Entre deux concerts sur les plus grandes scènes internationales, Ophélie Gaillard parcourt la Seine-Saint-Denis pour faire découvrir aux élèves la musique classique et baroque. Un public exigeant avec lequel il est impossible de tricher.
Ophélie Gaillard, 45 ans, est l’une des violoncellistes les plus talentueuses de sa génération. Elue « Révélation soliste instrumental » aux Victoires de la Musique Classique 2003, cette passionnée de Bach et de Vivaldi adore sortir des sentiers battus. Remarquée pour son duo avec le danseur-chorégraphe hip-hop Ibrahima Sissoko ou son album avec le chanteur de bossa nova Toquinho, Ophélie Gaillard est aussi une infatigable pédagogue qui se plaît à se produire là où on l’attend le moins…
Son coup de foudre pour le violoncelle remonte à ses 3 ans et demi, un soir où ses parents, mélomanes mais pas musiciens – son père est psychanalyste et sa mère professeure d’allemand -, l’avaient emmenée écouter les Suites de Bach. L’instrument, l’ampleur et la profondeur du son… C’est la révélation. Mais il lui faudra attendre ses 7 ans pour commencer à prendre des cours de violoncelle. A la maison, on écoute de tout : du Bach comme du Schubert ou du Schumann, du Cat Stevens comme des airs sud-américains. Depuis sa naissance, la musique fait partie de sa vie.
« Transmettre est une impérieuse nécessité »
« En CP, scolarisée dans le 91, j’étais très amie avec une petite fille qui n’écoutait jamais de musique classique. Je trouvais cela triste et avais très à coeur de lui faire partager ma passion. Mais c’est au collège, où je suivais une section musique, que j’ai découvert le pouvoir de la musique dans une salle de classe. Face à l’émotion, on est tous égaux, reliés les uns aux autres. Grâce à mes professeurs, j’ai compris à quel point c’est important de s’impliquer, d’avoir la fibre pédagogique. Transmettre est devenu mon cheval de bataille ! En 2005, j’ai créé le Pulcinella Orchestra, un collectif de solistes et chambristes passionnés par l’interprétation d’oeuvres méconnues sur des instruments historiques. Mais les concerts et les enregistrements me laissaient sur ma faim. Il était hors de question que je devienne une artiste enfermée dans sa tour d’ivoire. C’est ainsi que j’ai décidé, avec quelques musiciens de l’ensemble, de consacrer une partie de notre temps à l’action pédagogique et sociale, sur le terrain. Après avoir passé des années à voyager aux quatre coins du monde, j’avais à coeur d’intervenir dans le 93, un territoire difficile, riche et complexe, que je connais de l’intérieur pour y avoir vécu pendant vingt ans. Festivals, associations, conservatoires… autant de partenaires locaux sur lesquels nous nous sommes appuyés pour développer des échanges avec les habitants. Nous intervenons aussi depuis 2009 dans les établissements scolaires, de la maternelle au lycée, en nouant des partenariats de long terme avec les enseignants, comme à Pantin ou à la Courneuve, depuis cinq ans. Cela nous permet de mettre en commun nos savoir-faire respectifs !
« Il n’y a pas de recettes : que du sur-mesure »
De la musique classique, ces élèves ont le plus souvent une vision négative et élitiste : « C’est pour les Parisiens« , « Je connais pas, j’aime pas« … Pour les initier, il faut miser sur l’expérience sensorielle, le rapport au son, le travail corporel des musiciens, par le biais d’échanges et de jeux. Les enfants sont invités à toucher l’instrument, à l’essayer, à s’allonger pour écouter la musique les yeux fermés, ou encore à s’exprimer au moyen de leur corps, en dansant par exemple ou en chantant. Nous leur racontons aussi l’univers du compositeur, parlons géographie et histoire en partant de leurs références musicales. Depuis toujours les compositeurs de rap ou de hip hop vont piocher leurs inspirations chez Bach, Mozart, Grieg ou Fauré. Quand des fans de Wax Tailor (dont je fais partie !) s’exclament : « C’est trop de la balle Fauré« , c’est ma plus belle récompense ! Grâce à mes voyages, j’essaie aussi de trouver des passerelles interculturelles, par exemple entre le luth, utilisé dans la musique baroque orientale, et son cousin, le oud oriental. Sans renoncer à notre exigence, il faut savoir s’adapter, en faisant preuve de patience, d’inventivité, d’empathie, créer des ateliers croisés mêlant la danse, le théâtre, le chant. Pour leur apprendre la bourrée traditionnelle, un danseur en survêtement sera plus facile d’accès qu’en chaussons satinés !
