Cette semaine, Chloé Thibaud s’est intéressée à une pratique sexuelle plutôt répandue, qui porte avec elle un imaginaire de domination patriarcale. Mais alors, féminisme et fessée, est-ce compatible ?
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“Ah non désolé, je ne me vois vraiment pas faire ça…“ Je me souviens de ma gêne immense quand il a refusé de me mettre une fessée. Je passais la nuit avec cet homme et, pendant nos ébats, j’avais ressenti l’envie de sentir sa main claquer sur moi. D’habitude, mes partenaires étaient plutôt amateurs de cette pratique, alors je lui avais donné l’autorisation de le faire : “Tu peux me mettre une fessée hein, si tu veux.“ Il ne voulait pas. Et ça, c’est entièrement son droit. Mais quand je lui ai demandé pourquoi il ne se voyait “vraiment pas faire ça“, sa réponse m’a interloquée : “Ben… Je trouve ça humiliant pour toi, quoi.“ Nous nous sommes interrompus et nous avons longuement discuté. Pourquoi cette pratique serait-elle humiliante puisque je la propose et que j’y consens ?, lui ai-je demandé. Pourquoi, en tant que mec, devrait-il forcément kiffer donner des fessées ?, m’a-t-il rétorqué. Cela nous a conduit assez vite à débattre du cliché selon lequel les féministes ne pourraient pas aimer tout un tas d’actes sexuels perçus comme “dégradants“. Parce que cette interrogation remonte fréquemment jusqu’à mes oreilles lorsque j’interviens sur les questions de sexualité (notamment auprès des jeunes), j’ai décidé d’en discuter avec plusieurs hommes et femmes de mon entourage, et surtout avec Capucine Moreau, sexologue et autrice d’un super Cahier d’exploration érotique illustré par Nadia von F. et édité chez La Musardine.
“Ce sont des choses sur lesquelles je travaille régulièrement au cabinet, commence la spécialiste. Je reçois des femmes qui considèrent qu’elles ont des modes d’excitation et de plaisir qui sont très liés à une vision archaïque de la sexualité, c’est-à-dire une femme soumise, un homme dominant, des concepts un peu caricaturaux issus de la culture pornographique et patriarcale. Elles me demandent : est-ce que c’est ok d’être excitée par ça ? Moi, je trouve ça intéressant d’explorer ce qui est présent, de se demander pourquoi ça nous plait, d’élargir notre spectre sans rejeter des pratiques comme ça. Oui, on peut apporter une analyse psychologique – et c’est vrai que la fessée est un super symbole – mais si on se dit qu’aimer la fessée c’est forcément aimer être soumis, ce n’est pas le cas.“ En effet, cette notion de “soumission“ est revenue dans plusieurs témoignages que j’ai recueillis, notamment celui de Naomi, 28 ans : “J’ai jamais testé et ça ne m’attire pas vraiment, je me sentirais trop dominée et j’aurais envie de le baffer. On va dire que j’ai une sexualité plutôt classique et je me sentirais mal à l’aise à l’idée qu’on me propose de faire ça… Je pense que j’aimerais pas forcément ce geste que j’associe à de la violence, et notamment de la violence sur enfant, mais ça se trouve ce sont des croyances limitantes et je pourrais kiffer !“
Selon Capucine Moreau, il est important de se débarrasser de cette vision systématique de dominant·e·s/dominé·e·s au sein de nos relations sexuelles et de reconsidérer la fessée comme un art érotique. “Il faut distinguer la fessée caricaturale issue du porno de la pratique érotique. Dans le premier cas, c’est ‘je te colle une tape à n’importe quel moment parce que c’est censé nous exciter’, alors qu’il y a des hommes que ça n’excite pas du tout et qui le font presque automatiquement parce qu’ils ont vu ça dans les films. Ça, ce n’est intéressant pour personne. Dans le second cas, on se libère des jugements de valeur et on se concentre sur la dimension sensorielle de la fessée.“ Je m’aperçois en échangeant avec la sexologue que c’est quelque chose dont on parle assez peu. La sensation de la tape, l’attente de ce qui va peut-être venir ou peut-être ne pas venir, les différentes pressions, l’intervalle entre les fessées, les caresses qui les accompagnent… “La fessée est un acte érotique à part entière et pas un petit truc qu’on glisse entre deux positions, souligne-t-elle. C’est un art qui requiert une énorme attention à l’autre, qui demande de la finesse, de l’écoute. Le corps réagit a plein de stimulis différents, et il y a une réelle excitation qui naît du fait de laisser l’autre décider. Cela ne fait pas de nous des femmes soumises.“ Ce n’est certainement pas Zélie qui dira le contraire ! “Pour moi, c’est un jeu sexuel, donc à partir du moment où j’aime ça et que je demande ça à mon partenaire, ça enlève tout le côté dégradant, me confie la jeune femme de 32 ans. Dans ma vie de tous les jours, je ne laisserais personne me marcher sur les pieds ou mal me parler, mais je pense que j’ai tellement de contrôle sur ma life, tellement eu ce besoin d’être forte et indépendante, que du coup au lit j’aime inverser le truc et me faire un peu ‘maltraiter’ par un mec, ce qu’évidemment je n’accepterais pas en dehors du lit…“
