Le 9 décembre 1897 est publié La Fronde, le premier journal féministe et féminin de France, écrit par des femmes et pour les femmes.
« La Fronde, grand journal quotidien, dirigé, administré, rédigé, composé par des femmes », annoncent les affiches placardées sur les murs de Paris, la veille de sa première publication, raconte France Culture.
Un projet qui vient bousculer une société noyée par le sexisme et la misogynie. Où une femme ne peut pas avoir de compte bancaire sans l’accord de son mari, où elle peut se voir retirer la garde de son enfant à tout moment, où elle n’a pas le droit de vote…
À l’origine de ce projet : Marguerite Durand, féministe inspirante et oubliée de l’Histoire.
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Marguerite Durand à l’origine du projet
Née en 1864, Marguerite Durand est issue d’un milieu bourgeois. Élevée au couvant, elle entame très jeune une carrière de comédienne en entrant au conservatoire à l’âge de 15 ans. Deux ans plus tard, elle entre à la Comédie française.
Mais, comme le raconte Carole Chabut, directrice de la bibliothèque Marguerite Durand, interrogée par le site de la Ville de Paris, elle quitte la scène en 1888 et épouse « Georges Laguerre, député boulangiste [parti ouvrier, NDLR] et avocat très engagé ». Ce dernier dirige un journal, La Presse, dans lequel Marguerite Durand s’essaye au journalisme et publie ses premiers articles.
Alors que c’est extrêmement mal vu à l’époque, elle divorce de son premier époux en 1895. Elle « entre ensuite au Figaro », où elle rencontre l’un des directeurs du journal, Antonin Périvier. Ensemble ils auront un fils en 1896.
C’est une mission pour le journal qui va l’initier au féminisme et lui faire prendre conscience de l’inégalité systémique injuste entre les femmes et les hommes.
Un congrès qui change la donne
« En 1896, elle se rend au Congrès Féministe International où elle est censée écrire un article à charge pour railler l’événement », précise Carole Chabut. Supposée décrédibiliser la parole et le combat de ces femmes pour l’égalité des sexes, Marguerite Durand est finalement convaincue par leur discours.
« Elle y voit des femmes engagées qui ne se laissent pas faire face au désordre et aux attaques de perturbateurs misogynes », précise l’intervenante pour la Ville de Paris. Son combat féministe est lancé dès ce jour.
Je fus frappée par la logique du discours, le bien-fondé des revendications.
En 1935, elle revient sur sa prise de conscience avec Thilda Harlor, écrivaine et journaliste française, citée par Women Today : « Je me rendis aux Société savantes où se tenait le congrès et je fus frappée par la logique du discours, le bien-fondé des revendications et la maîtrise, qui savait dominer l’orage et diriger les débats, de la présidente Maria Pognon ».
Sa décision est sans appel : « Je refusai d’écrire l’article de critique pour Le Figaro« . Mais son supérieur n’est autre que son compagnon, Antonin Périvier, de qui elle est enceinte. Cela ne la retient pas. Marguerite Durand le quitte et commence son long combat pour les droits des femmes.
La Fronde va rapidement voir le jour.
« La Fronde » : une arme par et pour les femmes
Face aux injustices et sexisme systémique de la société, Marguerite Durand entrevoit une solution pour contre-attaquer la misogynie ambiante. « L’idée m’était venue d’offrir aux femmes une arme de combat, un journal qui devait prouver leurs capacités en traitant non seulement de ce qui les intéressait directement, mais des questions les plus générales et leur offrir la profession de journaliste actif« , expliquait la journaliste à Thilda Harlor.
Elle se lance donc, dès 1897, dans la création d’un journal conçu par des femmes et pour les femmes. Le premier numéro de La Fronde, publié le 9 décembre 1897, est un véritable succès. Il se vend à plus de 40 000 exemplaires.
Qu’il s’agisse de la rédaction, de la direction, de la maquette, de l’impression, uniquement des femmes sont engagées dans cette entreprise. Elles y abordent, chaque semaine, des sujets d’actualités, comme n’importe quel journal.
En effet, La Fronde n’est pas juste un journal féministe mais aussi « d’information générale, qui parle de tout, politique, sport, de l’actualité, il y a même la bourse et des publicités de l’époque », précise Brigitte Scarron, adjointe à la bibliothèque Marguerite Durand, sur le site de la Ville de Paris.
Petite spécificité néanmoins, dans chaque nouveau numéro, une rubrique est dédiée spécifiquement à un sujet qui concerne uniquement les femmes. Comme par exemple la législation sur le divorce, ou l’avortement.
