L’héroïne de Dix pour cent , dont la quatrième saison arrive ce mercredi 21 octobre sur France 2, a eu plusieurs vies. Sa jeunesse aux côtés des géants du jazz, le viol dont elle a été victime, ses tournages… elle en a tiré un incroyable récit*.
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Vous consacrez une grande partie de vos mémoires à votre vie avec les jazzmen. Cet amour de la musique est-il plus fort que celui du cinéma et du théâtre ?
Non, j’ai la passion des deux mais je vis beaucoup en musique. C’est un mode de vie, vous savez. J’ai toujours été attirée par ça. Je ne sais pas comment je dois l’analyser. Je trouve que j’ai de la chance d’être sensible à cette musique, d’être attirée par ces gens. Quand j’ai découvert le jazz, il y a un truc qui m’a fait un très gros effet, même si je ne l’analysais pas. Je n’avais ni repère ni connaissance, je ne connaissais même pas le mot « jazz ». Ça me plaisait tellement que je n’arrêtais pas d’en écouter à tel point qu’on me disait « arrête de mettre tout le temps la même chose ! »
On croise les plus grands de la musique dans votre récit, Charlie Parker, Erroll Garner, Art Blakey… Comment définiriez-vous les liens qui vous unissaient ?
Je ne suis pas une groupie, c’est un mot péjoratif pour moi. Ça ne s’explique pas avec des mots, ce sont des atomes crochus. Je suis de la famille. J’aimais vivre cette vie, avec eux, je me sentais chez moi. J’adore mon métier, mais je n’ai pas cette affinité avec les comédiens.
Avez-vous l’impression d’avoir eu une jeunesse hors du commun ?
C’est ce qu’il en ressort aujourd’hui. J’étais quelqu’un de libre. À une époque où les filles devaient être sages, bien élevées, à leur place, modestes, pas trop bruyantes, j’allais là où les choses se passaient et si elles se passaient avec les garçons, je voulais être là et pas ailleurs. J’avais une vie excitante. J’ai toujours recherché l’adrénaline. Il y avait le plaisir de la musique, j’aimais le milieu où j’évoluais. Je suis tombée dans la marmite, là où c’était chaud.
Aviez-vous conscience de côtoyer les plus grands musiciens du XXe siècle ?
Je n’ai jamais trop eu d’idole. De culte des gens célèbres. Mais l’importance de Charlie Parker, je la connaissais.
Vous avez vécu une histoire d’amour avec Chet Baker. Comment voyez-vous cette relation avec le recul ?
Il était tendre. Ce n’était pas quelqu’un qui parlait beaucoup, qui aimait entrer dans une discussion avec des échanges d’idées. Il ne parlait pas de lui, ne s’expliquait pas, ne me demandait pas à quoi je pensais. Mais du côté des sentiments et du corps, ça fonctionnait bien. La conversation et la connaissance l’un de l’autre, moins. Mais j’étais très jeune et lui n’avait que quelques années de plus que moi.
Vous parlez beaucoup de drogue dans le livre, vous en avez essayé pas mal au contact des musiciens. Vous considérez-vous comme une survivante ?
Non, parce que je touche une fois mais pas deux. L’héroïne, c’est très agréable, mais elle est plus forte que vous, il ne faut pas se marier avec. Il ne faut se marier avec rien, sauf avec l’effort. La seule chose que j’aie gardée, c’est l’herbe. Je ne bois pas, je ne fume plus de cigarettes depuis quarante ans. Je ne prends rien pour dormir, je mange bien. Si j’avais été alcoolique et que je me sois shootée toute ma vie, ça se verrait.
Vous racontez la toxicomanie de nombreux jazzmen. On se demande comment ils arrivaient à jouer. Les musiciens actuels sont plus sages…
C’était une autre époque. Mais l’héroïne n’altère pas les fonctions du cerveau. Ça détruit autrement. L’alcool détruit le cerveau, bien plus que l’héro. Un musicien peut jouer défoncé. Mais s’il est alcoolisé, c’est beaucoup plus compliqué. Aujourd’hui, les musiciens sont beaucoup plus clean, mais ils sont moins swing. Moins marrants. Ils se prennent au sérieux. Leurs aînés étaient plus drôles.
