La Suisse Sophie Hunger confirme son talent à part avec un septième album mêlant pop, folk et jazz.
Nous sommes en 2020, les Beatles ne reviendront pas et pourtant une jeune artiste a décidé d’enregistrer un disque à rebours de l’Histoire, à l’endroit même où la légende pop est née en 1962 : pour son septième album, l’entêtant Halluzinationen, Sophie Hunger s’est enfermée durant deux jours dans les studios londoniens d’Abbey Road, où elle a couché ses dix chansons d’un trait, en prise live, sans aucune répétition préalable avec son groupe mêlant batterie acoustique et effets électroniques. « Nous l’avons joué six fois de suite, la sixième fut la bonne », dit la chanteuse et multi-instrumentiste.
La BO du film d’animation Ma vie de Courgette
Sophie Hunger est probablement la seule artiste suisse à avoir été nommée aux Césars – pour sa BO du film d’animation Ma vie de Courgette (2016) – tout en ayant usé nos nerfs sur des musiques d’attente – elle a composé la mélodie de l’opérateur Orange. Révélée en 2006 en Suisse romande au festival de jazz de Montreux, elle n’a cessé depuis de rechercher de disque en disque le vertige qui l’avait saisie lors de sa première émotion musicale. « J’ai grandi en Angleterre, raconte la musicienne, née Emilie Jeanne-Sophie Welti à Berne il y a trente-sept ans. Le dimanche, à l’église, on chantait. Je guettais l’arrivée des refrains. C’est là que je voulais qu’on m’entende, là que j’ai ressenti une soif plus forte que les autres. »
«
La seule condition d’accès était d’avoir 0,3% d’alcool dans le sang
«
Après le plus électronique Molecules (2018), inaugurant sa collaboration avec le réalisateur artistique Dan Carey (Franz Ferdinand, Kylie Minogue), il se peut que la promesse hallucinatoire de ce nouvel album se concrétise. Dès l’ouverture, Liquid Air enivre avec son afro-beat et son piano électrique d’une grâce tellurique contrastant admirablement avec la puissance aérienne d’un chant de recluse. C’est le premier titre qui lui est venu, il y a un an tout juste. C’était un temps ancien, fou, déraisonnable. Expatriée à Berlin, elle se ressourçait chaque soir dans le bar à huîtres clandestin situé au sous-sol de son immeuble, quartier Kreuzberg. « Ça s’appelle Le Pigeon. La seule condition d’accès était d’avoir 0,3% d’alcool dans le sang. A l’entrée, des physios grimées en pharmaciennes se chargeaient de nous tester. Quand on entrait dans la salle, l’air paraissait comme liquide. »
En anglais et allemand
Il y avait là Maria Magdalena, une prostituée dont on ne sait si elle a lu la Bible mais qui a inspiré à Sophie Hunger l’une de ces ballades à la croisée du folk, du jazz et du chant liturgique qui en fait une cousine imaginaire et européenne de Feist. Cette « prière » constitue l’une des sept compositions en anglais de cet album se partageant avec l’allemand, timbre fêlé sur l’envoûtant Security Check, boosté dans les graves sur l’irrésistible Halluzinationen.
«
C’est un disque qui questionne sur la solitude consubstantielle à l’imaginaire d’un musicien
«
Dans son texte, Sophie Hunger dit qu’elle entend des voix et qu’elle a des visions kaléidoscopiques. En 2015, elle confiait que sa passion lui avait tout pris : « J’ai tout investi dans la musique, une activité professionnelle où je me sens épanouie, et par conséquent ma vie privée est inexistante. » Elle refuse de s’épancher davantage. « C’est un disque qui questionne sur la solitude consubstantielle à l’imaginaire d’un musicien. Seulement, les hallucinations sont-elles un début ou une conséquence de cet état? » Et Jeanne d’Arc a-t‑elle jamais eu 37 ans?
Elle se morfond de ne pas pouvoir donner vie à cet album en tournée mais elle en a déjà écrit la suite. En plein confinement, faute de lumières de cathédrale, elle s’est retranchée avec deux amis dans un club de Berlin pour enregistrer tout un recueil de chansons d’amour en suisse allemand. « Je voulais prouver que c’était la meilleure langue pour exprimer ce sentiment! Le confinement m’a renforcée encore plus dans mon engagement musical. Je me suis sentie comme une ado de 16 ans avec sa guitare au bord d’un lac. »
Halluzinationen *** (Caroline/Universal)
Source: Lire L’Article Complet