Lorsqu’il n’est plus possible de trouver un compromis en discutant autour d’un petit café, il existe encore des solutions. Le point sur tous les recours légaux existant pour vivre en paix avec votre entourage.
Avec Me Angela Albert, avocate
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Année après année, les brouilles continuelles entre voisins ont contraint le législateur à inscrire dans la loi les détails les plus tatillons, et les juges à se prononcer sur les sujets les plus farfelus : barbecue, chant du coq, vieilles voitures entassées dans le jardin, etc. ! Résultat ? Quel que soit le litige, on déniche presque toujours un texte ou une jurisprudence pour faire valoir nos droits. « En privilégiant la voie amiable car entre voisins, un arrangement vaut toujours mieux qu’un long et coûteux procès, que l’on n’est jamais sûr de gagner », prévient d’emblée Me Angela Albert, avocate et présidente du Centre de médiation du barreau de Paris. Il faut attendre au minimum trois mois pour une audience au tribunal judiciaire, puis trois à dix ans avant d’obtenir un jugement définitif si l’une des parties fait appel ! Depuis 2020, « tenter une médiation ou une conciliation est de toute façon devenu obligatoire avant de saisir la justice, sauf si le préjudice excède 5 000 euros ou pour obtenir un jugement urgent en référé, par exemple si un mur menace de s’effondrer », précise l’experte. Au cas par cas, voici nos conseils pour gérer vos désaccords de pallier ou de quartier.
Il aime les décibels : discussion, courrier, médiation… allez-y piano !
Il a installé une clim bruyante, joue de la trompette, ou a adopté un chien qui ne cesse d’aboyer ? Selon le Code de la santé publique, « aucun bruit ne doit, par sa durée, sa répétition ou son intensité », porter atteinte à votre tranquillité. Un seul des trois critères suffit pour réclamer la cessation du « trouble anormal de voisinage ». L’exception ? En dehors des villes, on ne peut plus se plaindre du chant du coq, des grenouilles ou des cigales : la loi du 29 janvier 2021 a précisé que les sons et odeurs de la campagne font partie du « patrimoine commun de la nation ». « Avant toute démarche, toquez chez le voisin, car contrairement à ce que vous pensez, il ne devine pas qu’il fait trop de bruit parce que vous claquez votre porte », conseille Me Corinne Frappin, avocate au barreau de Paris. Si la rencontre se solde par un échec ou un pugilat, écrivez-lui en citant le règlement de copropriété ou la loi, par exemple, l’article R623-2 du Code pénal en cas de tapage nocturne. « Sans réponse ni amélioration, renouvelez en recommandé – avec l’aide éventuelle du syndic ou d’un avocat – et conservez des copies qui constitueront des preuves si le litige se prolonge », ajoute l’experte. Vous pouvez aussi déposer une main courante au commissariat pour consigner les faits, ou faire établir un constat d’huissier (prévoir 700 à 1 000 euros de frais).
À Paris, si le litige vous oppose à un professionnel (salle de sport, artisan, commerçant), sollicitez le Bureau d’actions contre les nuisances professionnelles ([email protected]) ou, pour la musique d’un bar ou d’un restaurant, effectuez un signalement en ligne sur le site de la préfecture de police (informations au 34 30). Enfin, lorsque l’auteur du tapage est locataire, prévenez son propriétaire, tenu de garantir une occupation « en bon père de famille » du logement (à défaut, il peut résilier le bail). Sans succès, tentez une conciliation ou une médiation puis, en ultime recours, saisissez la justice. « Mais attention, le juge ne propose pas de compromis », prévient Me Angela Albert. Imaginez que les enfants de l’appartement du dessus crient et gambadent du matin au soir : en médiation, vous pourriez vous mettre d’accord avec leurs parents pour partager le coût d’une moquette isolante. Si vous saisissez la justice, vous continuerez à subir le bruit en attendant le jugement, vous croiserez chaque matin des voisins ulcérés par votre procès, et vous aurez peu de chances de l’emporter.
Il a la main (trop) verte : vérifiez ses droits avant d’agir !
