Thérèse avait « fabriqué » Céline Dion qui, jusqu’au bout, a eu besoin d’elle. A 92 ans, la chef du clan s’est éteinte au milieu des siens.
Pour son premier jour de deuil, elle a choisi le rouge. Scintillant. En tournée depuis quatre mois, Céline Dion connaît la musique… Elle reprend ses titres phares dont « I’m Alive ». Je suis vivante… Comme à son habitude, elle lève le poing et remercie son public. Mais, cette fois, les applaudissements s’étirent. L’émotion s’empare de la salle et les musiciens écrasent discrètement une larme. Alors Céline raconte en quelques mots : « Vous avez dû apprendre la nouvelle à propos de ma maman… Je dois dire que, ce soir, j’ai les jambes tremblantes », puis elle reprend la mesure.
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La veille, à plus de 2 500 kilomètres, aux abords de Montréal, la chanteuse a retrouvé ses frères et sœurs autour du lit de Thérèse, 92 ans. « Il est temps de lui dire au revoir », avaient prévenu les infirmières. La fratrie l’a veillée, dans l’intimité de la maison de Sainte-Rose. Là où ils aimaient se retrouver, où la star avait sa place, à égalité avec les autres. L’occasion de se remémorer des souvenirs heureux, mais surtout de faire ce que leur mère leur a toujours appris : chanter ensemble. « Je leur donnais une cuillère en bois, je les asseyais sur la dernière marche de l’escalier avec de vieux chaudrons et ils tapaient dessus pour écouter les sons. Fantastique ! » racontait Thérèse. Encore quelques notes de musique et puis celle que tout le Québec appelle « Maman Dion » s’en est allée.
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Elle a connu une drôle de vie, Thérèse, née le 20 mars 1927, en pleine crise économique dans les terres reculées du Québec, en Gaspésie. La famille est modeste. Adolescente, Thérèse joue du violon et tombe amoureuse d’Adhémar, passionné d’accordéon. Ils se marient quelques années plus tard. Elle élève seule leurs enfants, pendant qu’Adhémar part gagner sa vie dans des camps de bûcherons. Après quatre naissances, Thérèse prie pour s’arrêter là. Trop de labeur, de cuisine et de lessives. Mais bientôt une tripotée de gamins suivra. Installée dans un petit logement à Charlemagne, la famille pousse les murs. A 41 ans, Thérèse tombe enceinte une quatorzième fois. Elle déprime mais se résigne. Elle gardera cet enfant et trouve son prénom grâce à la chanson d’Hugues Aufray, « Céline ». La famille vivote. Peu importe, le quotidien est rythmé par les grandes tablées et des fêtes dansantes dans le salon familial avec Thérèse en chef d’orchestre. « La vaisselle était l’occasion de lancer des chorales, ça durait une heure, mais ça nous paraissait être cinq minutes », raconte Denise, l’aînée, dans un documentaire consacré à sa mère. « A chaque fois qu’on essayait un nouvel instrument, notre mère nous encourageait à persévérer, convaincue de notre potentiel », poursuit Jacques, l’un des fils, devenu musicien.
Thérèse va se consacrer pleinement à la réussite de la petite dernière
Céline grandit mais n’est pas vraiment une enfant épanouie. A l’école, elle se sent moquée, ses habits, son physique, tout la complexe. Le bar familial, ouvert par Adhémar, devient son refuge, sa première scène, surtout. « Les gens venaient dans notre café le samedi soir pour la voir chanter ! Alors je me suis dit : “Elle a du talent, je vais l’aider.” C’est moi qui lui ai écrit ses chansons d’enfant et j’ai dit à mon fils Jacques : “Tu vas me mettre une musique là-dessus.”» Thérèse est directe, sans fioritures. Elle aime le show-business et a une idée bien précise de son mode d’emploi. Elle écrit le premier titre de Céline, « Ce n’était qu’un rêve ». La cassette terminée, elle sait qu’il faut trouver un agent. Alors, Thérèse retourne l’album de celle qui est alors en tête des ventes au Québec, Ginette Reno. Elle lit le nom du manager : René Angélil, trouve son adresse, et le convainc.
