Star paradoxale, elle véhicule malgré elle un mystère très cinématographique. À l’affiche d’une mini-série britannique, The Luminaries, l’actrice aspire également à une vie écologique dans une ferme irlandaise.
Pendant le confinement, Eva Green était à Londres, chez elle, puis en Normandie, chez sa mère. Nous la joignons par téléphone dans les Alpes, où elle se ressource, «marche et médite» («dieu habite les montagnes», assure-t-elle) avant de rallier la Toscane, où l’attend sa sœur, Joy, l’autre élément des célèbres jumelles de Marlène Jobert. Eva Green est toujours en cavale quelque part dans le monde, en Tanzanie ou au Bhoutan, où elle part seule en randonnée, ou en Nouvelle-Zélande, où elle a tourné The Luminaries, mini-série britannique sur la ruée vers l’or (bientôt diffusée en France). Fuit-elle son anxiété chronique ? Ou a-t-elle tout simplement besoin de se confronter à des émotions fortes, elle qui se dit «trop timide et réservée, excepté au cinéma» ?
Une muse discrète
Personne n’est plus discret et mystérieux que cette actrice remarquable qui tourne au compte-gouttes dans des films américains et disparaît des radars de la célébrité entre deux projets. Paradoxale, elle fait le grand écart entre des petits films indépendants et des blockbusters de Tim Burton, dont elle est la muse gothique supposée (trois films ensemble). Eva Green ne squatte pas les red carpets, n’encombre pas les front rows des défilés de mode et ne se brade sur aucun compte Instagram. Personne ne sait si elle a un boyfriend, et personne n’a envie de troubler l’apparente quiétude de sa vie privée.
C’est une actrice au physique de femme fatale à l’ancienne – courbes de pin-up et voix grave impériale -, une travailleuse obsessionnelle – elle est notoirement très douée pour les accents – et une jeune femme attendrissante, facilement effarouchée, qui vient juste d’avoir 40 ans, ce qui ne l’enchante guère. Pour Madame Figaro, elle s’est prêtée à une séance photo bucolique, à l’extrême opposé de son image de créature ténébreuse aux cheveux de jais et aux lèvres rouges. Le hasard faisant bien les choses, Eva la «green» fervente rêve désormais d’une ferme en Irlande, qui comblerait sa passion pour la nature et les animaux et qui l’éloignerait un peu des basses-cours de cinéma. Interview.
Eva Green porte une robe en maille dentelle, Alexander McQueen, et des bottes Aigle.
Robe en dentelle, Miu Miu. Chapeau Filuhats.
Robe en coton et soie et body corseté, Olivier Theyskens. Derbys Clergerie.
Robe-chemise en popeline et broderie anglaise, Paco Rabanne. Culotte Intimissimi, Derbys Clergerie.
Madame Figaro. – Ces photos montrent un autre aspect de vous, lumineuse, solaire et… green…
Eva Green. – Mon implication va croissant. Le réchauffement climatique et la dégradation de la planète se sont accélérés depuis mon enfance. Par ailleurs, la période de confinement a été un révélateur : de nombreuses personnes ont enfin pris conscience de la gravité de la situation. Je recommande à tous de s’informer, de lire, de se responsabiliser : diminuer les effets de serre, se concentrer sur les énergies renouvelables. Tout démarre à une petite échelle : faire de petits gestes quotidiens, renoncer à certains produits, à certains aliments, et apprendre à recycler.
À titre personnel, la nature a sur moi un effet très particulier, apaisant, salvateur même : elle m’ancre à la terre, me rend plus active, plus réaliste. Mon projet de vie à court terme : une ferme, probablement en Irlande. Ce n’est pas un caprice d’actrice, c’est une aspiration très profonde à laquelle je réfléchis depuis pas mal d’années. La permaculture est un sujet qui m’intéresse, et j’ai même dans l’idée d’élever des alpagas, car j’aime passionnément les animaux. Je réfléchis sérieusement à une entreprise qui serait à la fois écologique et rentable.
Est ce bien compatible avec le métier d’actrice ?
Avec la crise du Covid-19, on s’est bien rendu compte que tout était fragile et vulnérable, en particulier mon métier. Tout s’est arrêté, et je ne retravaillerai plus avant 2021. Le monde de demain ? J’espère me tromper, mais il me semble déjà bien chaotique. Comment rester positif quand tout semble vaciller ? Pour ma part, j’essaie de nager dans les eaux troubles et de ne pas me laisser submerger par le spleen ou la colère.
Toujours sujette a l’anxiété ?
