Confinée à New York avec ses enfants, l’actrice et musicienne se confie sur ce moment suspendu, pendant lequel elle écrit, écoute de la musique. Et souligne la fonction salvatrice de cette dernière.
Madame Figaro.- Quel est le pouvoir de la musique aujourd’hui ?
Charlotte Gainsbourg.- Entrer en communion avec la musique, regarder un film, faire de la cuisine, c’est un peu tout ce qui nous reste en ce moment où tout est statique, où les journées se ressemblent. Aujourd’hui, la musique nous aide dans toutes nos activités : j’écoute du jazz en cuisinant, des morceaux très énergiques quand je vais courir, du classique à très haut volume quand je suis seule…
Les musiques actuelles sont-elles un miroir de notre temps ?
Je trouve que la musique urbaine, surtout américaine, reflète vraiment notre époque. Quand j’écoute This is America, de Childish Gambino, ou Kanye West, un musicien tellement inventif, ce ne sont pas les années 1980 ou 1990, c’est un son d’aujourd’hui.
Et vous, dans quelle époque vous situez-vous ?
C’est difficile à dire, parce que j’en ai vécu plusieurs. Dans les années 1980, avec Lemon Incest, mon son était très lié à celui de mon père et à celui de l’époque. Après, chaque disque a pris la couleur de la personne avec laquelle j’ai collaboré : la couleur des années 1990 quand j’ai fait l’album avec Air, ou celle des années 2000 quand j’ai travaillé avec Beck… J’ai eu la chance de me balader dans des époques différentes et j’espère continuer ! Aujourd’hui, je suis très attirée par la musique électronique : j’ai travaillé avec SebastiAn, et j’ai l’impression d’avoir trouvé un son qui me charge émotionnellement, qui me comble.
En vidéo, « Deadly Valentine », le premier clip de Charlotte Gainsbourg
Participer, quoi qu’il arrive
Avez-vous été touchée par la force et la mise à nu des artistes musicaux durant ce confinement ?
Je trouve qu’ils font preuve d’une grande générosité. J’ai été marquée, entre autres, par Mick Jagger et les Rolling Stones. C’était dément de les voir rassemblés, de réaliser à quel point ils ont envie de faire du bien, de se faire du bien et de partager, même quand tout s’arrête. J’admire beaucoup ma sœur Lou, qui, pendant le confinement, a partagé des moments de vraie poésie dans ses lives … C’est une actrice dans ce sens-là, et je ne suis pas comme elle. J’ai eu honte de ne pas pouvoir participer à ce genre d’exercices dans lesquels je ne me sens pas à l’aise, car j’ai besoin d’une scène, d’un interlocuteur.
Vous avez tout de même participé avec une centaine d’artistes, dont Marion Cotillard, à l’opération Stars solidaires, où chaque participant a offert un objet symbolique dédicacé, vendu aux enchères et dont les bénéfices sont reversés à #ProtègeTonSoignant…
Oui. J’ai une passion pour les jeans depuis toujours, et j’en ai donné un de Saint Laurent auquel je tenais. À ce moment-là, j’étais en train de lire pour la dixième fois À la Recherche du temps perdu, sans avoir jamais dépassé Un amour de Swann … Je suis tombée sur une phrase où Proust parle de la générosité, du don de soi et j’ai écrit ce passage sur ce jean.
On a vu et on voit beaucoup plus de musiciens que d’acteurs partager leur art sur les réseaux sociaux. Comment l’expliquez-vous ?
En tant qu’acteurs, nous sommes coincés. On se demande quand on pourra retourner sur un plateau… On nous a coupé les pattes, que voulez-vous faire ? On ne peut pas jouer une scène dans notre salon. C’est impossible pour moi en tout cas. On a besoin d’un regard et ce n’est pas celui du public : le regard du public, pour un acteur, doit arriver en fin de course. Il y a tout un processus essentiel de travail qui n’est pas faisable en ce moment. Donc, tout ce qu’on peut dire c’est qu’on est présents, écrire, participer à notre façon, le plus généreusement possible.
Qu’est-ce qui vous inspire musicalement ?
Je ne suis pas snob : tout peut m’inspirer. J’adore les tubes américains, autant que la poésie de Keren Ann. C’est une vraie artiste, ce que je ne suis pas. On m’a toujours dit qu’on n’est pas artiste si on ne peut pas se passer de son art. Moi, je peux. Je vis comme mes parents : ils n’avaient pas une vie «artistique», ils s’amusaient. Ils ont vécu les années 1970 à fond la caisse, ils sortaient. C’était les boîtes de nuit sans arrêt, une vie sociale démente, mais ils n’étaient pas «artistes». Ils faisaient un album dans la précipitation – mon père écrivait la veille pour le lendemain. Il n’y avait pas chez eux ce côté «artiste maudit», en création constante.
Rentrer « à la maison »
Êtes-vous dans un moment de création ?
Je pensais que ce serait impossible dans ces conditions mais je suis en train de faire un nouvel album. J’écris des textes et je pose ma voix sur des morceaux que m’envoie un musicien dont je ne souhaite pas encore dévoiler le nom. Ce ne sont pas des chansons à message : j’écris des textes personnels, et je me sers de la musique comme d’un instantané. Mais il est aussi vrai que j’écris pendant ces événements, et je sais que, jusqu’à ma mort, ça restera un album qui reflétera ce moment que je vis, que nous vivons tous. Même si ce ne sera pas forcément dans le propos.
Ce qui a changé avec le confinement et ses aléas ?
Je suis toujours confinée à New-York avec mes enfants, et cela depuis deux mois. J’avais un grand attachement à cette ville parce que ça fait six ans que j’y vis, mais de la voir dans cet état-là… C’est tellement triste tous ces endroits fermés, tous ces gens au chômage… Tellement de misère. C’est terrible. C’est là aussi où je prends conscience qu’une partie des États-Unis, un pays que pourtant j’aime, est dans une culture différente. Quand il y a un problème grave, comme c’est le cas, on réalise qu’on veut rentrer «à la maison».
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