Coups fourrés, coups d’éclats, trahisons… À l’heure où la campagne présidentielle bat son plein, malgré le choc provoqué par la guerre en Ukraine, Gala.fr recueille les souvenirs de journalistes et personnalités politiques pour qui ces périodes électorales n’ont aucun secret. Voici ceux de Philippe Corbé, chef du service politique de BFMTV et ancien reporter de RTL aux Etats-Unis.
C’est l’une des têtes d’affiche de la campagne sur BFMTV. Fin connaisseur du monde politique, qu’il a commencé à arpenter il y a plus de 20 ans, Philippe Corbé est devenu un visage familier des téléspectateurs ces derniers mois. Nommé à la tête du service politique à un an de la présidentielle 2022, l’ex-reporter et intervieweur de RTL s’est rendu incontournable à l’antenne, de « La France dans les Yeux » à « Face à BFM » en passant par l’interview matinale, où son remplacement d’Apolline de Malherbe en tant que joker a encore été remarqué. Son style ? Des questions ciselées, de la rigueur et un attachement aux faits plutôt qu’aux commentaires. Rien d’anormal : le quadragénaire a été marqué par les États-Unis et Donald Trump qu’il a suivi de près pour RTL (2015-2020). Un souvenir de campagne particulier, comme tous ceux qu’il a accepté d’évoquer avec Gala.fr. Gaffe face à Alain Juppé, échange tendu avec Jean-Luc Mélenchon, « bravitude » de Ségolène Royal… À quelques heures de retrouver Marine Le Pen dans La France dans les Yeux, ce mardi soir sur BFMTV, Philippe Corbé nous livre quelques secrets de campagne.
Gala.fr : Quel est votre meilleur souvenir de campagne ?
Philippe Corbé : Pour cette campagne, nous avons lancé « La France dans les yeux » sur BFMTV. L’année dernière, j’ai vite parlé à Marc-Olivier Fogiel de l’idée du « Town Hall », un format qui fonctionne bien et depuis longtemps aux États-Unis sur différentes chaînes. L’équivalent en France ce serait un conseil de quartier. Avec des moments où l’élu du village discute avec des habitants, ils parlent de tout et de rien et peuvent être interpellés. On a fait la première émission en Corrèze (avec Valérie Pécresse), dans une papeterie avec une charpente en bois. On ne réinvente pas la roue mais je suis content que ça ait pu arriver à l’antenne en France. Vous allez dire que je suis un peu narcissique de penser que le truc le plus intéressant que j’aie fait en campagne c’est ça (rires).
Votre meilleure interview ?
En 2012, je présentais les journaux dans la matinale de RTL, en tant que joker. On avait reçu Nicolas Sarkozy, à l’époque président et candidat. J’avais été frappé par sa combativité en studio, alors que les sondages montraient qu’il allait être battu. C’était long, il y avait l’interview et les échanges avec les auditeurs. Et finalement, il a été plus proche qu’on ne l’avait imaginé de François Hollande. Bon, il n’est rien resté d’historique de cette interview (rires), mais je pense que dans un moment de studio, on peut sentir quelque chose qu’on ne sent pas en tant que spectateur.
Récemment, Jean-Luc Mélenchon s’est emporté contre vous après une question sur l’immigration et les déboutés du droit d’asile. Quel est le candidat qui vous a donné le plus de mal ?
Je n’ai pas revu la séquence mais c’est marrant parce que je n’ai pas du tout vécu ça comme un moment agressif. Moi, à deux mètres de lui, je ne me suis pas senti traumatisé. C’était une question simple mais difficile, donc je pense que ça l’arrangeait de surjouer un peu la « confrontation » avec un journaliste sur le sujet. Plutôt que de constater que oui, il fallait respecter la loi. Ce qu’il a finalement reconnu. Ça l’arrangeait de caricaturer, c’est le jeu. Ce qui est plus embêtant, ce sont les responsables politiques qui ne répondent pas aux questions.
Lorsque vous avez interrogé Marine Le Pen sur son prêt bancaire russe, elle s’était aussi agacée…
Oui, c’était une bonne interview parce qu’on a pu parler du fond et qu’on a pu lui « demander des comptes » entre guillemets sur ce qu’elle avait dit sur Vladimir Poutine et fait avec lui. Elle a pu apporter des réponses et était plutôt contente de développer ça.