Cette fois-ci, il y a des raisons objectives d’être préoccupés. Nous sommes tous passés par une période de sidération, de paralysie, puis il a fallu relativiser. La méditation m’a beaucoup aidée. Mais, indépendamment de ces circonstances extraordinaires, je suis d’une nature inquiète, et rien ne me rassure vraiment.
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Pourtant, vous n’avez pas choisi le métier le plus stabilisant…
Oui, c’est la catastrophe. J’ai l’impression que lorsque je retravaillerai, j’aurai des cheveux blancs ! En ce moment, j’ai du mal à me concentrer sur mon métier. Je suis en mode «purgatoire». (Elle rit.) Et pourtant, j’ai viscéralement besoin du cinéma : le cinéma me rend vivante et me fait vaincre mes peurs. Dans la vie, je suis trouillarde et très réservée. Au cinéma, je m’active, je me prépare physiquement – comme pour Dumbo, où j’ai appris le trapèze -, je fais des recherches, je travaille les accents.
Le cinéma est-il plus intéressant que la vie, comme l’assurait Truffaut ?
Oui… enfin… je me fais violence pour que ma vie soit plus intéressante. Enfant déjà, j’avais l’impression de vivre dans le rêve de quelqu’un d’autre. J’étais lunaire, j’avais la sensation de flotter. C’est la raison pour laquelle je suis si attachée à la nature : je dois absolument être reliée à la terre. C’est aussi pourquoi je fais beaucoup de sport : j’aime les efforts, transpirer. Et on ne peut pas être heureux si l’on n’est pas ancré.
Vous venez de fêter vos 40 ans…
Je ne vous dirai pas que ça me fait plaisir. C’est un grand chiffre, et une grande pression pour une actrice. Les anniversaires, ce n’est pas mon truc. Je préfère célébrer ceux de ma mère.
Est-ce que vous recevez beaucoup de scripts ?
Mon agent filtre : je n’ai plus envie de jouer tous ces personnages dark and beautiful, les femmes fatales, les séductrices. Hélas, il se monte de moins en moins de films intéressants, et les productions indépendantes battent de l’aile. Aujourd’hui, la créativité s’est reportée sur les séries télé.
Vous avez adhéré au mouvement MeToo. Où en est-il aujourd’hui ?
Tout le monde se révolte, on entend les voix des minorités, et c’est très sain. Il faut sans cesse poursuivre les combats. J’ai l’impression que les femmes sont davantage écoutées, davantage crues, qu’il y a moins d’obstacles pour porter plainte, par exemple.
Vous-même avez été harcelée par Harvey Weinstein…
Oui, mais j’ai peut-être manqué de courage, je ne fais pas partie des premières qui ont parlé. Mais on avait tellement peur ! Il était intouchable et son pouvoir était immense. Le moment venu, je me suis défendue, mais j’étais traumatisée et j’ai passé beaucoup de temps à le fuir : il fallait absolument l’éviter, et je partais en voyage dès qu’il me sollicitait. Mais c’était sans fin : plus vous lui résistiez, plus il était excité – un malade mental. Nos routes ne se sont plus croisées.
Avez-vous été victime de discrimination ?
Comme femme ? Comme Française ? Je n’en ai pas l’impression, même si nous, les actrices, continuons d’être moins bien payées que les acteurs. En revanche, si l’on évoque les castings, c’est monstrueux. On est du bétail, on pleure beaucoup, c’est très violent. J’ai la chance de ne plus en faire. On me demande parfois des essais, mais dans ce cas je me filme à la maison et j’envoie un enregistrement. Dans ce métier, on est remis en question à chaque nouveau projet. Et quand on n’est pas désiré, alors on n’existe plus. C’est affreux de dépendre du désir des autres, et, franchement, on ne guérit jamais de cela. La seule solution, c’est de trouver d’autres pôles d’intérêt. D’où mon projet agricole…
Le nouveau James Bond, le dernier avec Daniel Craig, sort bientôt. La rumeur dit qu’il y est question de Vesper Lynd, la fameuse James Bond girl que vous avez jouée, grand amour de 007, morte noyée à la fin de Casino Royal …
Ah bon ? C’est mon film le plus connu. C’est un beau film, le personnage est complexe, et cela a été un tremplin important. Mais j’ai fait tellement d’autres choses depuis. Aux États-Unis, on continue de me dire «I love your movie», comme si je n’en avais tourné qu’un…
The Luminaries, de Claire McCarthy, sur BBC 2. La série bientôt diffusée en France.
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