Avoir une mère académicienne et un frère qui excelle en littérature oblige à trouver une place à soi. Celle qui est aux commandes du « Magazine de la santé » depuis plus de vingt ans revient sur ce chemin parfois accidenté.
Sa toute première télévision, elle l’a faite en 1992 dans Télématin. Trente ans plus tôt donc. Ce chiffre l’étonne autant qu’il l’amuse elle qui – et de mémoire de journaliste on n’a jamais vu ça – rectifie l’âge que Wikipédia lui attribue : « Contrairement à ce qui est écrit, je n’ai pas 60, mais 61 ans ! » Un autre chiffre qui l’étonne car cette dizaine, elle l’a franchie sans vraiment noter de différence. Excepté ce jour où, alors qu’elle s’apprêtait à réserver un billet à la SNCF, on lui a proposé la carte Senior « J’ai trouvé ça désagréable », commente-t-elle en riant.
GALA : Pourriez-vous envisager votre vie sans l’antenne ?
MARINA CARRÈRE D’ENCAUSSE : Ça ne me posera aucun problème. Je ne suis pas addict à l’image ni à l’adrénaline. D’ailleurs, je n’ai aucun stress à l’antenne. D’une part parce que je travaille beaucoup, je suis prête, d’autre part parce que le vrai stress, je l’ai connu face aux patients, lorsque j’ai exercé mon métier de médecin. A la télé, au pire on bafouille, mais rien de grave, ça ne va tuer personne.
GALA : Dans le nouveau 13 à table ! qui vient d’être publié, une collection de livres au profit des Restos du cœur, vous signez une nouvelle qui s’intitule Souvenirs d’enfance. Quels sont-ils, vos souvenirs d’enfance ?
M. C. D’E. : Je n’en ai pas beaucoup. J’ai oublié toute une partie de mes très jeunes années. Mais dans cette nouvelle, j’ai eu envie de rendre hommage à mon père qui m’a transmis des choses que lui avait transmises son propre père, qui m’a appris notamment l’espace, les étoiles. Et qui, quand ma mère s’absentait, a parfois eu beaucoup de mal avec ses trois enfants, Emmanuel, Nathalie et moi. Il arrivait à maman de partir un mois entier et alors c’était le désespoir ! On achetait des lampes de poche avant son départ pour pouvoir lire dans nos lits, comme si notre père était un tortionnaire. Je me souviens avoir gardé un tee-shirt d’elle que je ne lavais pas pour conserver son odeur. Il nous arrivait de pleurer des jours entiers. Un vrai cauchemar !
GALA : En tant que petite dernière, aviez-vous un traitement de faveur ?
M. C. D’E. : Le plus « privilégié » de la famille était certainement mon frère. Il était l’aîné, c’était un garçon, il était un peu vénéré à la maison. Ce qui ne nous empêchait pas de très bien nous entendre tous les trois.
GALA : Dans quelle ambiance avez-vous grandi ?
M. C. D’E. : Très sympathique, parce que maman est assez fantasque, dans le bon sens du terme. Quand mon père s’absentait, on faisait kolkhoze, c’est-à-dire qu’on dormait tous dans sa chambre. Et le matin, si on n’avait pas envie d’aller à l’école, c’était petit déjeuner au lit. Le seul impératif était de passer dans la classe supérieure, mais on avait le droit d’être un peu flemmards. J’ai sûrement emprunté ce côté très libre qu’elle avait avec mes propres enfants. Avec cette idée qu’il n’y a que dans l’enfance que l’on peut s’autoriser ça. C’est un espace privilégié où l’on peut encore s’accorder ces moments de douceur, de tendresse.
GALA : Vous avez confié avoir été très complexée enfant…
M. C. D’E. : Je le suis toujours.
GALA : Avez-vous compris la raison de ce mal-être ?
M. C. D’E. : Je ne sais pas. Je n’ai jamais eu confiance en moi. J’ai eu pourtant des parents très aimants, un père dans l’expression de l’amour, une mère même plutôt tendre pour l’époque, je n’ai pas eu de manque, mais je ne me suis jamais aimée. Même si depuis quelques années ça va mieux. J’ai cessé de me faire mal.
GALA : Est-ce qu’avoir une mère aussi brillante pouvait être écrasant ?
