Présente au gouvernement depuis 2018, Agnès Pannier-Runacher a décroché une nouvelle promotion en devenant ministre de la Transition énergétique en mai dernier. Pour Gala, la discrète marcheuse de 48 ans a accepté d’évoquer son parcours personnel et les combats qui lui tiennent à coeur.
Elle a hérité d’un des postes les plus importants du quinquennat. D’abord secrétaire d’État à l’Économie, puis nommée ministre déléguée à l’Industrie en 2020, Agnès Pannier-Runacher a été promue ministre de la Transition énergétique après la réélection Emmanuel Macron, dont elle est un soutien de la première heure. Une ascension express mais presque passée sous les radars médiatiques : l’énarque à la sensibilité de gauche fait partie de ces ministres plus fans des réunions de travail que des plateaux télé. À l’occasion de la rentrée du gouvernement, placée sous le signe d’un grand « plan de sobriété » énergétique, la mère de trois enfants a tout de même accepté de se dévoiler pour la première fois. Vie de famille, ambitions, divorce polémique… Entretien avec une femme de pouvoir aussi discrète qu’appréciée par le chef de l’État.
Gala.fr : Comment avez-vous réagi lorsque le ministère de la Transition énergétique vous a été proposé ?
Agnès Pannier-Runacher : J’en avais parlé avec le président bien avant, car c’est un sujet qui me passionne. Donc j’étais vraiment heureuse qu’il me fasse confiance avec le Première ministre, d’autant que je n’étais pas la ministre la plus en vue. Je n’ai pas hésité à accepter même si c’est une responsabilité très intimidante. Le changement climatique, comme cet été l’a montré, va avoir des conséquences majeures sur notre vie quotidienne. Et c’est un enjeu majeur pour les jeunes générations. Quand j’ai été nommée, mon fils m’a dit : « Félicitations maman, mais c’est un portefeuille difficile et je t’attends au tournant ». C’est le parfait résumé de mon sentiment à ce moment-là.
Que répondez-vous aux critiques sur votre profil ? Certains ont jugé votre CV pas assez écolo.
Cela illustre le fait que les Verts ne se remettent pas d’avoir perdu le monopole de l’écologie. En tant que fonctionnaire et dirigeante d’entreprise, j’ai travaillé sur ces sujets depuis 2002. Comme ministre de l’Industrie, j’ai enclenché une action de décarbonation qui a permis d’économiser 3,9 millions de tonnes d’émissions de CO2 par an. Je n’ai pas à rougir de mon bilan. Les personnalités politiques les plus efficaces sur l’écologie ne sont plus les écologistes.
Vous avez décroché une promotion à chaque remaniement depuis 2018. Pourtant, on parle moins de vous que certains de vos collègues…
D’abord, je suis plus débutante qu’eux. Donc je me suis concentrée sur le « faire » plutôt que le « faire savoir ». Monter une filière de masques français, acheter des vaccins, négocier l’installation de nouvelles usines… Les bonnes nouvelles ne font pas toujours la Une des journaux, mais elles font du bien au pays.
« Je n’aspire pas à être reconnue dans la rue«
Cela tranche avec le style de certains camarades. N’êtes-vous pas parfois tentée de les imiter ?
Mon caractère ne me prédispose pas à rechercher la lumière. Je suis assez discrète et il faut parfois se faire violence. Moi qui suis féministe, j’ai d’ailleurs beaucoup travaillé sur la façon dont les femmes n’osent pas se mettre en avant, y compris quand elles ont une grosse responsabilité.
Comment l’expliquez-vous ?
On a été collectivement éduquées dans l’idée que se mettre en avant, ce n’était pas poli. Et qu’il suffirait de bien travailler pour être reconnue. À titre personnel, je suis un parfait exemple de cette autocensure même si je milite auprès des jeunes femmes pour qu’elles ne tombent pas dans le panneau ! Et j’ai toujours eu à cœur d’expliquer la stratégie du président. Je n’ai pas peur d’aller dans l’arène.
