Interview.- Le Silence, dernier roman de l’auteur américain culte, nous plonge dans une panne électrique apocalyptique. Un récit incisif qui cristallise toutes les angoisses de notre époque, jusqu’au vertige.

De Libra, consacré à l’assassinat du président Kennedy, à L’Homme qui tombe, sur le 11-Septembre, les romans de n’ont eu de cesse d’explorer la face sombre de l’histoire américaine. Dans son nouveau livre, Le Silence, qui se situe en 2022, cinq amis ont prévu de se retrouver un dimanche de Super Bowl quand survient un incident aux allures d’apocalypse : toutes les connexions numériques sont coupées, sans que nul ne sache jusqu’où le phénomène s’étend. Un thème qui va comme un gant au maître de la fiction, paranoïaque selon les uns, prophétique selon les autres.

Madame Figaro. – Le Silence commence avec un homme qui fixe un écran et s’achève pareillement. Que représentent ces écrans qui ponctuent votre roman ?
Don DeLillo. – Ils n’avaient pas vocation à représenter quoi que ce soit. Dans le contexte du récit, ils sont l’indication, à l’échelle locale, d’une panne plus vaste qui pourrait bien avoir touché le monde entier…

Ne renvoient-ils pas, toutefois, à une forme d’aliénation à une époque où chacun reste collé à son smartphone ?
Oui, l’influence de la technologie, qui altère nos vies minute après minute, est si profondément intriquée dans nos existences que nous perdons pied quand elle disparaît… La technologie a changé la façon dont nous pensons et parlons. Notre pensée est moins méditative et plus instantanée. Je n’utilise pas de téléphone portable parce que je veux continuer à penser de façon traditionnelle. Cela m’aide à me concentrer sur les mots inscrits sur la page. Cela a toujours été un élément important dans ma manière de travailler.

Pourquoi vous être attaché à une catastrophe imaginaire et non à une réelle, comme la pandémie actuelle par exemple, à laquelle le livre fait d’ailleurs allusion ?
C’est un ouvrage de fiction et c’est tout bêtement l’idée qui m’est venue, avec l’image mentale d’un personnage fixant un écran noir. La plupart de mes fictions naissent d’une inspiration visuelle, qu’il s’agisse d’une rue vide, de l’atterrissage forcé d’un avion de ligne, d’un paysage désertique ou même d’une certaine organisation des lettres et des mots sur la page. Ici, c’est l’idée d’un écran vide qui m’a servi de moteur. Elle a conduit tout le livre. S’y est ajouté le concept du Super Bowl, qui me trottait dans la tête depuis plusieurs années. Regarder un match de football américain nous réunit tous d’une certaine manière, puis regarder l’écran soudain vide fait figure de note de bas de page cataclysmique…

Vos personnages semblent avoir des monologues plutôt que des dialogues. Était-ce une façon de souligner leur solitude ?
C’est juste la manière dont la forme du récit a émergé. Il n’y a pas nécessairement de raisonnement dans mes choix narratifs ou thématiques. Il y a l’impulsion, l’idée pure, et si celle-ci m’emporte, si elle me convainc, je suis prêt à découvrir où tout cela mène… Les personnages de ce roman livrent des remarques quelque peu formelles, parlant et agissant de manière très stylisée.

Vous mettez souvent en scène des peurs universelles – celles du crash en avion ou d’une panne électronique globale – et, dans l’un des chapitres, l’un de vos personnages, Tessa, énumère toutes sortes de catastrophes, naturelles ou non…
La beauté et la puissance de certaines formes de technologie ont tendance à être accompagnées d’une ombre. C’est ce qui se passe dans Le Silence. L’ombre devient tridimensionnelle, affectant non seulement des appareils mais aussi les êtres humains qui en dépendent.

Vous disiez que le visuel jouait un rôle fondateur dans votre art. Quelles images garderez-vous de cette année de pandémie à New York ?
L’épidémie de Covid-19 est devenue apparente à New York à peu près au moment où j’ai achevé le travail sur Le Silence. Un petit roman, d’évidence, mais il m’a fallu plus de deux ans pour l’écrire – je ne deviens pas plus vieux et plus sage, juste plus vieux et plus lent… Les images qui persistent dans la réalité tridimensionnelle de la ville sont des rues désertées, puis des gens qui se dépêchent pour aller on ne sait où, avec des masques sur leurs visages – des masques presque partout -, des magasins et des restaurants fermés, et la sensation persistante d’individus immobilisés dans des pièces. Un homme seul, ou une femme seule, ou une famille entassée sans le vouloir dans un espace confiné.

Le Silence, de Don DeLillo, traduit de l’anglais par Sabrina Duncan, Éditions Actes Sud, 112 pages, 11,50 €.

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