Minuit à l’heure de Fontainebleau, c’est le cœur des ténèbres. C’est aussi l’heure où Claire Castillon, couchée à 21 h 30, entame son deuxième sommeil. Elle a quitté un appartement qu’elle adorait à Paris pour cette villa cossue des années 30, où Charlotte Rampling a vécu enfant et où l’écrivaine vit maintenant avec sa fille de 9 ans et son mari.

Débouler en pleine nuit dans une maison qui dort à poings fermés a quelque chose de bizarre. Rien n’y bouge, sauf peut-être la flamme des bougies dans l’âtre de la cheminée condamnée. Et les voix des livres qui couvrent tout un mur. Un lieu blanc, immaculé, chirurgical.

C’est ici qu’elle a écrit Les longueurs, un roman jeunesse sur la pédophilie racontée du point de vue de l’enfant sous l’emprise d’un prédateur. La gamine manipulée de 7 à 15 ans par un ami de sa mère se tait sur ce qu’elle croit être un amour clandestin, on suffoque, on a envie d’ouvrir les yeux de la mère, magnifique personnage au demeurant, on a envie de l’accompagner chez les flics, ça suffit, mais Castillon ne lâche pas, elle dissèque la sujétion et la domination, étire l’ambivalence. Claire Castillon a écrit près de vingt romans et recueils de nouvelles. Crus, implacables, inconfortables et captivants.

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Un « animal étrange » qui écrit des « horreurs »

La lire, c’est comme se couper avec une feuille de papier. L’estafilade pique longtemps. D’une courtoisie désarmante parce que rare, elle disparaît pour faire du thé, rapporte des biscuits, c’est parti ! La voix est si basse qu’il faut tendre l’oreille, se concentrer. « Il n’y a qu’un truc qui m’intéresse dans le rapport à l’autre, c’est l’intimité. Je faisais pareil dans la cour d’école, enfant. Je n’étais pas capable d’être en bande, je m’ennuyais avec les gens de mon âge. »

Claire Castillon est un animal étrange. En 2000, elle a 25 ans et une histoire d’amour avec Patrick Poivre d’Arvor, qui en a 53. Que lui suggèrent les plaintes pour viol qui visent l’ex-vedette ? Réponse aussi claire que l’éclat de lumière non tamisée qui veille sur la conversation : « Je ne souhaite pas répondre à cette question. » À Libération, en 2020, elle confiait cependant : « Il y a des âges où l’on est en pâte à modeler, où l’on est fragile et ce n’est pas grave. Ça m’est arrivé… peu importe ce qu’on a pensé de moi. »

Pendant la première décennie des années 2000, Claire Castillon est labellisée « charmant petit monstre » (L’Express, 15 février 2007). Elle balade son aura de mystère dans les soirées parisiennes, rencontre « des hommes pas terribles, pas adaptés, je préférais les mauvais garçons qui sortaient des clous ».

J’ai toujours été plus à l’aise avec des gens très en marge, des vrais solitaires, des vrais pas contents.

Ses romans sans pitié exercent une fascination : dépecer sans compter la misère et la veulerie, le pathétique et la mesquinerie de l’amour à l’œuvre. Comment cette beauté diaphane sortie d’une nouvelle de Gérard de Nerval peut-elle écrire de telles horreurs ? Pour Élisabeth Samama, son ancienne éditrice chez Fayard, « son univers n’a jamais bougé. L’amour – et les dégâts que cela cause à chaque fois – est le grand sujet littéraire de Claire Castillon ».

Dans la grande maison, une guitare – elle est à son mari – qui gît sur un canapé et un livre pour enfants parlent de douceur et d’intimité. L’écrivaine vit en retrait du monde. « La nuit festive me fait horreur. Passé la légère excitation de s’être habillée pour sortir… Les gens sont faux, il y a ce sourire affiché, tout le monde a un rôle, la fille paumée, le mec marrant. »

Sa dernière sortie date de septembre, une soirée organisée par Gallimard avec les auteur·es de la rentrée. Elle pouffe devant son inaptitude sociale. « Dans un cocktail, je ne suis pas capable de poser une question normale à quelqu’un. J’ai envie de lui dire : ‘Et sinon, qu’est-ce que t’aimais faire quand t’étais petit ?’ On dirait une autiste. » Nouvelle rasade de rooibos.

« Le côté, allez on est rock’n’roll, je déteste. Je ne suis pas d’accord avec l’idée d’être soi grâce à une substance qui désinhiberait. Il faut arriver à soi en étant soi. Sans un truc qui nous pète le cerveau. Je ne crois pas du tout à cette désinhibition : ah ça y est, j’ai réussi à aller vers l’autre. Si le lendemain, on referme les verrous, je ne vois pas l’intérêt. » L’auteure de Son empire (Éd. Gallimard) serait-elle bonnet de nuit ? « Je ne crois pas, j’ai des amis très originaux. J’ai toujours été plus à l’aise avec des gens très en marge, des vrais solitaires, des vrais pas contents. J’aime la constance, même avec les fous. »

Agoraphobie et rejet des mondanités

Le moment vibre d’une étrange intensité. Cette voix de conteuse sûrement, qui vous embarque malgré vous dans une bulle, comme elle le fait dans ses livres. Enfant, elle avait très peur la nuit, sauf sous les étoiles, en rase campagne. « Mon père m’emmenait me promener à la découverte des étoiles. C’est un magnifique souvenir, très mystérieux, silencieux, grandiose. » Mais entre quatre murs, la magie prenait une sale tournure. « J’ai passé des nuits terrifiée jusqu’à ce que j’aie un chien. À 19 ans. Peur de ce qu’il y a dans le placard, sous mon lit, peur de sortir de la chambre et de devoir traverser un couloir. Une présence incarnait l’ombre qui était partout. Ces moments d’impression étrange de pouvoir être embêtée. Par un agresseur. »

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