Ce caractère réservé est-il aussi le vôtre dans la vie quotidienne ?
Je pense plutôt avoir une personnalité joyeuse qui aime bien vivre (rires). J’aime manger, boire, voir mes amis, être en famille, mais c’est vrai que je mets une barrière entre l’être public et l’être privé pour protéger mon entourage. Et je n’aspire pas à être reconnue dans la rue.
En octobre 2021, votre discours sur la « magie » du travail à l’usine a été beaucoup critiqué. Comment l’avez-vous vécu ?
Ce n’est clairement pas mon meilleur souvenir. Même mes enfants se sont moqués de moi et ils continuent à le faire (rires) ! Je m’en veux car la forme était très mauvaise, alors que le sujet me tenait à cœur. J’ai travaillé dans l’industrie, j’ai eu une expérience en usine et j’ai beaucoup discuté avec des ouvriers en tant que ministre. Des hommes et des femmes fiers de leur métier, qui en parlent avec des étoiles dans les yeux. Mon objectif était de leur rendre hommage. Mais je ne m’étais pas suffisamment préparée. Mes proches m’ont dit : « Tu ne parles jamais comme ça, qu’est-ce qui t’a pris ? » Y compris sur l’accent. J’ai eu le trac !
Son divorce évoqué à l’Assemblée
Fin juillet, Delphine Batho (Nupes) a évoqué un décret vous interdisant de gérer les dossiers liés à Engie, où votre ex-mari est dirigeant, le temps que votre divorce soit acté. Vous attendiez-vous en devoir en parler à l’Assemblée ?
Pas du tout. En refusant toute exposition publique des miens, je pensais très naïvement que cela les protégerait.
Cela a été dur à digérer ? Vous étiez très émue au micro.
C’était dur, parce qu’on ne tire pas comme ça un trait sur 30 ans de vie commune. Cela ne regardait que moi. Mais j’ai reçu beaucoup de messages durant la séance, de tous les bords politiques. L’un d’eux m’a dit : « On ne sera sûrement jamais d’accord politiquement, et je vous combattrai toujours, mais ça, c’est inacceptable ». Cela m’a un peu remise d’aplomb.
En voulez-vous à Delphine Batho ?
En tout cas, j’ai un jugement dur sur ce comportement-là. Elle était au courant de ma situation. C’est une façon de faire de la politique qui n’est ni digne, ni utile par rapport aux combats qu’elle veut porter. C’est parfaitement médiocre. Je ne sais pas comment elle se regarde dans la glace.
Elle s’est défendue en parlant de déontologie.
Personne n’est dupe. J’ai été ultra-contrôlée. Nous avons pris un nombre de protections inédites par rapport à un potentiel risque de conflit d’intérêts. Je le dis d’autant plus facilement que je suis aujourd’hui divorcée. Mon ex-mari travaille pour Engie depuis 20 ans, donc ce n’était pas dans les 15 jours de mon déport qu’il allait changer de rémunération ou de position. Il a construit sa carrière sans avoir besoin d’une femme ministre.
Vous avez fait l’objet d’une autre polémique : votre compagnon Nicolas Bays, qui était votre conseiller, a dû quitter son poste en 2021 puisque les membres du gouvernement ne peuvent pas employer leur concubin.
Comme des millions de Français, j’ai rencontré mon nouveau compagnon au travail. Que la loi ait eu à s’appliquer, c’est normal, et nous l’avons respectée. Mais des opposants s’en sont à nouveau emparés pour m’attaquer. Cela m’a heurtée. Ça aussi, c’est médiocre.
Votre couple en a-t-il souffert ?
Non, c’est dans l’adversité aussi que l’on se soude.
On vous voit beaucoup sur son compte Instagram… Cela vous plaît ?
Oui, il est plus communicatif que moi (rires).
Cela aide à se comprendre quand on fait le même métier ?