Alors que nous passons nos journées à nous (dé)battre contre le sexisme et les violences liées à notre genre, cela peut s’avérer agréable de quitter, l’espace d’une heure (ou deux, ou trois), nos habits de féministes en retirant nos habits… tout court. D’ailleurs, même dans l’hypothèse de jeux de domination/soumission assumés, je n’y vois rien d’autre que l’expression d’une liberté sexuelle revendiquée, d’une écoute totale de nos désirs de femmes et d’une prise de pouvoir intégrale sur notre corps. “On peut voir des inversions de posture entre le lit et la vraie vie, surtout quand on est une femme cérébrale, contrôlante, m’explique Capucine Moreau. S’autoriser à lâcher prise dans l’espace de jeu qu’est la sexualité, c’est intéressant. Un grand paquet d’hommes qui aiment être ‘soumis’ sexuellement sont des hommes qui ont de grosses responsabilités dans la vie. La fessée, comme la morsure ou même la sodomie, provoquent des émotions fortes qui permettent, surtout pour les personnes qui ont du mal à être dans leur corps, de décrocher d’un mental hyper fort.“ Des hommes, hétéros, j’en ai sondés quelques-uns en préparant cet épisode. Hicham, 40 ans, adore la fessée… lorsqu’il la reçoit en bonus d’un anulingus. “Quand une fille te fait un anulingus, c’est transcendant, t’es projeté sur la lune ! Et l’acte de la fessée, c’est un rappel à l’ordre : tu passes du langoureux, du chaud au froid, ça te remet les idées en place de la bonne manière. Quand je sens qu’une fille n’a pas l’habitude d’en mettre, je lui demande, elle y va timidement d’abord et après de plus en plus… Je ne trouve pas ça dégradant, au contraire c’est glorifiant ! Tu acceptes de remettre ta masculinité en jeu, de dire que tu as le droit d’aimer, c’est un partage, un moment de confiance !“ De son côté, Mathieu, 35 ans, est en couple avec sa copine depuis sept ans. “Il arrive parfois qu’elle me fesse, oui ! admet-il. Quand je la pénètre en missionnaire par exemple, comme pour dire ‘allez, vas-y’, ou quand elle me fait une fellation alors que je suis debout. Ça n’arrive pas souvent, mais j’aime ça !“
Finalement, les fessées c’est comme les antibiotiques, c’est pas automatique. Parfois ça fait du bien, parfois ça ne sert à rien… Mais attention, sur un ton plus sérieux, le Rapport annuel 2023 du Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes sur l’état des lieux du sexisme en France a révélé ce chiffre : 37% des femmes expriment avoir déjà subi des rapports sexuels non-consentis. Alors gardez bien en tête qu’avant une fessée, comme avant n’importe quelle pratique sexuelle, votre partenaire et vous devez impérativement vous assurer de votre consentement mutuel ! Une recommandation 100% validée par la sé-cul.
Simone kiffe : Les recommandations de Chloé Thibaud
“Mon nom est Mark Nelson, et il y a quelques années, une femme est venue ici, comme vous. Elle a écouté notre message et aujourd’hui, son adorable petite fille, qu’elle a presque tuée, a 3 ans.“ À Dallas, au Texas, des militants “pro-life“ se réunissent tous les vendredis devant la clinique du Dr Luke Pavone pour dissuader les femmes d’avoir recours à l’IVG. Mark, leur chef de file, est un fanatique anti-avortement. En guise de réveil et de sonnerie de téléphone, il a téléchargé un rire de bébé, afin de se rappeler “pourquoi ils ont raison de faire ce qu’ils font“. Ce personnage terrifiant est l’un des protagonistes du premier roman d’Isabelle Hanne, Le Choix (aux éditions Goutte d’Or). Journaliste à Libération, elle a notamment couvert le mandat de Donald Trump et signe ici un livre bouleversant qui nous rappelle, d’une part, que la réalité dépasse bien souvent la fiction et, d’autre part, que le droit à l’avortement est menacé dans le monde entier.