La Fronde assume sa plume féministe mais revendique aussi des principes laïc, républicain, pacifiste, dreyfusard et littéraire. Dès le premier numéro, La Fronde annonce sa ligne éditoriale et réclame « l’égalité des droits, le développement sans entraves des facultés de la femme, la responsabilité consciente de ses actes, une place de créature libre dans la société », cite Retro News.
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Critiques sexistes à foison
Sans surprise, ce journal et sa ligne éditoriale ne plaisent pas à la France de la IIIe République.
La critique la plus facile fut celle de remettre en question l’intelligence de ces femmes. À l’instar de George Duval, journaliste à L’Évènement qui estimait « d’une impossibilité absolue d’obtenir d’un groupement de femmes de lettres l’unité dans les idées qui fait les véritables rédactions. Comment une personne qui change douze fois par an les fleurs de son chapeau demeurerait-elle fidèle à une opinion ? »
D’autres ne manquent pas non plus de réflexions sexistes et misogynes. L’Echo de la montagne utilise l’argument de l’infériorité des femmes, comme le montre ce passage, cité par l’OBS : « Partout ailleurs, dans le journalisme surtout, la femme ne réussit que si son travail est à côté de celui de l’homme. ‘La Fronde’ en est la preuve. […] Il faut qu’une femme même en faisant le métier d’homme, reste femme et femme toute simple, toute douce. »
Puis on feint de s’inquiéter pour leur sécurité. Les journalistes devaient par exemple se rendre dans des lieux interdits aux femmes, comme l’Assemblée nationale, pour couvrir les sujets qu’elles souhaitaient. Ce qui n’a évidemment pas plu. À l’époque, ces lieux n’étaient soi-disant pas « respectables » pour des femmes.
Des femmes marquantes, oubliées par l’Histoire
Mais rien n’arrête l’équipe de La Fronde.
De grands noms se sont succédés pour écrire dans ce journal féministe. « Pauline Kergomard, fondatrice des écoles maternelle ; Jeanne Chauvin, première femme avocate autorisée à plaider ; Hélène Sée, première femme journaliste politique ; Alexandra David Neel, journaliste libertaire et grande exploratrice ; Renée de Vériane, sculptrice et spécialiste des sports féminins », liste le site de la Mairie de Paris.
L’histoire au sens large a été faite par des hommes et les héros sont majoritairement masculins.
Mais leur existence est malheureusement majoritairement tombée dans l’oubli. « L’Histoire n’occulte pas seulement les féministes, mais aussi les scientifiques, voyageuses, exploratrices, journalistes, écrivaines… L’Histoire au sens large a été faite par des hommes et les héros sont majoritairement masculins », déplore Brigitte Scarron, adjointe à la bibliothèque Marguerite Durand.
Pourtant, ces femmes écrivent, enquêtent, analysent, défendent des valeurs, faisant fi des critiques et des insultes.
Le journal s’éteint en 1905, Marguerite Durand continue son combat
À partir de 1903, le journal qui était publié quotidiennement, devient un mensuel. Puis l’aventure s’arrête en 1905.
En sept ans, le journal a drastiquement servi la cause des femmes. En plus de leur donner une voix, de prouver qu’elles étaient tout aussi capables que les hommes d’écrire, d’enquêter, La Fronde a aussi permis quelques avancées sociétales.
Les femmes ont ainsi pu assister aux débats parlementaires, accéder à l’examen du Barreau, recevoir la Légion d’honneur….
La fin de La Fronde n’entérine absolument pas le combat de Marguerite Durand. Elle va continuer d’œuvrer pour les droits des femmes en organisant des manifestations, en écrivant dans d’autres journaux, en fondant le Club féminin automobile en 1915 pour aller chercher les blessés sur le front, ou en se présentant aux élections législatives de 1910 dans le 9e arrondissement de Paris (candidature rejetée par le préfet de la Seine).
Elle décède en 1936. Mais Marguerite Durand ne laisse pas uniquement ses combats derrière elle. Elle était une grande collectionneuse de nombreux écrits et documents féministes.
Biographies, journaux, films, affiches, thèses, tracs, essais… en tout, elle a conservé « plus de 10 000 livres et des dizaines de milliers de documents retraçant l’histoire des femmes et du féminisme », selon Women Today.
Toute cette documentation, elle en fait don en 1932 à la ville de Paris. C’est ainsi que le premier Office de documentation féministe français est créé. Il sera rebaptisé la « bibliothèque Marguerite Durand », qui depuis 1989 est situé au 79, rue Nationale dans le 13e arrondissement de Paris.
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