Oui. L’exposition à laquelle j’ai eu affaire en tant que ministre, comme la charge de travail, a clairement pesé dans ma précédente histoire. Le Covid n’a rien arrangé. Je travaillais 18 heures par jour, je n’étais pas du tout disponible, dans un moment compliqué pour mon ex-époux. Donc avoir le même métier, comprendre pourquoi vous pensez à autre chose… C’est très important. C’est pour ça qu’il y a beaucoup de couples en politique !
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« J’ai toujours fait en sorte d’être là pour mes enfants«
Avant la politique, vous avez été cadre supérieure dans le privé, chez l’équipementier automobile Faurecia puis à la Compagnie des Alpes. Comment fait-on pour garder du temps pour ses proches ?
J’ai toujours fait en sorte d’être là pour mes enfants (âgés de 10, 16 et 20 ans, ndlr). J’ai à peu près réussi à gérer cet équilibre qui reste fragile, surtout quand vous êtes une femme. Vous pouvez tourner les choses comme vous voulez, mais c’est toujours vous que l’on appelle en premier à l’école quand il y a un problème. Et c’est vous qui culpabilisez en premier. Mais j’ai toujours été présente, parce que depuis le début j’ai adoré être mère.
Vous avez hésité à entrer au gouvernement en 2018, craignant que ce soit « l’enfer » pour eux.
Je connais les horaires très lourds des cabinets ministériels. J’avais refusé des postes car ce n’est pas ce que je voulais pour eux. Quand on m’a proposé d’être ministre, mon ex-mari m’a dit : « C’est quelque chose… Il faut quand même que tu réfléchisses« . C’est effectivement devenu beaucoup plus difficile en termes d’organisation. Donc aujourd’hui, je me surveille de très près. Je dis à mes équipes : « La semaine où j’ai les enfants, vous n’avez pas le droit de prévoir des choses tard le soir ». J’essaye d’être un maximum avec eux et sans le portable !
Êtes-vous partie en vacances avec eux cet été ?
Oui, ça a été un petit peu agité, puisque sur les deux semaines, j’ai dû revenir au travail pendant trois jours. On a quand même bien profité à la montagne et à la plage… Nous étions avec mes enfants et celui de mon compagnon. Ils m’ont entraîné dans un paintball dont je me souviens encore cruellement… Ça fait mal (rires) !
S’intéressent-ils à la politique ?
Oui, ils ont un avis sur tous les ministres et sont parfois critiques, il y a des débats. Ils ont une bonne culture politique, probablement meilleure que celle que j’avais au même âge.
Vous leur avez imposé des mesures pour économiser de l’énergie à la maison ?
Mes enfants sont très pro écologie donc ils font attention d’eux-mêmes. Je suis surprise de voir ma fille regarder son bilan carbone quand elle part avec ses copains. Et quand ils consomment un peu trop, je les attrape en leur disant : « Tu veux aller si loin, mais tu es sûr que ce n’est pas beaucoup de consommation de CO2 ? »
Emmanuel Macron et sa passion pour la danse
Vous avez avoué que votre culture politique était « presque nulle » avant de vous engager. Vous n’en parliez pas avec votre famille ?
« Presque nulle« , c’était un peu excessif… Du côté de mon père, on était de droite, et du côté de ma mère, on était de gauche. Imaginez les discussions ! En 1981, certains voulaient partir après l’élection de Mitterrand, tandis que d’autres ont fait la java toute la nuit. Mais moi je n’ai jamais été encartée avant Emmanuel Macron. Même si j’ai toujours voté à gauche avant En Marche.
Lors de votre première rencontre en 2007, à l’Inspection des Finances, vous l’aviez trouvé « époustouflant ». Au point de l’imaginer déjà président ?
Non, parce qu’à l’époque, il était très loin de tout ça. Je me suis même permise de lui donner des conseils sur sa carrière, ce qui est assez amusant rétrospectivement !
Qu’est-ce qui vous a tout de suite plu ?