? "J'ai été l'une des seules responsables politiques à essayer de conserver une équidistance entre les États-Unis et la Russie"
Marine Le Pen (@MLP_officiel) se défend d'avoir été le relais de l'influence de Vladimir Poutine en Europe ⤵️ pic.twitter.com/lDZszJCm7X
Il y a quelques mois, le ton est monté avec Nicolas Dupont-Aignan. Il vous a coupé la parole à plusieurs reprises lorsque vous tentiez de citer Joseph Szwarc, rescapé du Vel d’Hiv qui s’est indigné de voir des anti-pass porter l’étoile jaune.
Qu’il conteste mes questions, c’est le jeu. Mais qu’il ne me laisse même pas citer un ancien déporté qui parlait du fond de son cœur… J’ai trouvé que c’était un manque de courtoisie vis-à-vis des auditeurs. C’était un manque d’élégance et c’était déplacé. Je me suis agacé et je n’aurais pas dû.
Quel est le scoop dont vous êtes le plus fier ?
En décembre, après le congrès LR, on a annoncé le résultat 3 ou 4 minutes avant que ce soit officiel. J’ai tout à fait conscience que c’est un scoop accessoire et minime par rapport à la marche du monde (rires) mais j’étais content. On a eu les résultats en début d’après-midi. Ils avaient été annoncés par Christian Jacob aux candidats, chacun avait dû laisser ses téléphones portables de côté pour que rien ne fuite etc. J’ai tout de même pu donner avant tout le monde le nom et le score du gagnant, en l’occurrence Valérie Pécresse, alors qu’il y avait un nombre extrêmement restreint de personnes au courant. Une source m’avait donné l’information avant mais je n’ai pas osé la donner tout de suite à l’antenne, je cherchais à avoir les confirmations. Et c’était compliqué.
Son « moment de fatigue » face à Alain Juppé
Une punchline qui vous a marqué ?
Le « Moi président » de François Hollande. Ce qui était frappant c’est que le lendemain matin, ce n’était pas le son que les radios et télés avaient retenu. Ce n’était pas aussi immédiat que le laisse penser la postérité de la formule. En y repensant, elle est d’autant plus marquante que Nicolas Sarkozy ne l’interrompt pas. On le sent un peu sonné. Et en même temps, il voit que François Hollande est parti dans une anaphore et s’engage à faire des choses. Il le laisse s’enferrer et prendre des engagements devant les Français qui vont être compliqués à tenir durant son mandat. C’est un mélange de passivité et de calcul.
Vous n’aviez pas spécialement retenu ce passage le lendemain matin ?
On avait passé cet extrait sur RTL, mais parmi beaucoup d’autres. « Vous n’avez pas le monopole du cœur« , « L’homme du passif« … C’est le temps et ce qui reste ou pas dans l’esprit des Français qui fait que ça devient une formule incontournable. Si on réécoute les JT du lendemain, il n’y a pas une formule qui écrase tout le reste.
La plus grosse bourde ?
Un jour, je présentais la matinale de RTL et on recevait Alain Juppé. Il était très très haut dans les sondages, on était au printemps 2015. Il y a une sorte de Juppémania, il fait la couv’ des Inrocks etc. On le reçoit vraiment comme quelqu’un qui peut être le futur président. Et à un moment donné, au lieu de l’appeler « monsieur Juppé », je l’appelle… « Juppé ». Comme on parle dans la vie courante (rires). J’ai corrigé rapidement, Alain Juppé était à un mètre de moi. Et vous savez comment il peut être.
Il n’a pas dû vraiment rire…
Ça ne l’a pas fait sourire, non (rires). Alors que François Hollande ou Nicolas Sarkozy auraient rebondi en m’appelant par mon nom de famille par exemple. Mais ce n’est pas grave. Ce n’était pas vulgaire ou agressif. C’était juste un moment de fatigue.
« J’étais là lorsque Ségolène Royal a parlé de bravitude »
Une bourde comme ça s’est reproduite depuis ?
Non, j’évite de faire des gaffes quand même ! Mais il m’est arrivé autre chose il y a longtemps à RTL. Je remplaçais Jean-Michel Apathie pour la matinale. J’ai eu un petit accident de scooter et je me retrouve à devoir le pousser sur le périphérique. J’arrive donc à RTL pas préparé alors qu’on recevait Valérie Pécresse. Et j’ai un trou en plein milieu de l’interview. Je ne suis tellement pas dedans que je perds le fil. J’ai une sorte de blanc. Elle aurait pu m’écraser ou en profiter. Sauf qu’elle m’a aidé : « J’imagine que vous voulez me parler de… ».
Elle vous a sauvé…
Oui, elle m’a tendu la main pour pas que je me noie dans l’interview. C’était assez classe parce qu’elle a bien vu que j’avais eu un moment d’absence.
Vous avez le souvenir d’une boulette commise par un politique cette fois ?