M. C. D’E. : Ça pèse et tire vers le haut à la fois. Mais avec elle il y avait effectivement une exigence de réussite scolaire. A 16 ans je me souviens lui avoir dit que je souhaitais faire du tennis, je me rêvais en Chris Evert. Maman m’a dit : « Ma chérie, c’est très bien, tu passes ton bac, tu fais huit ans d’études ensuite, et après tu reviens m’en parler ! »
GALA : Elle est également une des raisons pour lesquelles vous vous êtes interdit de faire Sciences-Po…
M. C. D’E. : C’est vrai. C’est pourtant ce qui m’aurait convenu le mieux. Mais pour la jeune femme si peu sûre d’elle que j’étais, c’était effectivement trop lourd d’aller à un endroit où ma mère était prof et mon frère ancien élève. Je ne me voyais pas exister à côté d’eux. Je ne voyais pas ma place. J’ai donc cherché un endroit où il n’y avait pas de concurrence familiale et j’ai fait médecine. Par chance, ces études m’ont énormément plu.
J’étais une enfant discrète, j’avais trop peur de contrarier mes parents. Mon seul acte de rébellion a été de faire médecine.
GALA : Vous n’avez jamais été en rébellion ?
M. C. D’E. : J’étais une enfant tellement inhibée, tellement discrète que je ne me souviens même pas de bêtises que j’aurais pu faire à l’adolescence. J’avais trop peur de faire du mal, de blesser ou de contrarier mes parents. Donc mon seul acte de rébellion a été de faire médecine ! (Elle rit.)
GALA : Quand vous avez débuté à l’écran, votre mère a déclaré que vous vous « galvaudiez »…
M. C. D’E. : Les premières années, elle a eu effectivement du mal à considérer que c’était la façon la plus intellectuelle et brillante d’exercer mon métier. Et puis il y avait aussi un problème avec l’acte de s’exposer. Mon frère le fait, mais en écrivant, ma sœur, qui est avocate, ne le fait pas et moi je décidais de le faire en prenant le nom qu’elle porte, d’Encausse. Il était donc assez simple de savoir que j’étais sa fille, et j’imagine que ça n’a pas été très facile pour elle.
GALA : Pourquoi avoir tenu à prendre ce nom ?
M. C. D’E. : Parce que j’étais très fière d’elle.
GALA : Qui vous a soutenue, alors, à vos débuts ?
M. C. D’E. : Michel Cymes. On s’est trouvés très vite et on s’est dit que c’était bien de faire cette émission ensemble. On reste des amis très proches et des associés.
GALA : Votre mère est d’origine géorgienne. Qu’y a-t-il de slave en vous ? Avez-vous connu des moments intenses de dépression, comme ceux racontés par votre frère Emmanuel Carrère dans son roman Yoga ?
M. C. D’E. : Emmanuel parle d’une maladie très lourde, d’une vraie pathologie. Moi je suis davantage dans le trouble de l’humeur. Je peux effectivement passer du rire aux larmes assez facilement, avoir des jours de grande tristesse, mais sans que ce soit pathologique. Et puis cela m’arrive quand même de moins en moins souvent.
GALA : Aujourd’hui vos enfants de 27, 30 et 33 ans, ont quitté la maison et vous êtes divorcée. Comment appréhendez-vous cette nouvelle étape de votre vie ?
M. C. D’E. : Mes enfants sont quand même très présents dans ma vie, ils ont souvent besoin de leur maman, mais n’habitent en effet plus chez moi… Je me sens très libre. Et c’est nouveau pour moi car je n’avais jamais vécu seule. J’ai adoré la vie de famille, vraiment, mais là je trouve extrêmement plaisant et agréable de vivre sans contrainte, en faisant ce que je veux quand je veux. C’est un luxe.
GALA : Le luxe de la carte Senior ! Dans 10 ans, Marina, où vous voyez-vous ?
M. C. D’E. : Je n’en ai aucune idée. Le seul calcul que j’ai pu faire dans ma vie, c’est celui d’avoir des enfants. C’est très égoïste de dire ça mais, si je n’avais pas rencontré mon mari, j’aurais pu en faire avec n’importe qui tellement je savais qu’il fallait que j’en aie. Heureusement je suis tombée sur un homme qui a été un excellent mari et un excellent père, qu’il est toujours. Pour le reste, je suis tout sauf calculatrice et encore moins carriériste. Et ce que l’avenir me réserve ne m’angoisse pas du tout, au contraire, je trouve ça assez rassurant parce que finalement, depuis bien longtemps, je trouve que la vie a plus d’imagination que moi.
Retrouvez Marina Carrère d’Encausse sur France 5 dans Le Magazine de la santé, du lundi au vendredi à 13 h 40.
Cet article est à retrouver dans Gala N°1536 disponible depuis ce jeudi 17 novembre 2022.
Crédits photos : CEDRIC PERRIN / BESTIMAGE
A propos de
-
Abonnez-vous à votre star préférée et recevez ses actus en avant première !
Marina Carrère d’Encausse
Suivre
Suivi
Il vous reste 85% de l’article à découvrir
Autour de
Source: Lire L’Article Complet