Le meurtre de George Floyd, noir-Américain de 46 ans, tué le 25 mai dernier lors d’une interpellation à Minneapolis (Minnesota) par un policier qui a plaqué son genou sur son cou pendant huit minutes, a été filmé et mis en ligne par une adolescente. La vidéo est devenue virale, et sa mort a provoqué de nombreuses manifestations anti-racistes à travers les États-Unis. Elle a aussi relancé le débat sur la place du racisme systémique, aussi bien dans la société civile que les institutions officielles.
Débat qui se déroule également à nouveau en France, à l’aune des nouveaux éléments dans l’affaire Adama Traoré, ce jeune homme décédé à la suite d’une garde à vue, en juillet 2016, et des propos de l’artiste Camélia Jordana sur sa peur de la police en tant que jeune femme d’origine maghrébine, et sa dénonciation des violences policières racistes.
Ces auteures noires dénonçant le racisme dans leurs écrits
Ce débat n’est malheureusement pas nouveau. Mais ces dernières années, une nouvelle génération de personnes afro-descendantes, prônant l’intersectionalité des luttes, émerge, se fait de plus en plus entendre. Ses revendications, elle a pu notamment les puiser dans des livres, romans ou essais, ayant formulé et dénoncé le racisme systémique.
Voici une sélection de onze livres d’auteures noires dénonçant le racisme, et le sexisme particulier qu’elles subissent à cause de leur couleur de peau. Certains sont fondateurs, comme Ne suis-je pas une femme ?, de Bell Hooks, fondatrice de l’afro-féminisme, et d’autres plus récents, comme Lettre à Adama, d’Assa Traoré. Des livres indispensables, que l’on soit afro-descendant ou pas.
"The Hate U Give", d’Angie Thomas
The Hate U Give, ou La haine qu’on donne, est le premier roman d’Angie Thomas, publié en 2017. À l’âge de six ans, l’auteure est témoin d’une fusillade déclenchée par des trafiquants de drogue dans un parc. En 2009, elle est cette fois marquée par la mort d’Oscar Grant, un jeune noir tué par la police californienne, à l’âge de 22 ans.
Originaire du Mississipi, Angie Thomas se sert de ces deux souvenirs marquants pour écrire un roman pour la jeunesse, dont tout l’intérêt réside dans le choix du narrateur : une lycéenne témoin du meurtre raciste de son meilleur ami noir, commis par un officier de police. À côté, elle doit composer entre son héritage afro-descendant, et son lycée essentiellement fréquenté par des élèves blancs, où elle se sent obligée de se fondre dans le moule.
The Hate U Give a été si acclamé par la critique et le public qu’il a été adapté au cinéma, dans un film du même nom, porté par la jeune actrice engagée Amandla Stenberg.
The Hate U Give de Angie Thomas
Nathan
460 pages, 17,95 euros
"Mon histoire – Une vie de lutte contre la ségrégation raciale" de Rosa Parks
« Mère du mouvement des droits civiques », première femme à avoir été enterrée dans l’enceinte du Capitole à Washington D.C : on ne peut retenir de cette figure emblématique des luttes noires américaines que son geste dans un bus de la ville ségréguée de Montgomery, ce 1er décembre 1955, quand Rosa Parks, alors âgée de 42 ans, refusa de céder son siège.
S’il y avait bien une chose qui me fatiguait, c’était de courber l’échine
« Les gens ont répété à l’envi que je n’ai pas cédé ma place ce jour-là parce que j’étais fatiguée, mais ce n’est pas vrai. je n’étais pas particulièrement fatiguée, pas plus qu’un autre jour, après une journée de travail. Je n’étais pas si vieille, bien qu’on m’imagine toujours comme une petite grand-mère. J’avais 42 ans. S’il y avait bien une chose qui me fatiguait, c’était de courber l’échine », tient-elle à rectifier dans ces pages.
Rosa Parks nous rappelle aussi, sinon nous informe, qu’avant cet acte symbolique, elle militait déjà depuis vingt-ans contre le racisme, et souvent, dans des conditions plus dangereuses. Cette autobiographie permet de réaliser l’intensité de son engagement.
