Succédant à sa défunte mère la reine Elizabeth II, le nouveau roi Charles III n’hérite pas seulement de la Couronne britannique, mais aussi de 14 royaumes dits du Commonwealth, issu d’un passé de domination sanglante.
Si le roi sera officiellement couronné le 6 mai 2023, il doit déjà faire face à un travail de mémoire sur l’esclavagisme et les conséquences du profit colonial de ses ancêtres, qui ressurgit à l’occasion de ce nouveau chapitre qui s’ouvre pour la dynastie Windsor.
Comme le notait The Guardian, à la suite de la mort d’Elizabeth II, qui était pourtant une souveraine respectée et ultra-populaire, le deuil national protocolaire n’a pas été honoré de la même façon au sein du Commonwealth, institution multi-étatique dont elle était la cheffe. « Le règlement des comptes est en bonne voie », analyse l’universitaire américaine Maya Jasanoff, spécialiste de la Grande-Bretagne et de l’Empire britannique dans le média anglais.
Pour comprendre pourquoi le règne du roi Charles III devrait être marqué par la colère et le besoin de réparation, il faut se rappeler le lourd héritage colonial laissé par Elizabeth II.
Un début de règne mouvementé
Lorsque la reine Elizabeth II accède au trône en février 1952, l’Angleterre a entamé sa décolonisation. Si l’Empire britannique a été la première puissance européenne à renoncer à la ses colonies, cette transition ne s’est pas déroulée sans heurts et ni violences. Au contraire.
À cette époque, l’Inde ne fait déjà plus partie de l’Empire britannique (elle est une République et devient indépendante en 1947), un vent d’émancipation souffle sur les colonies britanniques.
Au Kenya, par exemple, la révolte nationaliste des Mau-Mau illustre la puissance de la répression britannique sur ses territoires d’alors. Et du silence de la Couronne, au nom de laquelle, pourtant, les gouvernements successifs du Royaume-Uni espéraient faire perdurer leur domination, portée par représentants blancs et loyaux à l’Empire dans chaque territoire accaparé.
Les Mau-Mau, des combattants principalement issus du groupe ethnique le plus important au Kenya, les Kikuyu, rappelle la BBC, s’étaient dressés contre les colons blancs qui les marginalisaient et exploitaient leurs terres fertiles. Après des raids organisés contre des fermes de colons, et le vol de leur bétail, l’administration coloniale britannique, épaulée par l’armée, a mené une contre-offensive extrêmement violente.
Entre 1952 et 1960, des dizaines de milliers de Kényans ont été massacrés, réprimés par les autorités britanniques, placés dans des camps de concentration, torturés ou encore pendus sur décision de justice. Entre 10 000 et 90 000 Kényans sont décédés, chiffre Le Temps, une large fourchette qui montre à quel point cette révolte a été enterrée et occultée. Selon la BBC, dans le camp d’en face, 32 colons ont péri. L’État d’urgence a été déclaré dans le pays pendant huit années, puis le Kenya a obtenu son indépendance en 1963.
Cet épisode du règne d’Elizabeth II est une page de l’Histoire que le Royaume-Uni a longtemps reniée. Il aura fallu attendre 60 ans pour que le pays fasse son mea culpa et reconnaisse ses actions. « Le gouvernement britannique reconnaît que des Kényans ont été torturés ou ont subi d’autres formes de mauvais traitement aux mains de l’administration coloniale. Le gouvernement britannique regrette sincèrement que ces maltraitances aient eu lieu » avait déclaré le ministre des affaires étrangères de l’époque, William Hague, dans un discours historique devant la Chambre des communes en juin 2013.
Le Commonwealth pourra-t-il survivre à la mort d’Elizabeth II ?
Le chef du Commonwealth, institution résiduelle de la décolonisation, est généralement le souverain britannique, or le titre n’est pas héréditaire. Charles III en est devenu le leader après décision de ses membres lors d’un sommet à Windsor en 2018 concernant l’héritage honorifique d’Elizabeth Il. Il n’a aucun pouvoir exécutif, mais cette organisation symbolique a un goût de rance à l’heure où les mouvements décoloniaux questionnent le révisionnisme historique sur la colonisation et ses violences racistes qui perdurent aujourd’hui.
Peu avant la morte de la reine, en novembre 2021, le délitement du Commonwealth avait déjà début, La Barbade devenant une république à cette date. Formée au XXe siècle, il constitue une fédération d’anciennes colonies qui prêtent allégeance à la Couronne.
Au sein de l’organisation, qui réunit 56 états-membres, quatre pays ont activement participé à asseoir la domination britannique dans ses territoires et sur sa population : L’Australie, le Canada, la Nouvelle-Zélande et l’Afrique du Sud, dont les propres exactions racistes ont marqué l’Histoire. Ironiquement, la charte du Commonwealth contient notamment le rejet des discriminations.
