Patricia Tourancheau, journaliste spécialisée dans les faits divers, revient pour Gala.fr sur la très grande popularité de l’émission Faites entrer l’accusé dans les prisons françaises. Un effet encore confirmé avec l’affaire Jubillar.
A propos de
Christophe Hondelatte
Suivre
Suivi
L’attrait de ses co-détenus pour l’émission Faites entrer l’accusé aurait changé l’attitude de Cédric Jubillar en prison. Dans un article du 2 juillet, Libération décrit le compagnon de Delphine Jubillar comme un détenu d’abord discret, mais qui n’hésite désormais plus à se mettre en avant. Selon le journal, l’un de ses co-détenus « date cette transformation à une soirée Faites entrer l’accusé, l’émission culte autour de laquelle tout le quartier d’isolement semble communier. »
« Ce n’est pas une surprise », observe Patricia Tourancheau, journaliste spécialisée dans les faits-divers qui a travaillé pendant 30 ans à Libération et qui a accepté de répondre à nos questions. La popularité carcérale de l’émission n’étonne pas cette autrice de nombreux livres-enquêtes (sur l’affaire Grégory, le gang des postiches, l’affaire le Grêlé, notamment) et co-réalisatrice des séries Netflix Grégory et Les femmes et l’assassin. Elle a constaté de longue date le succès de cette émission dans les milieux criminels et du grand banditisme.
Starification de certains détenus
« Depuis sa création en 2000, l’émission suscite un engouement dans les prisons. Certains détenus sont très fiers que leur affaire soit l’objet d’un numéro de Faites entrer l’accusé”, nous explique la journaliste, qui regrette cet effet de starification de certains détenus au sein de leur prison. « Quand on voit ce qu’ils ont fait, il n’y a pas de quoi être fier », rappelle-t-elle.
Pour Patricia Tourancheau, ce succès de Faites entrer l’accusé à un autre effet pervers sur des prisonniers qui tiennent, eux, à leur discrétion. « Certains détenus ne sont pas connus du grand public. Et en prison, on ne demande pas à son co-détenu pourquoi il est là, ça ne se fait pas”, précise la journaliste. « Après un numéro de Faites entrer l’accusé sur leur affaire, s’en est fini de l’incognito pour ces détenus. »
Mais pourquoi l’émission présentée par Christophe Hondelatte, puis Frédérique Lantieri et désormais Rachid M’Barki, est-elle si populaire, même parmi les prisonniers qui ne sont pas mêlés à de grandes affaires ? « Les affaires criminelles et le banditisme, ils sont plongés dedans, c’est leur culture. Mais surtout, il n’y a rien à faire en prison : c’est télé, télé”, tempère Patricia Tourancheau. “Les détenus regardent aussi souvent les émissions de sport et, plus étonnant, beaucoup les émissions sur les animaux. »
Des cassettes de l’émission dans les geôles de l’Etat islamique
Cette popularité carcérale de Faites entrer l’accusé, Patricia Tourancheau a pu l’expérimenter elle-même avec surprise. En tant que journaliste, elle a témoigné à sept reprises dans l’émission, « du temps de Christophe Hondelatte », nous précise-t-elle. Alors qu’elle travaillait pour L’OBS, elle est autorisée à passer deux jours dans la maison centrale d’Ensisheim. « Je visitais un atelier de la prison. Tout à coup, tous les détenus de l’atelier d’à côté sont venus contre la grille en m’appelant par mon nom« , se souvient-elle. « Ils voulaient tous me parler, parce qu’ils m’avaient vu dans l’émission ! » Passer dans l’émission est donc gage de popularité en prison, que vous apparaissez comme coupable ou en tant qu’expert.
Patricia Tourancheau ajoute que certains criminels se passionnent pour l’émission bien avant leur passage en prison. Ce fut le cas de Mehdi Nemmouche. Avant d’être l’auteur condamnée de l’attentat du musée juif de Bruxelles en 2014, il a détenu plusieurs otages français dans les prisons syriennes de l’Etat islamique. Dont le journaliste Didier François, avec qui Patricia Tourancheau a travaillé. « Mehdi Nemmouche avait emmené en Syrie des cassettes de Faites entrer l’accusé, qu’il regardait quand il détenait des otages. Il chantait le générique de l’émission à Didier François, lui imitait Christophe Hondelatte remontant son col », s’étonne encore aujourd’hui la journaliste, qui en a pourtant vu d’autres durant sa carrière.
Les héritiers de Faites entrer l’accusé, pas toujours au niveau
Il ne faudrait cependant pas oublier que Faites entrer l’accusé est une émission populaire auprès de l’ensemble des Français, et pas seulement parmi les milieux du crime. « Les Français aiment les feuilletons, surtout quand il y a une énigme à résoudre », analyse pour nous Patricia Tourancheau. « Quelque part, ça leur fait peur, mais ça les rassure parce que ça ne leur est pas arrivé à eux. » La journaliste formule cependant un regret face à la popularité de ce type d’émission : « la pléthore d’émissions de certaines chaînes de la TNT, faites très vite, avec des petits moyens, et qui jouent sur le gore.«
Patricia Tourancheau travaille actuellement à l’adaptation de deux ses enquêtes en mini-séries documentaires de quatre épisodes chacune : Le magot (sur le butin de 50 kilos d’or du gang des postiches dérobé par Michel Fourniret) et Le Grêlé : le tueur était un flic.
Crédits photos : 17 Juin Media
Autour de
Source: Lire L’Article Complet