L’heures des confidences. "Encore une fois", le 10e album de Patrick Bruel manifeste l’envie de l’artiste de se remettre en question, d’aller dans d’autres directions et surtout d’oser. Nous avons échangé avec le chanteur hanté par le temps qui passe mais qui prône encore et toujours sa foi en l’être humain et son amour des livres, de la terre et de la France ! Interview.

Votre album s'appelle Encore une fois comme l'un de ses titres ? Pourquoi ? 

Patrick Bruel. La chanson qui porte ce nom évoque le fait de repartir, de se relever d'une déception amoureuse, professionnelle, amicale. Il y a toujours une lueur au bout du chemin, une main tendue, un espoir qui fait qu'on se remet à y croire. Encore une fois signifie qu'on remet les compteurs à zéro car même si on arrive avec ses bagages et auréolé de tout un passé, on remet toujours le titre en jeu. Il faut proposer, étonner, être là où on ne vous attend pas et prendre des risques car le plus grand risque, c'est de ne pas en prendre.

Vous avez collaboré avec des jeunes artistes. Que vous apportent-ils ?

Patrick Bruel. Ma démarche n'a pas consisté à travailler avec la jeune génération mais avec des talents. La rencontre avec Hoshi a été forte : j'aime beaucoup son travail et je le lui avais fait savoir lorsqu'elle avait sorti son premier titre. Elle m'a proposé deux chansons et une belle amitié est née. Hoshi m'a permis de rencontrer Mark Weld avec qui nous avons travaillé pour J'avance. Il m'a aussi proposé Je l'ai fait cent fois qui est mon coup de cœur de l'album. Mosimann je l'ai connu lors de la saison de la Star Academy car j'avais chanté avec lui. 

Il y a une thématique forte dans votre album, celle du temps qui passe mais aussi le besoin de l'occuper. Est-ce lié à la séparation de vos parents quand vous étiez très jeune ?

Patrick Bruel. Il y a la peur de l'abandon mais aussi d'être oublié même si elle est parfois absurde. Le temps qui passe est une autre notion qui est centrale dans tous mes albums et qui est encore plus exacerbée depuis que j'ai des enfants. Ma peur c'est de ne pas être là assez longtemps pour voir tout ce qu'ils vont faire. Je vis à 100 à l'heure. Je suis boulimique d'émotions, de découvertes, d'audaces. Beaucoup de choses me passionnent et pas uniquement le cinéma et la chanson. Je suis en train de vous parler et j'ai les yeux rivés sur ma bibliothèque. Je me dis que je n'aurais jamais le temps de me plonger dans tous ces livres ! 

"J'ai plutôt confiance en la nature humaine"

Dans On en parle, vous vous inquiétez du monde laissé à nos enfants : est-ce qu'en tant que père de deux fils 17 et 19 ans c'est quelque chose qui vous angoisse ?

Patrick Bruel. Il n'y a pas eu de périodes dans l'humanité plus sereines que d'autres mais j'ai toujours eu l'impression que, quand on met un enfant au monde, on pense qu'il va le changer. J'ai cette sensation avec mes enfants et elle se vérifie tous les jours. J'ai une chance incroyable d'être tombé sur ces deux garçons et nous formons une belle équipe. On me dit que la chanson On en en parle est une chanson pessimiste mais elle est pour moi pessimiste active car elle bouscule et secoue. J'ai plutôt confiance en la nature humaine et à son pouvoir de rebond devant les circonstances ultimes.

Quand vos fils se sont installés à Los Angeles, vous aviez mis en garde votre ainé contre les ravages de la drogue que vous évoquez dans La chance de pas. Est-ce que ce fléau vous inquiète toujours ?