Le règne d’Elizabeth II ayant été très cérémonieux et dévoué à la couronne, et non pas exécutif, cette-dernière n’avait pas, ou peu, été tenue pour responsable dans les choix politiques de ses dirigeants. Une posture qui a entretenu sa popularité. Une aura dont ne bénéficie pas son fils.
L’engagement timide de la reine sur l’Apartheid
Durant son règne, Elizabeth II a oeuvré pour maintenir les relations diplomatiques entre le royaume et ses anciennes colonies. Elle y a effectué plus d’une vingtaine de tournées et a visité au moins une fois chaque pays, soit une centaine, rappelle le journal Les Échos.
En 1979, Elizabeth II s’est opposée au gouvernement de son pays, et plus particulièrement à Margaret Tatcher, Première ministre britannique avec qui elle était en conflit. Cette-dernière refusait de condamner l’Apartheid qui se déroulait alors en Afrique du Sud, tournant ainsi le dos aux membres du Commonwealth qui s’en indignaient.
La même année, la reine s’est rendue à un sommet organisé à Lusaka, en Zambie, regroupant des chefs de gouvernement du Commonwealth. Les discussions étaient tendues à cause du conflit entre la Rhodésie du Sud (aujourd’hui Zimbabwe) et ses voisins, mais la reine est parvenue à apaiser les échanges, tandis que la Première ministre Margaret Tatcher suscitait la méfiance en soutenant Ian Smith, tête du régime ségrégationniste constitué de la minorité blanche du pays.
La cheffe d’État britannique ne souhaitait pas que la souveraine se rende au rassemblement, souligne TV5 Monde Afrique. Plus tard, le premier ministre de la Zambie, Kenneth Kaunda, dira de sa présence : « Sans le leadership de la reine et son exemple, beaucoup d’entre nous seraient partis du Commonwealth. »
Si l’opposition de la reine Elizabeth II à l’Apartheid a toujours semblé clair, jamais elle ne s’est publiquement prononcée sur le sujet. Toutefois, elle a refusé de se rendre en Afrique du Sud durant 43 ans, lorsque cette politique raciste était en place, et n’avait rencontré Nelson Mandela pour la première fois qu’au Royaume-Uni, en 1990. Les deux figures politiques étaient par ailleurs proches et affectueuses l’une envers l’autre.
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Des tournées royales qui ne passent plus
Au printemps 2022, deux couples royaux se sont fait débouter alors qu’ils étaient en tournée dans le Commonwealth. En mars, déjà, Kate et William ont été sommés de quitter le village d’Indian Creek, au Belize. Des militants autochtones avaient perturbé leur voyage officiel en protestant contre la visite du prince et de la princesse de Galles : « Prince William, quittez notre terre. »
Même scène en Jamaïque quelques jours plus tard. À l’occasion de leur arrivée dans le pays indépendant depuis 60 ans, cent artistes, docteurs, universitaires et politiques locaux avaient signé une lettre ouverte pour réclamer les excuses de la Couronne pour son passé colonial et esclavagiste sur le territoire.
Le Premier ministre jamaïcain, Andrew Holness, leur avait d’ailleurs signifié que la Jamaïque, toujours considérée comme une monarchie constitutionnelle, allait « passer à autre chose » vers un régime républicain. Le dirigeant a évoqué la volonté pour son pays de mettre en place un référendum pour s’extirper du Commonwealth et du giron britannique.
En avril 2022, le dernier fils d’Elizabeth II, le comte Edward, et son épouse, Sophie, devaient marquer l’arrêt sur l’île de Grenade lors de leur tournée dans les Caraïbes en marge du Jubilé de la reine, mais la veille de leur départ cette visite a été annulée. Ce changement de dernière minute a été conseillé par Dame Cécile La Grenade, gouverneure générale et représentante de la royauté sur place, qui s ‘était entretenue avec le gouvernement local en amont.
Les joyaux de la couronne réclamés
Autre signe que la complaisance avec la Couronne britannique a été enterrée avec Elizabeth II, des anciennes colonies demandent la restitution de certains biens qui leur ont été arrachés au bénéfice de la famille royale.
L’Afrique du Sud réclame ainsi le Cullinan I, plus gros diamant du monde de 530 carats, placé sur le sceptre du souverain. Surnommé « Grande Étoile d’Afrique », il a été extrait dans le pays péninsulaire en 1905 et accaparé par les autorités coloniales de l’époque, qui l’ont remis à la monarchie. Sur la couronne, c’est son cousin, le Cullinan II, qui trône en plein centre.
« Le diamant doit être rendu à l’Afrique du Sud avec effet immédiat. Les minerais de notre pays et d’autres pays continuent de profiter à la Grande-Bretagne aux dépens de notre peuple », avait dénoncé Thanduxolo Sabelo, activiste du Congrès national africain dans le Times.
Restitution des richesses volées, indemnisations financières et excuses publiques, le règne de Charles III sera certainement celui du pardon et de la réparation.
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