Mon histoire – Une vie de lutte contre la ségrégation raciale de Rosa Parks
Libertalia
196 pages, 10 euros
"Americanah" de Chimanda Nogozi-Adichie
La romancière nigérienne Chimanda Nogozi-Adichie s’est inspirée de sa propre histoire. Originaire du Nigéria, comme Ifemelu, l’héroïne de son best-seller, elle a quitté son pays pour étudier aux États-Unis, toujours comme son personnage. D’où ce titre, qui reprend un mot familier nigérian pour désigner quelqu’un qui s’est « américanisé ».
Une fois atterrie sur le continent américain, Ifemelu fait l’expérience du racisme. Sa couleur de peau n’avait jamais été un sujet avant son émigration. Mais sur ce nouveau continent, elle découvre les clichés sur les noirs, sur leurs cheveux crépus et les coupes des femmes noires, par exemple. « Mon seul conseil ? Défaites vos tresses et défrisez vos cheveux. Personne n’en parle jamais, mais c’est important. Il faut que vous obteniez ce boulot », lui assène une conseillère d’orientation.
Americanah de Chimanda Nogozi-Adichie
Folio
704 pages, 9 euros
L’autobiographie d’Angela Davis
Angela Davis est une figure internationale et incontournable de la lutte contre le racisme, et pour tous les droits humains, plus généralement.
Dans cette biographie, ici enrichie d’un entretien qu’elle accordait à la veille de ses 70 ans, la professeure de philosophie retrace son long parcours militant. Elle rembobine sa jeunesse et son éveil politique, décrypte ses combats, ou encore, raconte son procès au retentissement international, à l’issue duquel elle échappa à la peine de mort.
Autobiographie d’Angela Davis
Réédition augmentée d’un entretien, Éditions Aden
464 pages, 64,91 euros
"Lettre à Adama" de Assa Traoré avec Elsa Vigoureux
19 juillet 2016, jour de ses 24 ans, Adama Traoré, menotté et face contre terre, est déclaré mort dans la cour de la gendarmerie de Persan, après avoir été interpellé à Beaumont-sur-Oise, dans le Val d’Oise. Depuis, sa sœur Assa Traoré a initié un mouvement médiatisé par-delà nos frontières et réclame sans relâche « Vérité et justice pour Adama ».
Partout où elle le peut, elle lance un débat sur l’utilisation du plaquage ventral lors des interpellations policières, et milite pour son interdiction.
En réaction à une nouvelle expertise médicale, datée du
"Ne suis-je pas une femme ? – Femmes noires et féminisme" de Bell Hooks
Le titre de cet essai reprend la question posée par Sojourner Truth, ancienne esclave, abolitionniste noire aux États-Unis, lors d’un discours célèbre prononcé en 1851 pour alerter sur l’oubli des femmes noires dans la cause féministe.
Cet essai, publié en 1981, est l’un des textes fondateurs de l’afroféminisme, qui interpelle sur la nécessité de prendre en compte les oppressions raciales et de classes rencontrées par les femmes noires, en plus du sexisme.
Ne suis-je pas une femme ? Femmes noires et féminisme de Bell Hooks
Cambourakis
294 pages, 22,50 euros
"La saison des feux" de Celeste NG
Elena est blanche, mariée, riche. Mia est noire, célibataire, et vit modestement. Elles ont la maternité pour point commun. Dans son polar Little Fires Everywhere, sorti en France sous le titreLa saison des feux, Celeste Ng dresse le portrait de ses deux mères opposées dont les vies s’entremêlent quand la première loue un appartement à la seconde et son enfant.
Au fil de la lecture, les tensions s’intensifient entre les deux femmes, et le racisme ordinaire d’Elena se révèle, sans qu’elle n’aie vraiment conscience de ses préjugés. Elle se veut par exemple généreuse avec sa locataire et sa fille, mais elle le fait en appuyant leurs différences, et avec condescendance, sans conscience de son privilège de classe, et de peau.
Le thriller a été adapté en une mini-série de huit épisodes, au titre éponyme, portée par Reese Witherspoon et Kerry Washington, qui dénoncent dans leur jeu subtile un racisme systémique, mais aussi individuel.
La saison des feux de Celeste NG
Sonatine
384 pages, 21 euros
"L’origine des autres" de Toni Morrison
Dans ce recueil de textes préfacé par Ta-Nehisi Coates, auteur des puissants essais Une colère noire et Le procès de l’Amérique, Toni Morrison recense les thèmes politiques qui imprègnent son œuvre littéraire : le racisme, l’immigration, le désir d’appartenance.
