Chaque semaine, on attend avec fébrilité un nouvel épisode de cette série sur les méchants, riches et puissants. Et à chaque fois que son générique commence, impossible de cliquer sur «passer l’intro». Pourquoi est-on aussi accro?

Une minute, vingt-cinq secondes : c’est l’un des génériques les plus longs de toutes les séries actuelles. Et pourtant, c’est celui qu’on ne zappe jamais : les images et la musique qui ouvrent chaque épisode de la série Succession, diffusée aux États-Unis sur HBO et sur OCS en France, exercent, depuis maintenant trois saisons, une puissante fascination.

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Mélange de «home movies» au grain vintage et d’images de gratte-ciels et d’écrans, de cascades symphoniques sur fond de beats hip-hop : le générique de Succession fait écho à l’essence même de la série, à savoir une histoire vieille comme le monde (une famille se déchire pour le pouvoir) contée dans celui d’aujourd’hui (nous sommes chez les Roy, des magnats des médias, milliardaires sans foi ni loi). «En ce sens, il constitue une bonne porte d’entrée vers la fiction, une mise en condition», souligne Olivier Joyard, critique de séries et réalisateur du documentaire Les Génériques de séries, réalisé en 2018 et disponible sur MyCanal.

Plus long que celui de Mad Men (35 secondes) mais presque aussi allongé que ceux de Game Of Thrones ou The Wire (qui dépassent eux aussi 1.30 mns), il s’inscrit dans la lignée des grandes séries qui ont marqué l’histoire du genre, d’autant plus que ces séquences introductives tendent aujourd’hui à disparaître.

En vidéo, la bande-annonce de la saison 3 de « Succession »

Ritournelle hypnotique

L’engouement pour le générique de la série signée Jeremy Strong doit beaucoup à sa musique. La mélodie jouée au piano, lyrique à souhait, semble empruntée à une oeuvre du XIXe siècle (dans l’émission Maxxi Classique sur France Musique, le journaliste Max Dozolme y voit l’influence d’un lied de Schubert) et nous met dans le vif du sujet. Un beat un peu ébréché vient le moderniser. Ce thème, que l’on retrouve décliné en différentes versions dans les épisodes, est signé Nicholas Brittell, un Américain de 41 ans qui a déjà eu plusieurs vies : diplômé du prestigieux conservatoire de musique The Julliard School, à New York, il étudie ensuite la psychologie à Harvard (au côté de Natalie Portman), avant de décider, finalement, de brasser des millions en tant que trader à Wall Street. Puis de revenir à ses premières amours, la composition de bandes-originales de films. À son actif, celles des longs-métrages du réalisateur Adam McKay (également producteur exécutif de Succession), The Big Short, Vice, et surtout Don’t Look Up, blockbuster de Noël annoncé, prévu le 24 décembre sur Netflix avec Jennifer Lawrence et Leonardo DiCaprio.

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Hypnotique et vénéneux, le thème ultra-dramatique que Nicholas Brittell a composé pour Succession a dépassé le cadre de la série, devenant un tube en soi : certains l’écoutent en boucle pour se réveiller, se courir ou se donner du courage. Le journaliste Arnaud Laporte en a fait le générique de l’émission Affaires Culturelles, qu’il anime sur France Culture depuis août 2020. «Nous avions envisagé un thème, composé spécialement pour l’émission, mais c’est cet air que je voulais. Rien ne lui arrivait à la hauteur, la ritournelle est imparable. Depuis, je reçois chaque semaine des dizaines de mails d’auditeurs me demandant quelle est la référence du morceau. Et mes invités, quand ils ne jubilent pas de l’entendre parce qu’ils aiment la série, me demandent également de quoi il s’agit.»

Éléments de réponse

Les images, elles aussi, peuvent se contempler à l’infini. Pour Olivier Joyard, les grands génériques agissent sur notre affect à un niveau inconscient. «Dans le monde sans cesse changeant des séries, ils sont la seule chose qui reste stable, évolue à peine au fil des saisons. D’où leur effet « rassurant » : ils agissent comme un doudou, un objet transitionnel entre le réel et la fiction. Quelque chose auquel on revient sans cesse, comme à la maison. Et ce, quelque soit le contenu de la série : celui de Dexter peut vous faire le même effet.»

Un impact émotionnel d’autant plus fort que le générique de Succession semble offrir des bribes de réponses à une question que l’on se pose à chaque épisode : pourquoi les personnages sont-ils aussi méchants? Qu’est-ce qui, dans leur passé, en a fait des être aussi corrompus? Dans un flot d’images qui semblent s’évanouir à peine après qu’on a eu le temps de s’en saisir, à chacun sa «préférée», devant laquelle on reste à chaque fois médusé. Comment la petite Shiv, que l’on voit promener un poney, a-t’elle pu devenir la femme arrogante que l’on connaît ? La faute à la richesse, personnifiée par ledit poney et ces serveurs en livrée, qui patientent sur un court de tennis où jouent les enfants? Ou à la figure de ce père que l’on ne fait qu’apercevoir, dos tourné ou absent ? Si aucune explication n’est clairement donnée, «elles laissent deviner l’univers, le mélange de richesse, de solitude et de maltraitance», selon Arnaud Laporte, dans lequel les Roy ont grandi.

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Et permettent donc, pour Olivier Joyard, d’entrer en empathie avec des personnages qui n’en méritent pas beaucoup. «On comprend qu’ils ne pouvaient pas échapper à cette vie, qu’ils y étaient destinés dès leur enfance. Ce qui est, au fond, assez triste. Pour moi, Succession tient surtout de la comédie, qui peut vite virer au grotesque. Or le générique en est son élément le plus sentimental, celui qui lui donne de la hauteur, de la profondeur. Et de la beauté, via sa musique. Il contribue à nous rendre les personnages plus sympathiques. De la même manière qu’on les découvre enfants, on se dit qu’on les verra peut-être vieillir». On espère, en tout cas, les regarder encore longtemps.

Succession, de Jeremy Strong, un épisode par semaine en H+24 sur OCS

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