Dialoguer avec son père en tant qu’artiste, en tant qu’homme aussi, c’est le cadeau que ces deux-là se font à travers une tournée qui se déroule à guichets fermés. De la scène à la coulisse, confidences d un fils, tout en pudeur.

La première fois que nous l’avons rencontré, c’était pour un film. Oui, un film, dans lequel il jouait les séducteurs aux côtés de Saïd Taghmaoui. Cela s’appelait Confession d’un dragueur. C’était en 2001. Nous l’avions rejoint dans une brasserie près de chez lui. Il était assis tout au fond, sur une banquette, planqué sous un bonnet qui lui mangeait la moitié du visage. Il avait alors 28 ans mais avait l’air d’en avoir 17. Ce qui nous avait immédiatement étonnés, c’était sa politesse, son humilité, sa gentillesse et cette timidité quasi maladive qui le faisait rougir à chaque question. Caractéristiques peu habituelles chez « les fils de », d’autant que lui l’était doublement (Françoise Hardy et Jacques Dutronc) . Vingt cinq ans plus tard, nous voilà chez lui, au milieu d’une collection de guitares. Entre temps, il a eu les albums, les tournées, le succès et leur corollaire qui est une forme d’assurance, bien sûr. Pourtant, question humilité, gentillesse, tout est encore là. Intact. Et toujours cet air de ne pas faire son âge.

GALA : Le spectacle, Dutronc & Dutronc, a-t-il profondément changé le rapport à votre père ?

THOMAS DUTRONC : Non. Mais c’est une vraie chance de partager ces moments incroyables. C’est beaucoup d’amour, au fond. Un amour père-fils qui se vit, se ressent, sans avoir besoin de mettre des mots. Il a des petits moments, comme ça, qui sont comme des bouffées d’amour.

GALA : Avez-vous le sentiment de rattraper un temps que vous n’avez pas eu avec lui ?

T. D. : Pas du tout, parce que je n’ai jamais eu à me plaindre de ce côté là. Du temps ensemble, on en a passé beaucoup. On dînait, on regardait des films, je le suivais même souvent au bar avec ses copains, j’avais une dizaine d’années. Après, vers 18, 19 ans, j’étais à la fac, je fichais un peu rien et j’ai commencé à traîner avec lui toute la journée. Donc, que ce soit enfant, ou plus tard, il était là.

GALA : Vous parliez beaucoup ensemble ?

T. D. : Ça, on ne se parle toujours pas trop (Il rit). Mais on se dit beaucoup de choses sans parler.

GALA : Est-ce qu’il a des questions que vous vous posez à son sujet ?

T. D. : Ce qui m’étonne, c’est pourquoi, avec son statut, son niveau, son succès, sa popularité, il n’a pas fait plus de tournées. C’est un truc que je ne comprends pas parce que moi j’ai un tel plaisir à être sur scène, à jouer ! Ma mère, je sais, elle a arrêté parce qu’elle stressait trop, mais mon père…

GALA : Peut-être était-ce son cas aussi ?

T. D. : C’est vrai qu’il gamberge pas mal alors que tout le monde le rêve autrement. Et puis sur les tournées, ça buvait beaucoup quand il était jeune. Mon père a arrêté de boire à 41 ans pendant une dizaine d’années, puis il a repris doucement avant de recommencer vraiment et d’arrêter de nouveau, il y a quatre ou cinq ans. Ça, c’est vraiment bien. Parce que c’est vrai que le temps et les années imposent leurs limites, même si c’est quelqu’un de très costaud. Les Dutronc sont des costauds !

GALA : Votre grand-père notamment…

T. D. : Oui. Il est mort à 97 ans en ayant fumé des petits cigares et des Boyards maïs toute sa vie. Il fumait même en se baignant. Il faisait la planche et appelait ça : « Faire le chalutier. » Jeune, il travaillait dans un bureau la semaine, et faisait du piano dans les bals le week-end. Il déjeunait seul en dévorant de la littérature française, Balzac, Proust…

GALA : Votre premier album, Comme un manouche sans guitare, c’était il y a quinze ans. Vous avez mis du temps avant de franchir le pas. Avez-vous eu peur de ne pas être légitime ?

