef de service, il a immédiatement dit oui », nous raconte la médecin entre deux rendez-vous.
En plus du tabou des règles, l’invisibilisation des menstruations abondantes
Grâce à l’implication de nombreuses personnes, l’hôpital de jour fonctionne aujourd’hui avec la spécialiste de la coagulation et une médecin gynécologue. Outre le diagnostic médical, l’hémostasienne insiste sur l’échange oral et personnel obligatoire : « Il faut prendre le temps nécessaire avec chaque patiente, leur expliquer les choses et aussi leur poser des questions. Elles doivent se sentir écoutées. On a une stratégie de diagnostic et de traitement qui passe par cette étape. »
Devant elle, des fiches pédagogiques données à chaque rendez-vous renseignent sur les différents traitements hormonaux existants, ainsi que sur le traitement de l’anémie. Lucia Rugeri évoque aussi avec ses patientes l’impact des règles abondantes sur leur vie sexuelle, comme sur leur quotidien au travail. Ces questions, comme celles des règles, sont encore « un tabou », selon elle.
« Je n’ai pas tout de suite identifié le terme de tabou. C’est grâce à l’association Règles élémentaires, qui a fait une campagne sur la précarité menstruelle, que je l’ai compris. S’il y a un tabou des règles, concernant la pathologie des règles hémorragiques, c’est carrément une invisibilité. C’est comme si on se rendait compte du jour au lendemain que les femmes en souffrent… ».
Les femmes peuvent avoir des anémies tellement profondes qu’elles doivent être transfusées en arrivant aux urgences.
Et pourtant, en Europe, plus d’une femme sur cinq souffre de règles abondantes d’après une étude menée dans cinq pays européens en 2012. Elle insiste donc sur « l’importance de ce parcours de soin » et du diagnostic pour améliorer leur quotidien : « C’est très handicapant pour la vie personnelle. Il y a aussi des risques pour la santé, sans parler de la fatigue chronique. Les femmes peuvent avoir des anémies tellement profondes qu’elles doivent être transfusées en arrivant aux urgences. »
Un handicap au quotidien
Alors l’idée est désormais de diagnostiquer une patiente le plus tôt possible.
Troisième rendez-vous de l’après-midi, Jeanne, Lyonnaise de 18 ans, souffre de règles abondantes un cycle sur deux. « J’utilise une cup menstruelle et elle est pleine au bout d’une heure quand c’est très abondant. C’est très handicapant, surtout à l’école, quand un cours dure plus d’une heure. J’ai déjà tâché la chaise », explique-t-elle. La nuit aussi, la jeune femme doit changer ses protections toutes les heures.
Résultat : chaque sortie est pensée en fonction de ses cycles. Jeanne se souvient encore d’un mauvais souvenir de vacances : « J’étais avec ma sœur, en voyage dans une ville, mais on n’a pas pu visiter parce que je passais mon temps à entrer dans les magasins en leur demandant d’utiliser leurs toilettes. »
C’est grâce à sa sœur qui lui a envoyé une publication Instagram annonçant l’ouverture de l’hôpital de jour, en janvier dernier, qu’elle a demandé à son médecin généraliste de lui faire un courrier de recommandation. Avec son diagnostic en main, elle affirme, le sourire gêné, qu’elle ne pensait pas « qu’il y aurait un jour une solution à [son] problème. »
Elle reviendra pour un échographie « au moment optimal » de son cycle. Et si le problème causant ses règles abondantes est confirmé, il devrait pouvoir être soigné. Pour l’heure, Jeanne va commencer un traitement hormonal et un anti-inflammatoire qui réduira son flux de règles.
Prise de rendez-vous en ligne
La prise de rendez-vous à l’hôpital de jour se fait directement sur le site internet du CHU, grâce à une télé-demande. Les patientes doivent obligatoirement être envoyées par leur médecin traitant, gynécologue ou sage-femme. Les médecins référents basés à l’hôpital de la Croix-Rousse traitent ensuite la demande. Si la patiente est bien catégorisée comme souffrant de règles abondantes en raison d’un problème clinique ou d’hémostase, un rendez-vous est donné aussi rapidement que possible.
Pour déterminer si une femme a des règles abondantes, elle doit se référer au score de Higham qui consiste à compter chaque jour de règles le nombre de serviettes ou de tampons utilisés (le système ne permet pas encore de quantifier grâce aux culottes ou coupes menstruelles, ndlr). Au-delà de 100 points et avec plus de 80 ml de sang, il s’agit bien d’une ménorragie. « Toutes les femmes qui s’adressent à nous via le site internet n’auront pas besoin de venir à l’hôpital de jour. Notre travail est aussi de les orienter vers le bon parcours », précise Flore Matthieu, cadre du pôle.
L’objectif est maintenant de les sensibiliser à la détection des règles et aux traitements existants.
Et si la prise en charge des règles abondantes n’est pas encore très connue par les médecins de ville, Lucia Rugeri et Flore Matthieu comptent la développer dans les prochains mois grâce à des webinaires sur la thématique dans toute la région, animés par l’équipe des Hospices Civils de Lyon. « L’objectif est maintenant de les sensibiliser à la détection des règles et aux traitements existants », enchérit la responsable.
En regardant son écran d’ordinateur, Flore Matthieu est elle-même surprise de la forte demande. Le calendrier des rendez-vous est plein jusqu’à début mai. En avril, l’hôpital de jour proposera une journée complète dédiée aux consultations. Et d’ici quelques mois, l’équipe médicale devrait aussi se rendre un jour par semaine à l’Hôpital Femme-Mère-Enfant de Bron, en banlieue lyonnaise, en espérant que le projet puisse ensuite avoir un écho national.
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