Il a chanté Le Sud. Elle a été sa boussole. Sa plus belle histoire d’amour. Mais Kinou Ferrarri, qui partagea pendant trente ans la vie de Nino Ferrer, avait dû lui pardonner beaucoup de choses. Notamment une idylle avec Brigitte Bardot.

I made this song because I love you / I made this song just fo you (J’ai écrit cette chanson parce que je t’aime /J’ai écrit cette chanson juste pour toi), ces paroles de Looking For You, Nino Ferrer les avait écrites pour Kinou. Sa Kinou, qui vient de mourir dans le Lot le 17 mars 2022, 24 ans après le chanteur, à l’âge de 74 ans.

Il y a quelques années, elle nous avait reçu dans la bastide perchée sur une colline qu’ils avaient choisie ensemble. C’était là, un été de 1998, qu’au beau milieu d’un champ de blé, Nino Ferrer s’était tiré une balle en plein coeur. Là également qu’avec Pierre et Arthur, leurs fils, ils avaient été heureux. Et qu’elle avait continué à l’être, pour deux. Kinou était de ces femmes qui ne lâchent rien. Quand on lui avait demandé si, après la mort de Nino, elle avait envisagé de tout plaquer, de changer de ville, de vie, elle s’était étonnée même de notre question :  » Je n’ai aucune envie d’être ailleurs, nous avait-elle lancé d’une voix claire. Ici, il y a un bonheur de vivre, même si ce n’est pas toujours évident avec les vingt-trois hectares à entretenir… «   

Comment Kinou Ferrari et Nino Ferrer se sont-ils rencontrés ?

Kinou Ferrari n’aimait plus Paris depuis longtemps. Pourtant, c’était là, dans la capitale, que tout avait commencé. Dans un café de la rue François Ier, près des Champs-Elysées. Flashback. On est en 1966. Kinou apprend que Nino Ferrer cherche une assistante.  » A cette époque, racontait-t-elle, j’avais déjà été un peu mannequin, interprète, j’avais arrêté le tennis après avoir quand même joué sur le central de Roland-Garros en finale junior, je pouvais tout faire, alors je me suis dit “pourquoi pas”. «  

Quand elle arrive au rendez-vous fixé par l’imprésario, elle est reçue par l’homme qui caracole déjà en tête des ventes avec Mirza, accompagné de son père et de sa mère. Marqué, tout gamin, par l’Italie sous Mussolini, puis, une fois débarqué à Paris, au lycée Saint-Jean-de-Passy, par un racisme qu’on lui jette à la figure sur fond de « sale rital « , ses parents ont été et sont restés le seul vrai refuge de Nino Ferrari. Son paradis éperdu. Kinou se souvient même que c’est chez eux qu’elle commence à travailler comme assistante-secrétaire.

Pendant deux ans, ils apprennent à se connaître. Leur tempérament de Lion ne s’affrontent pas, au contraire, ils s’accordent. Si bien que, deux ans plus tard, comme une évidence, ils sont ensemble. Enchaînant les succès (Les Cornichons, Le Téléfon, mais aussi la très jolie Maison près de la fontaine), Nino et son allure de dandy un rien déjantée, plaisent. A La Martinière, propriété en banlieue parisienne où ils vivent, il y a du passage : des musiciens (beaucoup) et des filles (jolies).  » Oui, bien sûr que quand nous étions ensemble, Nino a eu des aventures, lâchait Kinou, moi aussi d’ailleurs. Oui, il y a eu l’histoire avec Brigitte Bardot, et d’autres encore, mais il n’y avait rien de malsain derrière tout ça. «  

Nino Ferrer et Brigitte Bardot se rencontrent lors d’une soirée. Et se sont retrouvent à Rome, où Nino et Kinou s’étaient installés un temps. De Brigitte Bardot, le chanteur disait à la journaliste Denise Glazer qui l’interrogeait :  » Elle était blonde, mais pas vaporeuse, non, beaucoup plus que ça. Je suis tombé très, très amoureux, pour la première fois de ma vie. […] Je suis tombé amoureux d’elle comme on le fait à 18 ans,  ça a duré très, très peu, ça a duré une semaine. C’est tout.  » Dans son autobiographie, Bardot parlera également d’un  » coup de foudre «  entre eux, ajoutant qu’il lui écrira une chanson (Libellule et papillon qui sera retitrée Play boy scout).