Il a toujours beaucoup écouté. Cela fait partie de ce caractère époustouflant. Il a une capacité à enregistrer ce que vous dîtes et à en tenir compte. Avec un niveau d’empathie assez exceptionnel. Il peut vous dire, 10 mois après : « Tu m’avais dit que ta mère avait eu un problème, est-ce que ça va mieux ? » C’est en cela que je le trouvais spécial.
Et votre première rencontre avec Brigitte Macron ?
C’était en tant que ministre. Je suis très fière d’avoir une Première dame comme ça. Elle incarne à la fois la culture, la classe, l’élégance… Mais elle est plus que ça. C’est aussi la chaleur, l’humanisme… Avec les ministres, elle apporte toujours quelque chose d’agréable et de chaleureux. Le bon mot, le bon geste, la pointe d’humour… Je n’ai pas la prétention d’avoir une relation de très grande proximité mais j’ai toujours plaisir à voir Brigitte Macron !
Quels sont vos passe-temps ? Vous êtes une passionnée de danse.
C’est mal mais je n’ai plus le temps d’en faire. Il y a la lecture et le cinéma. Mon compagnon et mes enfants se moquent de mes goûts… Ils sont très vigilants sur les films que je veux leur montrer (rires) !
C’est quel genre de cinéma ?
Des vieux films souvent en noir et blanc ! Et de nationalité obscure (rires). Sinon, depuis que je vis à Lens (chez son compagnon, ndlr), j’ai un bout de jardin et j’ai découvert les joies du jardinage.
Votre hyperlaxité (souplesse excessive des articulations) vous a empêchée de faire une carrière de danseuse ?
Il a été fugacement question que j’en fasse mon métier. Mais j’ai une très grande fragilité des articulations. J’ai eu beaucoup d’entorses, je me casse rapidement à cause de ça… Donc j’ai vite renoncé. Mon plaisir, c’est de regarder les autres danser maintenant.
Ses relations avec les autres ministres
Parmi vos collègues, de qui êtes-vous la plus proche ?
Je suis assez proche d’Olivier Dussopt. On s’entend bien car on partage pas mal de convictions, on est issus des rangs de la gauche. Puis, on a ce côté « bon élève discret ». Je m’entends également très bien avec pas mal de sortants comme Emmanuelle Wargon et d’autres personnalités comme Clément Beaune, Stéphane Séjourné et Gabriel Attal. J’ai aussi beaucoup de respect et d’admiration pour la Première ministre. Elle a un sacré parcours, qui parle aux femmes en plus. Les Français devraient être fiers d’avoir quelqu’un comme elle à la tête du gouvernement. C’est l’incarnation de la méritocratie républicaine, du sens de l’intérêt général.
Certains portraits l’ont présentée comme cassante et austère.
Les personnalités féminines sont toujours plus critiquées. On fait toujours tout mal ! Quand Lionel Jospin était présenté comme pudique et austère, c’était évidemment positif. Élisabeth peut avoir une expression plus mesurée que d’autres personnalités. Mais vous savez, la chaleur apparente de certains masque parfois une absence totale d’intérêt pour leurs interlocuteurs.
Et du côté de l’aile droite de la majorité ?
Oui, des gens comme Gérald Darmanin, qui est hyper impliqué pour notre territoire des Hauts-de-France. Pour moi, ça compte. Et puis, on n’est pas forcément d’accord sur tout, mais Gérald connaît le quotidien des personnes en difficulté. Quand quelqu’un a un problème chez lui à Tourcoing, il s’en occupe. C’est ça aussi la politique, c’est apporter des solutions.
Où vous voyez-vous après 2027 ?
Je suis entrée en politique parce que j’étais convaincue par Emmanuel Macron. Donc cela dépend de l’après. Comment le construit-on ? Est-ce que j’aurai envie d’être de cette aventure ? Je ne fais pas de la politique pour faire de la politique. Je veux faire bouger les lignes sur les sujets qui me tiennent à cœur.
Crédits photos : Lewis Joly/JDD/SIPA
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