C’est anecdotique et pas très glorieux, mais il se trouve que j’étais sur la muraille de Chine pour RTL lorsque Ségolène Royal a parlé de « bravitude« . Il faisait très froid, moins 15 degrés, on avait passé la nuit dans l’avion et on était crevés. Sur le moment, on ne se rend pas compte de l’ampleur que ça va prendre. On discute avec les collègues de France Inter et France Info et on ne savait pas quoi ressortir de ce qu’elle avait dit. Il n’y avait rien de très intéressant. Donc on avait juste ressorti ce son de la « bravitude« . C’était amusant, mais on ne se disait pas « mon Dieu, elle utilise un mot qui n’est pas dans le dictionnaire. » Je n’avais pas imaginé que ça allait être un moment marquant de cette campagne et pour certains un tournant. Elle était en tête des sondages et après, elle ne l’était plus. Ce n’était pas de notre fait mais à Paris, ses adversaires ont vite rebondi dessus. C’est frappant de voir comment les choses peuvent s’enflammer pour pas grand-chose dans une campagne. Enfin, je ne regrette pas d’avoir sorti le mot « bravitude » !
Le meilleur meeting ?
Sans parler du fond et est-ce que je suis d’accord ou pas bien entendu, c’était celui de Nicolas Sarkozy à la porte de Versailles en janvier 2007. Il y avait beaucoup de monde. Mais sur le fond, le discours était assez juste par rapport à ce qu’il voulait montrer. Pas le Sarkozy purement sécuritaire, qui avait été ministre de l’Intérieur. C’est le discours où il dit : « moi petit Français de sang mêlé« . Il parle de son père étranger, de son grand-père. Et il raconte quelque chose qui est assez juste sur qui il est. Après, bon, c’est de la communication. C’est un peu ce que n’a pas réussi Valérie Pécresse au Zénith.
C’était le pire, celui-là ?
Celui-là était pas mal, oui (rires). J’y étais et il y avait un problème de réalisation je pense. On n’entendait pas le son de la salle. Il y a eu un problème de micro, on n’entendait pas l’ambiance alors qu’il y en avait. Puis elle était seule sur scène, avec un prompteur avec lequel elle n’était pas forcément à l’aise, elle faisait trop de gestes, elle prenait une voix trop grave, elle accentuait trop… Tout ça sonnait faux alors que quand elle est naturelle, elle est beaucoup mieux.
On a eu le sentiment d’assister à un crash en direct alors qu’elle donnait une tout autre image lors de la course à l’investiture…
Oui, mais ce ne sont plus des réunions publiques de 200, 500, 800 personnes. Là, c’est un Zénith sur toutes les chaînes, avec un gros enjeu… Elle avait un problème de voix déjà. Quand les femmes politiques forcent la voix, elles paraissent parfois hurler. Et donnent cette impression alors que ce n’est pas le cas pour les hommes. C’est une sorte d’injustice pour les femmes. Mais c’était aussi un problème de voie, quelle ligne défendait-elle ? C’est ce que j’ai souligné tout de suite après le meeting sur BFMTV – et son équipe m’en a voulu – mais elle utilise l’expression « grand remplacement ». Elle le rejette mais le fait d’utiliser cette théorie complotiste, c’est une forme de banalisation. C’est aussi ce qui a fait que quelque chose sonnait faux. Lors de ces grands moments télévisés en campagne, quand on n’est pas stable sur ses deux pieds, ça se voit.
Que vous a reproché son entourage ?
Dans la foulée, je vois les gens de son équipe, je ne cache pas mes doutes sur le meeting en général. Bon, à ce moment-là, ils n’ont pas entendu ce qu’on a dit (rires). Mais 1 ou 2h plus tard, quand ils voient que c’est viral, ils me rappellent pour me dire « elle l’avait déjà dit, à tel moment » etc. Ils ont l’impression quand on a fait des tonnes mais on en a parlé brièvement et simplement l’effet viral démultiplié donne une ampleur qu’on n’avait pas mesurée.
Un autre souvenir de meeting raté ?
En 2007, au lendemain au 1er tour. On savait que Nicolas Sarkozy serait en tête. Donc dès le lendemain soir, à Dijon, il donne les premiers indices de ce qu’il va faire. Un meeting très cadré, très propre. De son côté, Ségolène Royal était à Valence, où j’étais, et elle arrive dans un meeting où il fait super chaud parce que la salle n’est pas aérée. Il y a plein de monde, mais c’est chaotique. Elle arrive et dit qu’elle va essayer d’appeler François Bayrou pour qu’il la rejoigne, tout ça est bordélique. En plus, elle arrive trop tard pour qu’il y ait des images dans le 20h. Ça faisait amateur et improvisé. Ce jour-là, on a vu la différence entre les organisations des deux campagnes.