PHOTOS – Brigitte Bardot : qui sont les hommes de sa vie ?

Sur le moment, Kinou a un « petit choc « . Car même si la mode alors est au libertinage, quand on est amoureuse, l’infidélité fait mal. Mais Kinou fait avec. S’agace aussi des rumeurs qui en rajoutent. Surtout quand Radiah Frye (la mère de Mia Frye) pose nue aux côtés du chanteur sur la mythique pochette de Sud.  » Radiah, c’était comme ma soeur, elle a habité à la maison avec sa fille pendant l’enregistrement de l’album, elle était avec Charles Matton pendant toute cette période, il n’y a jamais eu d’histoire entre elle et Nino. «  

C’est d’ailleurs à cette époque que naît Pierre. En septembre 1973. Puis Arthur, en février 1979, alors que toute la famille a déjà emménagé dans un  » vieux château isolé au bout du monde « , comme disait Nino, dans le Sud-Ouest de la France, au lieu-dit La Taillade. L’arrivée des enfants ne change pas le rythme. «  Il fallait juste assurer un peu plus encore « , confiait Kinou. Ici comme ailleurs, c’est elle qui tient la cuisine pour régaler les tablées d’amis et musiciens de passage (elle publiera d’ailleurs un livre, Kinou cuisine,  éd. La Fanfare, en 2016). Nino, lui, écrit des albums plus mélancoliques, graves ou désabusés, des albums-concept, loin des Oh ! Hé ! Hein ! Bon ! et autres satanés Mirza, qu’il ne renie pas, non, mais qui font trop d’ombre à toutes les autres couleurs de sa créativité.   

Ce jour où Nino Ferrer s’est donné le mort

 » Nino souffrait juste de ne pas pouvoir faire entendre toutes ses facettes. « , nous avouait Kinou. Elle disait vrai car qui se souvient aujourd’hui que dix albums – où dorment pourtant des perles – sont sortis après Le Sud ? Qu’un bruit d’été ouvre celui qui s’intitule Blanat ? A cette époque, Nino Ferrer semble loin… Et puis, en août 1998, un coup sec réveille la France. Un coup de feu. Une balle en plein coeur. Nino Ferrer se donne la mort. Deux jours avant ses 64 ans. Deux mois après le décès de Mounette, sa maman.   

 » Nino s’est senti responsable de la mort de sa mère, nous avait glissé Kinou. Il avait fait faire des travaux, juste à  côté de la maison et avait voulu les montrer à sa maman. Elle est tombée et, à partir de cette chute, tout s’est enchaîné, elle n’a pas survécu. Nino s’est senti coupable. Il ne s’en est pas remis. «  

Près de vingt ans après ce drame, la voix de Kinou se crispait encore quand elle se remémorait ces moments. On devinait la colère, le chagrin, le remords aussi de ne pas avoir fait aussitôt appel à un spécialiste.  » Le traitement qui lui a été prescrit a permis le passage à l’acte, avait-elle expliqué. Ce qu’il fallait à Nino, c’était une cure de sommeil, mais mon propre père s’était suicidé dans l’hôpital psychiatrique où il était soigné et, depuis, je m’étais juré que si un jour quelqu’un allait mal autour de moi, jamais je ne le ferais hospitaliser. J’étais dans cet état d’esprit quand Nino a commencé à sombrer. »

Lors de notre rencontre, on lui avait demandé comment elle s’en était sortie, elle avait juste repris, en écho :  » Je m’en suis sortie… La vie continue. «   La pudeur. Le bruissement d’une abeille, prélude à l’été qui arrivait alors avait juste froissé le silence alentour. Et puis elle nous avait livré ce souvenir :  » Un jour, on était assis dans la cour…Il m’a dit qu’il me remerciait, parce que je lui avais apporté le bonheur.  » De toutes ces années, elle ne retenait qu’une chose : l’amour. Nous adressons nos condoléances à Pierre et Arthur, leurs enfants.

Crédits photos : BOWEN / BESTIMAGE

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