Patrick Bruel. Dès le lycée, mais aussi à la fac et au début de ma carrière, j'ai vu les ravages de la drogue. Elle est partout et touche n'importe quel âge. J'ai vu tellement de gens tomber à cause de la drogue et perdre toute faculté. Quand mes enfants se sont installés à Los Angeles, ils avaient 11 et 13 ans mais j'aurais pu leur tenir le même discours ailleurs à savoir qu'ils allaient devoir être costauds et héroïques presque. Je leur avais dit que s'ils y arrivaient tant mieux mais que si ce n'était pas le cas je voulais être le premier à le savoir. Il ne faut pas croire ses enfants invincibles.

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Certains artistes s'expriment concernant ce qui les révoltent et d'autres préfèrent garder leurs opinions pour eux. Où vous situez vous ?

Patrick Bruel. Je ne suis pas du genre à garder mes opinions pour moi. Je les exprime quand je pense que cela peut être utile, apporter un éclairage en toute humilité. Il faut aussi rester à sa place et, quand on s'exprime sur des sujets sociétaux, il faut avoir la décence de connaitre un peu les dossiers. Aujourd'hui la complexité de l'expression est liée aux phrases sorties d'un contexte qui enflamment la Toile. Il y a une telle violence sur les réseaux sociaux que certains artistes préfèrent rester tranquilles plutôt que d'être jetés en pâture. Mais parfois on s'en fout car ce qu'on a à exprimer est plus important que le risque que cela représente. 

Vous êtes membre des Enfoirés depuis 1993 et vous n'avez jamais manifesté aucune lassitude contrairement à d'autres artistes. Est-ce que parce que le combat est plus important que tout ?

Patrick Bruel. Ce combat est plus important que tout en effet. Savoir qu'on fait partie d'une aventure qui permet de distribuer 170 millions de repas à des gens entre novembre et mars et qui permet de tendre la main aux autres est motivant. 35 ans après on a toujours besoin de nous et surtout des bénévoles car, sans eux, rien n'existerait. Les Enfoirés sont comme une famille. Maintenant que certains soient moins à l'aise avec les déguisements ou l'autodérision, cela leur appartient. C'est déjà génial qu'une soixantaine d'artistes se mobilisent tous les ans. Nous faisons des sketchs, nous chantons des chansons, nous donnons du plaisir à 10 ou 15000 personnes. En rentrant à l'hôtel, nous faisons la fête avec toute cette équipe. Jean-Louis Aubert se met à la guitare et cela se termine à 5 ou 6 heures du matin. C'est une grande colo au service d'une cause fantastique. Je n'ai jamais raté une édition depuis que j'ai commencé. 

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Vous parlez de votre mère enseignante dans L'instit. Comme vous le chantez, est-ce qu'un livre peut changer une vie ?

Patrick Bruel. Un livre peut changer une vie et être un ami. Cette chanson rend tout d'abord hommage aux instituteurs, ces héros de la République qui ne sont pas assez valorisés. Ils ont un rôle déterminant et j'ai pu le constater en faisant le tour des écoles dans des classes de primaire. Cette chanson était importante pour moi car j'ai vu ma mère, institutrice, travailler après l'école, s'impliquer. Je voulais lui rendre hommage et évoquer aussi le livre qui procure des émotions, qui transforme et qui fait grandir.
Le livre est un compagnon. Je ne suis pas là pour dire aux gens qu'ils doivent absolument lire mais leur dire que j'ai eu une émotion incroyable en lisant un livre et que j'ai envie qu'ils la partagent.

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Vous évoquez aussi l'Algérie dans Je reviens. Vous avez quitté Tlemcen en 1962 alors que vous n'aviez que 3 ans. Vous y avez fait un voyage avec votre mère en début d'année : quels souvenirs en garderez-vous ?

Patrick Bruel. C'est un voyage qui était dans ma tête et dans mon cœur mais qui ne se faisait pas. J'ai fantasmé ce retour et j'en ai fait une chanson. Pendant que je la couchais sur le papier, j'ai reçu un appel du recteur de la mosquée qui m'a dit que les autorités algériennes voulaient que je revienne en Algérie avec ma mère. J'ai pris ça comme un signe et les choses se sont accélérées avec l'aide de l'ambassadeur d'Algérie en France. Ce voyage a été extraordinaire : à Tlemcen, nous sommes retournés dans l'école où ma mère enseignait, dans la maison où je suis né et dans la maison où elle a grandi. Nous étions très bien accueillis et partout on nous disait : "bienvenue chez vous et merci de revenir." 