T. D. : Oui, sûrement. Et puis j’ai toujours été habitué et élevé avec cette idée d’être au top. J’ai toujours été le premier de la classe. Il fallait que je travaille bien à l’école. J’ai failli faiblir, juste une fois, en quatrième. J’avais décidé de ne pas réviser et j’ai eu une mauvaise note. Le soir, mon prof a téléphoné chez moi pour me dire que c’était dommage que je me laisse aller. J’ai raccroché et après j’ai bossé jusqu’au bac, à fond. Un seul coup de fil avait suffi.

GALA : Est-ce vos parents qui vous mettaient la pression ?

T. D. : Mes parents, non, peut-être ma grand-mère maternelle. Elle était très sévère et m’a un peu élevé, parce qu’elle me gardait tous les après-midi. J’avais aussi l’exemple de ma mère qui est une énorme bosseuse. Mon père, lui, a bien profité de la vie, mais il a beaucoup plus travaillé qu’on ne l’imagine.

GALA : Il arrive souvent que les fils de dérapent, à un moment ou l’autre, dans leur jeunesse. Vous y avez échappé. Comment l’expliquez-vous ?

T. D. : Je ne sais pas. Il y a quand même eu deux ou trois moments où je n’ai pas été très bien dans ma peau, mais en fait tout est rentré dans l’ordre dès que j’ai su ce que je voulais faire, et que j’ai travaillé. La réussite n’a jamais été un but. Ma mère me répétait toujours que l’important était de faire quelque chose que l’on aime et de le faire du mieux que l’on peut, que le succès était secondaire. J’ai entendu ça toute ma vie. Même les copains de mon père disaient souvent : « Attache ta charrue à une étoile. » C’est toujours le côté artisanal qui était mis en avant et l’idée d’avoir bonne conscience par rapport à son travail. Même gamin, je respectais ça. Je faisais mes devoirs en rentrant pour avoir la tête disponible après, histoire de regarder la télé ou de jouer à des jeux vidéo. Il avait un contrat de confiance entre guillemets avec ma mère : du moment que j’étais bon à l’école, je faisais ce que je voulais. Il n’y avait aucun contrôle.

GALA : Dans un entretien accordé récemment par Françoise Hardy, elle confie qu’elle aimerait bien que vous découvriez le bonheur d’être parent…

T. D. : (Il rit). Pour l’instant ce n’est pas d’actualité ! D’une part, je trouve que ce n’est pas un but en soi. Et, d’autre part, je n’ai pas rencontré la personne pour.

GALA : Avec le rythme qu’impose une tournée, avez-vous le temps de voir votre mère ?

T. D. : Pas tant que ça.

GALA : Vous devez lui manquer ?

T. D. : Pas tant que ça non plus car on s’envoie pas mal de petits messages, toute la journée.

GALA : Est-elle venue assister au concert que donnent les deux hommes de sa vie ?

T. D. : Elle n’est pas venue. Et elle ne viendra pas. Elle a peur de sortir. Elle se sent trop fatiguée. C’est compliqué…

GALA : Mais elle est votre première fan !

T. D. : Oui. Pas tendre parfois, mais j’aime bien ses critiques. Et ça me fait plaisir qu’elle aime ce que je fais.

GALA : Vous êtes fils unique. Vos parents vieillissent. Est-ce quelque chose qui vous angoisse ?

T. D. : (Un long silence). J’ai du mal à imaginer un monde sans mes parents… Je les aime tellement, on est tellement proches. Même si parfois on se voit peu, il y a entre nous trois un lien très fort, un amour profond. Et vrai. Et immense. C’est ce qui me fait peur. Même si on sait que cet amour sera toujours là, en nous. Quand j’étais enfant, ma mère me disait toujours que les gens que l’on aime restent là, vous protègent…

GALA : C’est aussi ce que vous pensez ?