Depuis plusieurs années, de nombreuses œuvres sont consacrées aux femmes admirables qui ont marqué l’Histoire (je pense notamment au livre de Titiou Lecoq, Les grandes oubliées – Pourquoi l’Histoire a effacé les femmes, aux éditions L’Iconoclaste). Mais d’autres femmes ont été oubliées et doivent être nommées. Celles qui, par centaines de milliers, étaient au service du Reich pendant la Seconde Guerre mondiale. Alors que l’imaginaire collectif s’est longtemps représenté les femmes comme des “témoins passives d’un génocide mené par les hommes“, un documentaire glaçant de Christiane Ratiney lève le voile sur un tabou : le rôle des secrétaires, infirmières, épouses de SS ou autres gardiennes de camps qui ont fait preuve d’une violence – si ce n’est supérieure – au moins égale à celles des hommes. Des femmes au service du Reich est à voir en replay sur ARTE, c’est un film nécessaire, une réflexion aussi précieuse que dérangeante sur la notion de genre.
“Le pénis rentre dans le vagin de la maman, il commence la course, c’est Paulo qui gagne, ensuite il rentre dans l’ovule, là il perd sa queue…“ Comme c’est émouvant d’entendre des enfants expliquer avec justesse – et en utilisant les “vrais“ mots – la façon dont se font les bébés. Dans l’excellent podcast La Buissonnière, Héloïse Pierre suit pendant un an une classe de petits (3-6 ans) de l’École Freinet (une pédagogie alternative créée en 1964 par Élise Freinet et son mari Célestin). Un épisode parait tous les mercredis, et j’ai particulièrement aimé “Le Parcours de Paulo, petit spermatozoïde“ dans lequel l’enseignante, Marie, parle clairement et simplement de l’inceste et du consentement à ses élèves. Un rappel indispensable du fait que ces notions doivenSt être abordées dès le plus jeune âge !
Flore Benguigui, Barbara Butch, Louane, Brö, Bérengère Krief ou encore Benjamin Siksou (hashtag mon fantasme de jeunesse) vous donnent rendez-vous lundi, le 6 février, pour la deuxième édition de Corps à Cœurs, un show imaginé par Laurie Darmon. L’objectif ? Inciter les jeunes générations à aimer leur corps et s’accepter telles qu’elles sont. “Quand j’étais petite fille puis adolescente, j’aurais aimé entendre les personnalités que j’admirais me raconter ce qu’on ne voit pas sur les photos et les vidéos sur lesquelles je les voyais poser impeccablement“, confie l’artiste. Ce sera sur la scène des Folies Bergères, à Paris, vous pouvez encore réserver votre place ici.
Le post Simone de la semaine
« C’était une espèce d’osmose qui fait qu’on se sent drogués de bonheur. » L’autrice de bande dessinée Sophie Lambda revient sur une expérience marquante : sa relation amoureuse avec un homme qui s’est révélé être un pervers narcissique. Elle la raconte dans une BD autobiographique, Tant pis pour l’amour. Ou comment j’ai survécu à un manipulateur (aux éditions Delcourt).
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Simone Shop
Mauvaise nouvelle, les banques polluent aussi…
En 2018, une étude d’Oxfam France et les Amis de la Terre révélait que 70 % de leurs financements énergétiques étaient orientés vers les fossiles contre seulement 20% vers les énergies renouvelables.
On peut essayer de changer ça avec Green Got, une néo-banque qui propose des comptes courants et épargnes pour financer la transition bas carbone. Bonne nouvelle, non ?
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Par Chloé Thibaud, journaliste, spécialiste des sujets culture et société. Elle est l’autrice de plusieurs ouvrages : Toutes pour la musique (chez Hugo & Cie), Hum Hum – Et si on parlait vraiment de sexe ? (Webedia Books) et En relisant Gainsbourg (Bleu nuit éditeur).
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