Le tilleul du jardin d’à côté cache le soleil, ou laisse ses branches et racines vous envahir ? Ne réclamez pas trop vite l’arrachage ou l’élagage, car des distances précises sont prévues à l’article 671 du Code civil : les arbres de plus de deux mètres doivent être plantés à au moins deux mètres de chez vous (sauf s’ils ont plus de trente ans, et que personne n’a protesté avant), mais les végétaux moins hauts peuvent s’élever à cinquante centimètres de la limite (distance appréciée au sol si l’arbre penche, et depuis le milieu du tronc). Prudence, le plan local d’urbanisme (PLU) protège parfois davantage la végétation dans certaines zones naturelles ou au contraire très urbanisées comme Paris, la petite couronne, l’Essonne, la Seine-et-Marne, le Val-d’Oise, les Yvelines, etc.
Quelles que soient les règles de distance, les arbres ne doivent pas causer de gêne excessive : si le voisin laisse croître les siens sans limite, il peut être condamné pour « trouble anormal du voisinage ». La cour d’appel de Paris (3 avril 2014, n°10/23503) a par exemple contraint un couple à étêter – à six mètres tout de même – ses arbres en limite de propriété qui atteignaient 13 à 19 mètres de haut, et à rembourser les frais de procédure. Des branches dépassent sur votre terrain ? Vous n’avez pas le droit de les ratiboiser mais vous pouvez exiger du voisin qu’il élague, même si elles empiètent depuis plus de trente ans (voir Cass., ch. civ. 3, 12 novembre 2008, n°07-19.238). En revanche, vous pouvez sectionner des racines sur votre terrain, même sans la bénédiction du voisin.
Sa construction vous fait de l’ombre : demandez une décision de justice
Une annexe, une extension ou surélévation qui vous prive de lumière ou de vue vient de sortir de terre. « Si son permis est en règle, votre seul espoir reste de faire valoir en justice que le préjudice dépasse les inconvénients normaux du voisinage », avise Me Frappin. Un couple a ainsi obtenu 20 000 euros de compensation car l’extension du voisin, cachant la vue et le soleil, dépréciait leur maison (cour d’appel de Pau, 31 mars 2014, n°14/1221). Un autre a décroché 54 000 euros après la construction d’un immeuble de quatre étages à côté de sa maison, causant une perte d’ensoleillement et d’intimité « radicale » (Cass., ch. civ. 2, 28 mars 2013, n° 12-13.917). « Attention, la procédure est longue et les dommages et intérêts souvent inférieurs au préjudice », nuance Me Frappin. « Plus rarement, le juge ordonne la démolition, comme dans une affaire récente où une cour jadis ensoleillée était privée de toute clarté par la surélévation du voisin (Cass., ch. civ. 3, 22 octobre 2020, n°18-24.439) ». Avant d’agir, prenez rendez-vous avec un avocat pour qu’il évalue les chances de succès : l’aide de ce professionnel est de toute façon obligatoire pour saisir la justice quand le préjudice excède 10 000 euros.
Il n’a que faire du mur mitoyen : assurez-vous qu’il est vraiment hors la loi !
Le voisin ne veut pas réparer la séparation entre vos deux terrains ? À cheval entre deux espaces, le mur est présumé mitoyen et doit être entretenu par chacun pour moitié (art. 653 à 655 du Code civil). À défaut, vous pouvez exiger qu’il paie 50 % des travaux. Allez le trouver, puis en l’absence de résultats, écrivez-lui pour lui rappeler la règle, et faites appel au conciliateur de justice. Avant de brandir la facture, prenez garde aux exceptions : le mur qui sépare un jardin d’un bois ou d’un champ appartient au propriétaire du jardin, le mur « pignon » constituant une face d’un bâtiment au propriétaire de la construction, le mur de soutènement au propriétaire du dessus si le mur ne sert qu’à retenir sa terre, le mur au sommet pentu appartient à celui vers qui il penche, sauf si le titre de propriété précise le contraire. Enfin, celui qui a entretenu seul le mur au cours des trente dernières années peut en revendiquer la propriété. Précis le Code civil, non ?
Merci à Me Angela Albert, avocate et présidente du Centre de médiation du barreau de Paris (AME) et à Me Corinne Frappin, avocate au barreau de Paris (droit de l’immobilier et de la construction).
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