« C’est un échange fructueux : chacun va sur le territoire de l’autre. »
Les enfants vivent dans l’instant. Pour en faire plus qu’une simple expérience sensorielle, il est important de l’ancrer dans la mémoire. Après chaque séance, nous demandons souvent aux élèves de verbaliser ce qu’ils ont ressenti, dans leur langue maternelle s’ils sont plus à l’aise, ou au moyen d’un dessin pour les plus jeunes, d’une chanson… Un des enfants peut aussi mimer un état d’âme que le musicien traduira en note de musique. Les ateliers sont parfois prolongés par des invitations au Musée de la Musique (Philharmonie de Paris), à une répétition de l’ensemble Pulcinella ou à un concert que nous donnons dans un lieu prestigieux, comme le Théâtre des Champs-Elysées ou la Cathédrale des Invalides. Nous nous efforçons alors de leur réserver les meilleures places. Il faut voir leurs yeux qui pétillent ! Lorsque nous réalisons un spectacle avec eux c’est toute une aventure qui montre aux familles la créativité et la concentration de leur enfant. Des parents fondent en larmes : « Il est insupportable à la maison et là il est doux comme un agneau ! »
« La musique désarme la résistance »
Parce que la musique aide dans toutes les circonstances de la vie, j’interviens aussi en milieu carcéral. Un jour, à la maison d’arrêt d’Osny-Pontoise (95), un jeune de 15 ans m’a dit : « J’en ai rien à foutre de ton truc, c’est pas ma musique. » Je l’ai invité à jouer à mes côtés une Gymnopédie de Satie qui est orientalisante : moi, à la mélodie avec l’archet, et lui aux basses, après lui avoir montré les fondamentaux. Après le morceau, il était manifestement transformé. Mon boulot , finalement, c’est de procurer de l’émotion ! Il en va de même à l’hôpital Necker-Enfants malades (75), quand nous jouons (à trois musiciens maximum) une à deux fois par mois dans chacun des services (néonatologie, cancérologie, chirurgie cardiaque). C’est incroyable de voir à quel point l’atmosphère de la pièce peut changer. La vie revient. Et parfois nous amenons autant de réconfort aux enfants qu’à leurs parents ou aux soignants.
« C’est un métier mais surtout un engagement citoyen »
J’ai beau enseigner à la Haute Ecole de Musique de Genève ou donner des masterclass partout dans le monde, je ne me lasse pas de ce travail avec les enfants. Je me sens si proche d’eux. Et davantage encore depuis la naissance de mes jumeaux il y a quatre ans : je teste des jeux avec mes enfants, observe leurs réactions. J’ai aussi gagné en indulgence ! Mais je ne suis pas mère Térésa : je reçois autant que je donne. Il m’arrive, comme tout le monde, de me décourager quand je ne parviens pas à capter leur attention. Mais c’est pareil dans les salles parisiennes, avec un public adulte, quand la magie ne prend pas ! La musique classique canalise l’énergie, apaise et rend heureux. Donc quand on parvient à planter une petite graine dans le cœur d’un enfant, c’est un engagement humaniste et citoyen…
www.opheliegaillard.com
Son dernier album, « I Colori Dell’Ombra » (avec le Pulcinella Orchestra), sorti le 20 mars dernier, rend hommage à Vivaldi.
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