Le 1er juin 2021, Jean-Rémy H. comparaissait devant un juge d’instruction dans le cadre de l’affaire du charnier de l’université Paris-Descartes. L’ancien responsable des préparateurs des corps a livré un témoignage terrible, mais édifiant, que nos confrères du Monde ont dévoilé mercredi 14 juillet.

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En novembre 2019, L’Express fait éclater le scandale autour de ce que l’on appellera l’affaire du charnier de Descartes. A l’époque, nos confrères dévoilent une enquête insoutenable sur le Centre du don des corps (CDC) de la faculté René-Descartes, située dans le 6e arrondissement de Paris. Au cinquième étage de ce temple de la médecine, le plus grand centre anatomique de France, régnait donc un véritable charnier. Les corps donnés à la science finissaient ainsi démembrés, remplis de vers, attaqués par les rongeurs et les mouches, avant d’être entassés par dizaines, parfois dans un état de putréfaction avancé. Certains, trop abîmés, étaient par ailleurs incinérés avant même d’avoir pu servir à la science.

A la suite de ces révélations, près de 170 proches de défunts ont porté plainte contre X, entraînant la fermeture du CDC dans la foulée. En juin 2020, la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, Frédérique Vidal, a diligenté une inspection, qui a conclu à la “responsabilité” de l’université. Un mois plus tard, le pôle de santé publique du parquet de Paris a ouvert une information judiciaire. Le 14 avril 2021, l’ancien responsable des préparateurs des corps a été mis en examen pour “atteinte à l’intégrité d’un cadavre portant sur les conditions de conservation et de mise à disposition des corps” – de même qu’un autre ancien préparateur, ainsi que l’université elle-même et son ancien président. Le 1er juin suivant, Jean-Rémy H. a été déféré devant le juge d’instruction Adrien Lallement pour un interrogatoire de comparution, que nos confrères du Monde ont pu consulter.

J’étais obligé de me débrouiller”

Il le reconnaît, au cours des sept années qu’il a passées au CDC, il a fini par s’habituer aux “conditions de travail pas terribles”, aux “odeurs” et à la “saleté” des locaux, tout comme “quasiment tous ceux” qui y ont travaillé. “Je comprends que d’un œil extérieur, c’est inadmissible et que ça puisse choquer. […] On a commencé par ça donc on s’y fait”, a déclaré Jean-Rémy H. La justice suspecte par ailleurs le quadragénaire “d’avoir, entre le 30 novembre 2013 et le 31 janvier 2018, porté atteinte au respect et à l’intégrité de corps de personnes ayant fait le don de leurs corps à la science, notamment en récupérant sur les corps des dents en or et des bijoux, en leur portant des coups de couteau et en les laissant volontairement à la merci des rongeur”. Une perquisition à son domicile a, en effet, révélé la présence de bijoux et d’appareils dentaires appartenant à des donateurs.

Tout au long de son interrogatoire, Jean-Rémy H. tente de se dédouaner en reportant notamment la faute sur sa hiérarchie. Il s’est d’ailleurs souvenu de sa toute première visite dans les “frigos” du CDC, en 2011 : “Quand je me suis avancé, je me suis rendu compte que mon pied ne touchait pas terre. Quand j’ai levé le pied, j’ai vu que c’était une oreille qui [avait] dû tomber lors d’un cours, mais voilà ça donne tout de suite une idée de l’endroit où on est.” Celui qui a été nommé responsable des préparateurs quatre ans plus tard évoque à nouveaux les lacunes de sa direction : “Ils voulaient que l’argent rentre. […] Dès qu’il y avait un trou, ils plaçaient un cours. Parfois, un cours représentait vingt-quatre corps à disposer plus à ranger, affirme-t-il face au juge.

Également soupçonné d’avoir participé à une marchandisation des corps – certains, démembrés et disséqués, auraient en effet été vendus à l’Afrique – Jean-Rémy H. a été interrogé par le juge sur le nombre impressionnant de pièces anatomiques, surtout de têtes, qu’il avait conservées dans d’étroits congélateurs. “Une tête me servait au moins trois fois. Si vous regardez le nombre de cours et le nombre de têtes demandées, le nombre de corps par an ne suffit pas. Il arrivait bien souvent qu’en une semaine on me demande cinquante ou soixante têtes, comment voulez-vous y arriver sans ce stock ? […] J’étais obligé de me débrouiller tout le temps, a répondu le prévenu. Finalement, l’ancien préparateur reconnaît avoir donné, une seule fois, “un coup de couteau dans un corps”. Un geste survenu sous le coup de la “colère”, après un différend avec un collègue, qu’il semble aujourd’hui regretter.

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