Interview.- À l’occasion des 80 ans du personnage créé par DC Comics en 1981, l’actrice américaine, qui fut la première interprète de la plus féministe des superhéroïnes, revient sur l’héritage que cette dernière a laissé derrière elle. À la pop culture comme à elle-même.
Sa silhouette est éternelle. Short bleu étoilé, tiare et accessoires dorés : en 1975, l’actrice Lynda Carter inscrit dans l’inconscient collectif un personnage de bande-dessinée, Wonder Woman, en l’interprétant dans une série télévisée au succès mondial. Comme tous les superhéros, l’Amazone, qui se cache derrière une identité plus officielle (Diana Prince) pour mieux se couler dans notre monde, possède des pouvoirs et des accessoires magiques (dont le fameux «lasso de la vérité», qui pousse quiconque y est emprisonné à dévoiler ses sombres secrets). Elle est animée d’une soif implacable de justice et d’équité. Des qualités, alliées à une force surhumaine, qui font d’elle l’une des premières grandes héroïnes féminines, et féministes, de la pop culture.
Avant de commencer à jouer dans la série à l’âge de 24 ans, l’Américaine Lynda Carter avait entamé une carrière de chanteuse. Elle a été élue, en 1972, Miss Amérique. Depuis, elle est revenue à la musique et, à 70 ans, sortira un nouvel album le 29 octobre. Et si son personnage a depuis été repris au cinéma, dans les années 2010, par l’Israélienne Gal Gadot, Lynda Carter reste l’incarnation inoubliable d’une superhéroïne dont on fête cette année les 80 ans. À cette occasion, DC Comics, éditeur des bandes dessinées qui l’ont vue naître en 1941, lui a dédié tout une série d’événements. Dont une masterclass au festival Canneséries et la sortie d’un coffret DVD. Rencontre avec une icône.
En vidéo, la bande-annonce de « Wonder Woman 1984 »
Un personnage de son époque
Madame Figaro .- Vous avez commencé à interpréter Wonder Woman en 1975. Vous attendiez-vous à ce que la série rencontre un tel succès ?
Lynda Carter .- Oui. Moi, celle que je jouais, c’était Diana Prince avant tout. Et je savais que la série serait un succès parce que ce personnage donnait envie, soit de lui ressembler, soit d’être sa meilleure amie. Et parce que c’était une femme très forte.
C’était un personnage féministe. L’étiez-vous aussi?
Bien sûr! Il faut se rappeler de la période à laquelle la série a été tournée. J’étais une jeune femme qui grandissait dans les années 1970 : c’était l’époque de Gloria Steinem, de la guerre du Vietnam, celle où l’on brûlait nos soutiens-gorge et où l’on manifestait. Il ne faut pas oublier que Kent State (une manifestation étudiante pacifiste au cours de laquelle la police a tiré sur la foule et causé 4 morts, en 1970, NDLR) venait d’avoir lieu, c’était à nous d’y faire face. Moi, je chantais dans un groupe, mais j’avais décidé que ce n’était pas ce que je voulais faire de ma vie. Je voulais aller vivre à Los Angeles, je me sentais en charge de mon destin : donc oui, j’étais féministe. Mais mon féminisme a évolué depuis. Tout comme le féminisme en général : il s’est radouci sur certains points, durci sur d’autres. Je crois qu’il s’agit de quelque chose de vivant, qui respire et évolue. Cela change tout le temps.
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Vous avez interprété le rôle de Wonder Woman pendant quatre ans. Dans quelle mesure ce personnage vous a-t-il changée ?
Il m’a donné du courage, plus que je n’en avais. Quand j’ai commencé Wonder Woman, j’étais célibataire. Durant les quatre ans qu’ont duré le tournage, je me suis mariée, et j’ai quitté mon époux (son agent, Ron Samuels, avec qui elle a été mariée de 1977 à 1982, NDLR). C’était un moment tumultueux de ma vie, et Wonder Woman m’a vraiment sauvée. Rien qu’être sur le plateau m’a protégée : quand on est très jeune et qu’on a fait une erreur, c’est plus facile de l’oublier si l’on travaille tout le temps, et en quelque sorte, de ne pas y faire face. Mais Wonder Woman m’a préservée dans le sens où quand tout a vraiment été fini, je savais ce que je devais faire. Et cette décision m’a permis, plus tard, de rencontrer l’homme de mes rêves, avec qui j’ai été mariée pendant trente-sept ans (l’avocat Robert Altman, qu’elle a épousé en 1983, décédé en février dernier, NDLR). Je l’ai récemment perdu, mais il a changé ma vie.
Poings sur les hanches
La notoriété du personnage a-t-elle été parfois été pesante ? Vous êtes-vous sentie effacée par elle ?
Mais c’est justement de cela qu’il s’agit avec elle, non ? D’une personne qui en cache une autre, plus secrète. Mais qui exprime aussi sa vérité. Je suis contente d’avoir laissé cette trace de mon existence. Si je n’avais pas laissé, quelque part, un peu de moi-même sur une bande de celluloïd, je n’aurais pas bien fait mon travail.
Wonder Woman était également un objet de désir. Que pensez-vous du fait qu’elle était sexualisée?
Je ne la considérais pas comme sexy. Et je vais vous dire pourquoi : dans la vie, il y a «pose» (elle prend une attitude glamour et lascive, NDLR) et «pose» (elle regarde droit dans la caméra, poings sur les hanches). Elle était plutôt comme ça.
Le lasso de la vérité
Wonder Woman avait des superpouvoirs et des accessoires magiques. Lequel aimeriez-vous posséder ?
J’habite à Washington. Vous êtes à Paris ? Prenons le lasso de la vérité. Imaginez le pouvoir que nous aurions… On règnerait sur le monde!
Sur qui lanceriez-vous le lasso ?
Probablement sur le directeur de la Banque mondiale. Il pourrait nous dire où sont cachés les cadavres (rires). Je ne dis pas qu’il ment, mais en tout cas, je l’utiliserais sur quelqu’un qui sait ce qui se passe dans le monde de la finance, quelqu’un qui tire vraiment les ficelles. Mais sans doute ne me limiterais-je pas à une seule personne, ni au domaine politique. Cela dit, je ne fais pas partie des gens qui pensent que tout le monde ment. Moi, par exemple, je ne mens pas. C’est trop de problèmes.
James Olson et Lynda Carter dans un épisode de Wonder Woman, diffusé en 1977, où l’héroïne utilise le «lasso de la vérité.»
Quel effet cela faisait-il de voler dans un avion invisible ?
Je pense surtout qu’il était beaucoup plus réussi dans Wonder Woman 1984 que le nôtre, qui ressemblait à un siège de bus Greyhound entouré de plexiglas (rires). C’était assez kitsch ! Au-delà de ça, j’aime beaucoup Gal (Gadot, qui tient le rôle au cinéma depuis 2016, NDLR) et Patty (Jenkins, qui a réalisé Wonder Woman en 2017 et Wonder Woman 1984 en 2020). J’ai même fêté mon anniversaire avec cette dernière : nous sommes nées le même jour, à vingt ans d’écart !
Que souhaiter à Wonder Woman pour ses 80 ans ?
Je lui souhaite l’éternité. Et elle l’aura, elle sera encore là dans cent ans. Je souhaite qu’on n’oublie jamais ses origines. Qu’on ne la transforme pas, qu’on ne fasse disparaître sa bonté, sa gentillesse, qui doit être préservée avant tout.
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