L’inoubliable interprète de “La Valise en carton” nous a quittés ce 28 décembre, à l’hôpital de Gisors. Retour sur une femme courage, qui n’a cessé de surmonter les coups durs et les cruelles déceptions…

En ce mercredi gris du 28 décembre, le communiqué de son agent, Fabien Lecœuvre, est tombé comme un couperet : « Son fils, João Lança, et moi-même avons la douleur de vous apprendre le décès ce matin, à 10 h 10, de madame Linda de Suza, à l’hôpital de Gisors, où elle avait été transférée très tôt ce matin, pour insuffisance respiratoire et positive au Covid-19. » La comédienne de théâtre n’avait pas voulu faire ses rappels de vaccins contre ce virus redoutable qui a déjà emporté le chanteur Christophe. Un oubli qui lui a été fatal… D’autant que, dans la maison de repos où elle se trouvait, vingt-et-un cas de Covid avait été diagnostiqués ces derniers temps alors que seulement six aides-soignants étaient sur place ! Depuis deux jours, la chanteuse se trouvait en insuffisance respiratoire mais, par manque de place, il a été impossible de la faire hospitaliser dans le service qui aurait pu l’aider… jusqu’à ce mercredi matin, mais, hélas, trop tard.

Cette immense artiste a donc rendu son dernier souffle à Gisors, cette ville de l’Eure, à l’âge de 74 ans. Et c’est là que Linda a vécu l’enfer durant les derniers mois de son existence. Admise au service psychiatrique en août dernier, la chanteuse se trouvait dans un état de délire permanent.

En pleine crise de paranoïa, elle se sentait suivie, répétant qu’on voulait lui voler son argent et, pire encore la tuer. Partie dans son monde, Linda évoquait un combat entre les forces du bien et du mal, en s’exclamant sans cesse « Jésus est là ! ». Ses médecins craignaient le pire, car elle avait cessé de s’alimenter, alors que sa maigreur était déjà inquiétante auparavant. Leurs chances de la ramener du monde des ombres à celui des vivants s’amenuisaient de jour en jour. Très affaiblie, vivant un cauchemar dans l’univers parallèle créé par son esprit malade, dans cet état, elle ne pouvait résister à un virus mutant qui détruit en un temps record le système respiratoire…

C’est dans un livre autobiographique, publié en 1984 et vendu à plus de 2 millions d’exemplaires, La Valise en carton, que Linda avait évoqué pour la première fois son parcours chaotique, expliquant avoir grandi dans la misère au Portugal, réduite à se rendre à la soupe populaire pour nourrir les siens. Mais il a fallu attendre 2015 et la parution d’un autre ouvrage, plus sombre, Des larmes d’argent, pour en apprendre davantage sur son enfance à la Cosette, où son père la frappait et sa mère l’ignorait. La petite n’a que 6 ans lorsqu’elle quitte ces parents terribles pour intégrer une institution catholique, cornaquée par des bonnes sœurs pas commodes. Pour ne rien arranger à sa situation, c’est toute jeune femme qu’elle donne naissance, en 1968, à un petit garçon, João. Devenue fille-mère, elle n’a qu’une idée en tête : mettre le cap sur la France.

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Mais à son arrivée dans l’Hexagone, personne n’attend cette immigrée clandestine déjà chargée de famille. Linda enchaîne les petits boulots pour faire bouillir la marmite, femme de chambre ou concierge. Certains de ses clients exigent d’elle des tâches allant bien au-delà de ses attributions, comme la chanteuse l’a raconté dans Des larmes d’argent : « J’étais en état de survie, et c’est pour cela que j’ai tout accepté, a-t-elle avoué. Entre “Doudou” et moi, les choses se passaient simplement. J’acceptais qu’il pose ses mains sur mon corps et, en échange, il me donnait de l’argent. » Mais un miracle va se produire ! Une fois à Paris, en 1973, Linda, malgré tous les abus subis, garde son rêve en ligne de mire : devenir chanteuse. Elle propose des maquettes dans toutes les maisons de disques. Et sa voix finit par séduire un découvreur de talents du label Carrère. En un instant, comme elle l’a confié plus tard, Linda passe « du ménage au micro ». Son premier single, Le Portugais, sorti dans les bacs en 1978, se classe au dixième rang du hit-parade. La chanteuse enchaîne les tubes, battant son record avec Tiroli-Tirola, qui se vend à plus de 500 000 exemplaires. L’apothéose de sa jeune carrière survient en janvier 1983 : face au triomphe de ses deux premiers concerts à l’Olympia, le directeur de la salle décide de prolonger le plaisir et Linda enchaîne quinze soirées sur cette scène mythique !

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Cette fois, l’ex-femme de chambre goûte à la gloire, notamment grâce au succès de son autobiographie La Valise en carton, vite adaptée en comédie musicale puis pour le petit écran. Mais son divorce d’avec la maison Carrère, en 1987, ne lui porte pas chance…

Traversée du désert

©Bernard LEGUAY via Bestimage

Si Linda a vendu au total plus de 20 millions de disques, le succès n’est plus systématiquement au rendez-vous. Entre 1998 et 2014, l’artiste entame même une longue traversée du désert. À cette plaie d’argent s’ajoute une blessure plus intime : son fils João refuse de parler à une mère qu’il ne porte pas dans son cœur : « Si elle a voulu me voir c’est uniquement pour faire parler d’elle dans les médias, accuse-t-il. Elle a toujours utilisé les gens à son profit et n’a jamais supporté la mère de mes enfants. » Comme si cela ne suffisait pas à ses malheurs, en 2010, Linda porte plainte pour usurpation d’identité, après avoir découvert que sept comptes en banque avaient été ouverts à son nom depuis 1979. Et elle apprend que le traître responsable de ses déboires partageait sa vie ! « Raymond couchait avec moi pour le pognon ! Il a tout fait pour que je ne m’occupe pas des questions d’argent depuis mon arrivée chez Carrère. Je suis ruinée, se lamentait la chanteuse, je touche 400 euros par mois et, sans fiche de paie, je n’aurais pas de retraite. »

En 2014, son existence connaît pourtant une éclaircie, grâce à sa participation à la dernière croisière des idoles Âge tendre et tête de bois. Un an plus tard, Linda joue dans un téléfilm de France 3, La Boule noire, et Michel Drucker lui consacre un numéro de Vivement dimanche, sur France 2. D’un seul coup, les Français se rappellent son existence. Et les producteurs aussi. Mais cette embellie sera, hélas, de courte durée. Début 2020, son projet Cartes postales du Portugal est soudain annulé « pour raisons de santé » selon ses promoteurs. Un motif que Linda conteste vertement sur son compte Facebook : « Je suis extrêmement peinée par cette situation, avait-elle écrit, et surtout par le motif invoqué pour cette annulation, car, contrairement, aux allégations de ces apprentis producteurs, je suis tout à fait capable de chanter sur scène. »

Après cet épisode, Linda ne s’adressa plus qu’à deux reprises à ses abonnés, notamment en avril 2020, pour faire taire la rumeur selon laquelle elle aurait contracté le Covid-19. Triste ironie du sort : c’est justement ce terrible virus qui, ce bien désolant mercredi 28 décembre, entre Noël et la Saint-Sylvestre, a fini par lui être fatal…

Vanessa ROUDET

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