« Qu’est-ce que la ‘race’ et pourquoi est-ce si important ? Qu’est-ce qui motive la tendance de l’être humain à créer les Autres ? Pourquoi la présence de ces Autres nous fait-elle si peur ? », s’interroge la prix Nobel en quête de réponse.
Dans L’origine des autres, la romancière décédée à 88 ans en août 2019, construit ses réflexions en mêlant ses propres souvenirs à ceux de ses références historiques et littéraires, invoquant par exemple William Faulkner, Flannery O’Connor et Joseph Conrad, pour interroger le mot « race », et son utilisation aux États-Unis.
L’origine des autres de Toni Morrison
Bourgois
110 pages, 13 euros
"Tant que je serai noire" de Maya Angelou
Elle aussi est une figure emblématique de l’histoire politique et artistique des États-Unis. Oprah Winfrey la cite souvent comme une référence, son inspiration.
Tant que je serai noire débute est un récit autobiographique. Maya Angelou débute son écriture en 1957, année où celle qui aspire à devenir écrivaine s’installe avec son fils dans le quartier new-yorkais d’Harlem, où les intellectuels Noirs américains cohabitent.
Dans son nouveau quartier, cette presque trentenaire fait la rencontre de Billie Holiday, puis s’engage aux côtés de de Malcolm X, Martin Luther King, ou encore de l’écrivain James Baldwin. Engagée dans le mouvement des droits civiques, Maya Angelou raconte aussi son combat pour la liberté des noirs d’Afrique du Sud. Là-bas, où elle s’installera un temps pour militer, elle deviendra journaliste.
Tant que je serai noire de Maya Angelou
Le livre de poche
416 pages, 7,90 euros
"Paroles de liberté" de Christiane Taubira
C’est un livre de réponses aux attaques racistes dont Christiane Taubira, à l’époque ministre de la Justice, a été victime. « La guenon, mange ta banane », lui lançait en octobre 2013, à Angers, une manifestante de la Manif pour tous.
Dans cet essai-discours, écrit « en une poignée de nuits » après ces attaques, l’ancienne Garde des Sceaux s’adresse directement à cette femme angevine, lui répond avec son verbe tranché, puissant, et ses références. Elle approfondit ensuite sa réflexion et s’interroge sur le pouvoir de la parole, la solidité des stéréotypes dans notre société française, ces « représentations historiques devenues des réflexes », et la perception chez certains du concept « d’identité française », duquel ils l’excluraient, comme ils excluraient d’autres minorités, qu’elle défend alors.
Paroles de liberté de Christiane Taubira
Flammarion
137 pages, 12 euros
"Noire n’est pas mon métier", essai collectif à l’initiative d’Aïssa Maïga
« Noire n’est pas mon métier », c’est d’abord le nom d’un collectif formé par seize comédiennes noires, parmi lesquelles Aïssa Maïga à l’initiative du projet, Firmine Richard, Sonia Rolland, ou encore, Karidja Touré.
Dans ce livre-manifeste du même nom, chacune raconte les remarques racistes subies dans le milieu du cinéma, parce que femmes et noires. « Tu as un corps de gazelle » ou « Tu sens bon le Monoï », par exemple.
Au-delà de ce genre de sorties, ces actrices dénoncent des pratiques ancrées dans l’industrie du septième art, qui les priverait de certains rôles pour leur couleur de peau, leurs cheveux, leur apparence, au profit de rôles caricaturaux, et répétitifs, ceux de femmes de ménage, mères célibataires ou prostituées. Unies, elles revendiquent le droit d’accéder à tous les rôles de femmes, dont ceux qui font rêver, comme le premier rôle d’une comédie romantique, ou de femmes fortes, inspirantes.
Firmine Richard dénonce aussi une inégalité salariale et raconte avoir découvert qu’elle avait été payée cinq fois moins que les autres actrices lors du tournage du film 8 femmes de François Ozon : « Nous étions quatre comédiennes principales. J’ai appris que l’une d’entre elles était payée cinq fois mieux que moi pour un nombre de jours de tournage équivalent. Elle-même était très choquée de découvrir la différence de salaire entre nous deux. »
Noire n’est pas mon métier, essai collectif à l’initiative d’Aïssa Maïga
Seuil
128 pages, 17 euros
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