Vos racines sont-elles importantes pour vous ? En parlez-vous avec vos fils ?

Patrick Bruel. Les racines sont très importantes : c'est pour cela que j'ai planté ma tente en Provence qui est le juste milieu de mon monde entre l'Algérie où je suis né et Paris où j'ai grandi. L'olivier y pousse partout et me permet de transmettre le goût de la terre à mes enfants et ce lien avec la France qui est très important car ils habitent aux Etats-Unis

Est-ce que le sentiment d'être Français est important ?

Patrick Bruel. Il est fondamental car je dois tout à la France. Je suis heureux d'être en France, de payer mes impôts en France et de redistribuer ce qu'on m'a donné. C'est un pays admirable et incroyable. C'est un pays truffé de contradictions, vivant en mouvement, qui compte. Les Français ne sont jamais aussi forts que quand ils jouent ensemble. Nous échangions en 2018 avec Didier Deschamps par texto et je lui disais : "jouez ensemble et vous serez intouchables" parce que nous avons un potentiel exceptionnel dans tous les compartiments de la société. Après le spectacle navrant auquel vous avons assisté ces derniers mois à l'Assemblée nationale, on a envie de dire aux députés : "jouez tous ensemble pour la France en oubliant les querelles transpartisanes". 

"Le public est là depuis le début, avant les médias, avant le métier et même avant moi"

Vous êtes producteur d'huile d'olive, viticulteur, à l'origine d'une marque de cosmétiques intitulée l'Olivier de Léos. Souhaitez-vous transmettre cet amour de la terre à vos fils ?

Patrick Bruel. Mes fils ont une attraction pour la terre mais ils ont 17 et 19 ans. L'un suit son parcours en neuroscience et l'autre est en terminale et a plein de choses à faire et des rêves (il lance son premier single intitulé 1,2,3 le 26 mai prochain) . Ce n'est pas leur priorité mais ils sont consultés pour chaque décision car le domaine leur appartiendra un jour. Le maitre mot de notre éducation est de leur inculquer la valeur des choses qui passe par le travail, la terre, les racines et la nature. 

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Autre dimension importante dans votre vie, votre public que vous retrouverez lors de votre tournée en 2024. Quels sont vos rapports avec lui ? 

Patrick Bruel. Nous n'avons jamais été éloignés longtemps depuis le début de cette merveilleuse aventure. Le public est là depuis le début, avant les médias, avant le métier et même avant moi. Il continue d'être en attente de mes propositions et de mes audaces. Aujourd'hui il est composé de personnes de tous les âges qui font bon ménage. Quand la musique démarre, il n'y a plus d'âge et le public ne fait qu'un. Pendant le confinement j'ai fait des spectacles depuis mon salon et je pensais que ce serait confidentiel mais 20 millions de vues plus tard j'ai constaté que cela ne l'était pas tant que cela et que beaucoup de gens étaient entrés dans mon salon ! (Rires)  J'ai envie de leur dire merci.

Vous racontez votre histoire dans vos chansons et vous interprétez des histoires au cinéma. Avez-vous déjà pensé à la réalisation ?

Patrick Bruel. Bien sûr. J'ai réalisé ou co-réalisé la plupart de mes clips. Cela me tente mais réaliser un film c'est deux ans, trois ans d'une vie. Cela prend beaucoup de temps et, s'il n'y a pas une urgence absolue, il ne faut pas le faire. Je pense peut-être un jour, qui sait. On verra mais j'aimerais beaucoup !

Interview exclusive ne pouvant être reprise sans la mention de Journal des femmes.

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