Un souvenir spécial de votre période aux États-Unis ?
Plusieurs discours m’ont marqué. Comme celui de Donald Trump à la convention de Cleveland en juillet 2016. Ce soir-là, je me suis dit pour la première fois qu’il pouvait être élu. Son discours, regardé en prime time par des millions de gens, était réussi, cadré, anglé, discipliné, alors que la convention ne s’était pas bien passée pour lui et que dans les sondages il était encore très loin. Je me souviens avoir même ressenti quelque chose dans la colonne vertébrale, qui me disait : « il peut vraiment être élu. » Je suis revenu en France en août et je prévenais tous ceux que je croisais.
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« Je pense qu’Eric Zemmour a eu raison d’officialiser avec Sarah Knafo »
La plus grosse engueulade vue en campagne ?
Je n’ai pas vraiment assisté à une engueulade spectaculaire. Mais en politique, il faut vraiment se méfier de ses amis. On voit souvent tel ou tel membre de l’équipe de campagne qui va parler à des journalistes et faire fuiter des choses. En 2007, c’était clair que le PS soutenait de manière intermittente Ségolène Royal. Et ce qu’on a compris a posteriori, c’est que pendant la campagne, il y a aussi eu une rupture familiale. On sentait que quelque chose ne tournait pas rond, mais on a découvert son ampleur après. On n’avait pas compris qu’elle dormait parfois au QG de campagne. On n’avait pas compris non plus à quel point Nicolas Sarkozy traversait lui aussi une période de souffrance personnelle. Cécilia était partie quelques mois en 2006, mais elle était revenue. On a saisi ensuite que le soir de son élection, c’était le moment le plus heureux mais aussi le plus triste de sa vie.
En début de campagne, c’est sur BFMTV qu’Eric Zemmour a officialisé sa relation avec Sarah Knafo. C’était vraiment spontané de sa part ?
Je peux vous assurer que c’était tout à fait spontané.
Il paraît que Sarah Knafo n’était pas ravie…
Oui, il ne s’attendait pas à la question. Et je pense qu’elle ne s’attendait pas à cette réponse. Je pense qu’à ce moment-là, il comprend que c’est dans son intérêt de répondre de façon simple, sobre, claire. C’est pour ça que la question de Bruce Toussaint était à mon sens très astucieuse. On ne lui demande pas « est-ce que c’est votre compagne ? » mais « comment vous définiriez son rôle ? » Donc il dit qu’elle a un rôle politique mais aussi personnel. C’était un moment de sincérité. A posteriori, je pense qu’il a eu raison. On a toujours raison de dire la vérité. Et il l’a fait simplement.
Le terrain ne vous manque pas parfois ?
Ah si, bien sûr ! J’aime beaucoup ça. Là, je suis enfermé en plateau et au bureau. Quand on est journaliste politique, on sillonne la France. Vraiment. J’ai fait tous les départements, y compris Mayotte. Mais je regarde avec un peu de curiosité mes collègues qui au fond n’auront traité que de politique dans leur vie. J’ai de l’admiration pour eux car moi je ne pourrais pas. J’ai fait ça 8 ans, puis j’ai arrêté pendant près de 10 ans. Là je suis revenu depuis plus d’un an, je ne sais pas combien de temps ça va durer. Mais pas 10 ans, quoi. L’idée que la politique est le centre de tout… Ce qui est souvent frustrant en tant que journaliste politique, c’est que souvent on parle aux mêmes personnes. Les mêmes conseillers, les mêmes ministres, les mêmes candidats… On est assez peu surpris par des gens. Ça fait du bien de respirer.
Vous vous voyez repartir aux États-Unis, où vous avez été reporter ?
Là, j’y suis allé pendant 5 ans et demi, à une période intense avec Donald Trump. Donc j’ai fait mon temps (rires). Après, mon mari est Américain, donc il n’est pas impossible que je retourne vivre là-bas… Mais ce n’est pas encore prévu !
Donc pas de Philippe Corbé à l’antenne en 2027 ?
Ah non ! Bon, il ne faut jamais dire : « fontaine je ne boirais pas de ton eau« … Mais ce n’est pas mon objectif principal. On verra. Je viens de revenir et je suis très content. Dans ma carrière, j’ai toujours essayé de faire des cycles de 4 ou 5 ans et après je fais complètement autre chose. Si je continue comme ça jusqu’à ma retraite, c’est bien.
Crédits photos : Abaca
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