Vous avez connu la violence des hommes, violée à 18 ans par deux individus. Vous n’en avez pas parlé alors. Le feriez-vous aujourd’hui ?
Aujourd’hui, oui. Si je pouvais coincer ces deux salauds, je ne me gênerais pas. À l’époque, je ne me suis pas sentie traumatisée. Je ne sais pas comment j’ai fait cela, mais je ne me suis pas lovée dans la douleur. Je n’en ai parlé à personne et je le raconte dans le livre pour la première fois. J’ai sauvé ma vie à ce moment-là parce que je ne savais pas de quoi ces mecs étaient capables. Instinctivement, j’ai adopté la meilleure conduite possible. Passivité. Pas de contact, pas de pleurs, pas de paroles, rien. Je suis rentrée chez moi saine et sauve, je me suis lavée et je n’en ai pas fait une maladie. Je n’allais pas laisser ces deux salauds me pourrir la vie. Et le raconter aujourd’hui ne libère aucun trauma.
Vous avez manqué de vous faire agresser par trois Américains, votre mari Bibi Rovère a failli faire de votre vie un enfer… C’est une constante la violence des hommes ?
Elle est là, oui. Beaucoup d’hommes sont violents. Ils mettent la virilité là où elle n’est pas : entre leurs jambes. Être un homme, ça dépend de votre caractère, de votre maîtrise, de votre attitude. Il faut être un « Mensch », comme on dit chez les Juifs. Pas un gamin. Un homme qui n’a pas peur d’une femme intelligente et qui n’a pas peur d’être dévirilisé parce qu’elle l’est.
Vous avez trouvé une exposition médiatique importante grâce à la série Dix pour cent. Êtes-vous d’accord avec ceux qui disent que passé 40 ans, il n’y a plus beaucoup de rôles pour les femmes ?
C’est une réalité. Les femmes n’ont pas une position prépondérante dans la société et pas plus dans le cinéma. L’actrice la mieux payée du monde est moins bien payée qu’un homme du même rang. Dans les scénarios, elles ont des rôles assignés : l’épouse, la maîtresse, la mère, la fille, la rivale, la bonne… Mais c’est en train de changer. D’ailleurs quand je tourne et que je vois des équipes, je suis épatée par le nombre de femmes sur les plateaux. Dans l’écriture des rôles, ça résiste plus. Surtout au cinéma. Il y a eu une vraie évolution en France. Elles rattrapent le temps perdu grâce à des scénaristes incroyables. Qui pouvait s’attendre au succès international d’une série comme Dix pour cent ? Les retours que j’ai sont étonnants. Je suis tombée sur Jacqueline Bisset à Angoulême au festival organisé par Dominique Besnehard (Festival du film francophone d’Angoulême dont Dominique Besnehard est le co-créateur, ndlr]. Elle est venue me prendre les mains en me félicitant pour mon rôle dans la série. Elle l’adore ! Les frères Coen adorent Dix pour cent !
Avez-vous le sentiment d’entamer une seconde carrière ?
Il est sûr que la série a élargi mon rayon d’action. Avant, à 82 ans (elle a 86 ans, ndlr), je n’avais pas collectionné les grands rôles mais j’avais beaucoup travaillé. Ma réputation a soudainement pris une tout autre envergure. C’est l’effet de la médiatisation. Ça ne m’embête pas du tout mais je fais très attention à ne pas devenir prétentieuse, contente de moi. J’ai un gros narcissisme de comédienne, mais pas un narcissisme malsain. C’est comme le cholestérol, il y a le bon et le mauvais (rires].
Dans le livre, vous vous adressez à votre petite-fille en l’appelant à ne pas oublier que la beauté est une loterie. Vivons-nous aujourd’hui une forme de dictature de l’apparence ?
La dictature de la beauté est très présente. Je vois bien que ma petite-fille essaye d’imiter les standards qu’elle a sous les yeux. Elle est très jolie. Je lui ai dit : « On va te le dire mais ne la ramène pas. Tu n’as rien fait pour être comme ça. Tu es belle tant mieux, mais l’autre à côté de toi voudrait bien être belle aussi. Et elle ne vaut pas moins que toi. »
* La folle vie de Lili, éd. Robert Laffont.
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