T. D. : Je le sens un peu, avec mon grand-père notamment. Je sens un caractère, une douceur aussi qu’il m’a transmise, qui est là, qui traîne autour. Mais il me manque quand même. J’aimerais tellement l’entendre me raconter encore des histoires comme il savait le faire.

GALA : Vous parlez de lui avec votre père ?

T. D. : Non, pas trop. Récemment, j’ai publié sur mes réseaux un petit bout d’interview de lui. Il disait à propos de mon père : « Ah non, ça, Jacquot, enfant, il était vraiment sans problème ! C’est bien simple, du moment qu’on faisait tout ce qu’il voulait, il ne réclamait rien ! » C’était mon grand-père, ça ! Il avait beaucoup d’esprit, il était touchant. Simple aussi, et ça, c’est pas mal, parce que mes deux parents ont ce point commun : ils sont très compliqués ! (Il rit).

GALA : L’enfant que vous étiez est-il très éloigné de l’homme de presque 50 ans (il les aura en juin prochain) que vous êtes ?

T. D. : Je ne pense pas. Je me suis peut-être un peu plus obligé, en étant adulte, à faire attention aux autres, aux choses. Enfant, même ado, tu t’en fous un peu, tout est centré sur toi, tu rigoles de tout, tu juges tout. Après, ce qui a vraiment changé avec les années, c’est que je n’ai plus envie d’aller voir un concert tous les deux jours, de sortir tout le temps, comme je le faisais à 30 ans, par exemple. Maintenant, j’adore être tranquille avec les copains, écouter de la musique en buvant un coup, j’ai besoin de nature, de silence, de calme.

GALA : Etes-vous un homme qui sait s’engager ?

T. D. : Ça dépend de l’engagement. Pour le service militaire, par exemple, je n’ai pas voulu le faire, j’ai été réformé P3. Je commençais à jouer de la guitare et je n’avais pas envie d’être coupé dans mon élan. Et puis, j’ai toujours mis un point d’honneur à côtoyer des gens hors de mon milieu, grâce à mon père notamment, qui a des amis dans toutes les couches sociales. Je n’avais donc pas besoin de l’armée pour ça. Après, en amour, ce n’est pas une question de s’engager ou pas, d’autant que ça ne sert pas à grand-chose car on ne sait jamais ce que l’avenir nous réserve. J’ai juste envie que ça se passe bien, d’être heureux et tranquille. Mais en tout cas, quand je donne ma parole, quand je promets quelque chose, j’essaie de m’y tenir. C’est important une parole.

“J’ai du mal à imaginer un monde sans mes parents […]. Même si on se voit peu, il y a entre nous trois un lien très fort, un amour profond.”

GALA : Vous avez besoin de quoi pour être heureux ?

T. D. : De temps. Et d’amis.

GALA : Vous allez bientôt enregistrer un nouvel album dont vous avez écrit les textes. Quel en est la teneur ?

T. D. : Il y a moins de vannes, de jeux de mots…

GALA : Vous devenez plus sentimental, comme votre mère ?

T. D. : (Il sourit). C’est vrai qu’il y a des trucs plus sentimentaux. Je me cache moins.

GALA : Vous vous cachez moins ?

T. D. : (Il réfléchit et botte un peu en touche). Déjà, je ne voulais pas chanter. Je trouvais ça un peu ridicule parce qu’il y avait assez de chanteurs comme ça dans la famille, c’est pour ça que je ne me prenais pas au sérieux du tout. Maintenant, ce n’est pas que je me prends plus au sérieux, mais simplement, j’aime ça en fait. J’ai appris à aimer chanter.

*Spectacle Dutronc & Dutronc, le 6 décembre à Bordeaux ; le 7 à Nantes ; le 10 à Reims… Et le 21 à Paris à l’Accor Arena.

Cette interview est à retrouver dans Gala N°1538 disponible depuis ce jeudi 1er décembre 2022.

Crédits photos : Pierre Perusseau / Bestimage

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