Les premiers succès ne se font pas attendre. Thérèse va se consacrer pleinement à la réussite de la petite dernière. « Céline m’a raconté que, lors de ses premières scènes, elle avait une robe rose mais des chaussures rouges. Sa mère les avait alors repeintes en rose. Mais à chaque pas, la peinture craquait », se remémore Julie Snyder, animatrice et productrice, proche de la famille Dion. Thérèse accompagne partout Céline, jusqu’à Tokyo, où mère et fille découvrent la vie d’hôtel, même si, chaque matin, elles refont leurs lits. Elles s’étonnent surtout des habitudes culinaires étranges des Japonais. Entre autres, cette pâte verte appelée wasabi qu’elles prennent pour de la purée de petits pois : forte comme du piment en réalité. A Paris, elles se baladent sur les Champs-Elysées, se laissent photographier. Céline, accrochée au bras de sa mère, rencontre ceux qui feront d’elle une grande.
Lorsque sa relation avec René évolue, Thérèse fronce les sourcils. « Au début, elle n’a pas applaudi ! Il avait déjà été marié deux fois, elle ne voulait pas que sa fille soit la numéro trois », raconte Julie Snyder. Il a fallu la convaincre. Chose faite en 1994, le couple se marie. René Angélil ne lui en tiendra jamais rigueur mais il l’appelle « madame Dion » et la vouvoie, respectueusement. Le couple gâte toute la famille. Thérèse, elle, récupère sacs et bijoux dont elle ne sait que faire. A Miami, Céline l’installe dans une maison attenante, avec appartements privés et sous-sol rempli du nécessaire à coudre et à tricoter. Jamais loin de celle qu’elle appelle toujours « Moman ».
« Personne ne connaît la mère de Beyoncé. Mais tout le monde connaît celle de Céline », raconte Julie Snyder
Thérèse est incontestablement la chef d’une grande famille de 32 petits-enfants, 48 arrière-petits-enfants et 6 arrière-arrière-petits-enfants. Elle n’est pas la seule à partager la vie de Céline. Il y a la sœur, l’aînée, Denise, la plus proche de Thérèse, qui assiste chaque jour la chanteuse ; Linda, qui s’occupe de ses fils pendant qu’elle fait ses shows ; Claudette, qui se charge de la fondation familiale, etc. C’est comme ça que Thérèse imaginait sa famille, en clan uni. Les Québécois l’érigent en mère modèle. Elle devient une marque et commercialise avec succès Les Pâtés de Maman Dion, plats cuisinés et recettes traditionnelles de tourtières de viande, entre autres. On la sollicite pour des publicités, des plateaux télé.
« Personne ne connaît la mère de Beyoncé. Mais tout le monde connaît celle de Céline », raconte Julie Snyder. La productrice lui propose de devenir animatrice, à 71 ans, d’une émission de cuisine semblable à celle de Maïté en France. Thérèse lui prend le bras, enjouée : « J’ai toujours rêvé de ça », et se lance dans l’aventure pendant trois saisons. Elle continue de suivre les tournées de sa fille. « Les années passent, mais elle a toujours le même regard, celui d’une mère émerveillée devant le récital de son enfant », raconte Stéphane Laporte, réalisateur du documentaire « Céline autour du monde ». Thérèse prend place dans des jets privés, voyage à travers la planète et, lorsqu’elle dit que ses enfants lui manquent, René les fait tous venir. Une simple réunion de famille des plus proches se compose de 80 personnes autour d’une table. Hors norme.
Pendant la maladie de René, Thérèse reste celle sur laquelle on s’appuie
Pendant la maladie de René, elle reste celle sur laquelle on s’appuie. En 2016, pour les obsèques, elle prend le bras de son petit-fils René-Charles, essuie les larmes de sa fille. Mais elle ne reprendra pas sa place de manageuse. Céline est devenue sa propre « boss », comme elle aime le dire. En juin 2019, lors des derniers shows à Las Vegas, Thérèse n’est pas venue applaudir sa fille. Elle souffrait déjà de problèmes de santé. Cet été, Céline a passé beaucoup de temps chez elle, au Québec, puis elle s’est lancée dans sa nouvelle tournée, « Courage ». Elle savait ce qui devait arriver. Alors, ce vendredi, à Miami, pendant qu’elle assure deux heures de show, le portrait de Thérèse Dion apparaît sur les écrans géants. C’est le moment de la dernière chanson, « Somewhere over the Rainbow », le standard de Judy Garland, qui arracherait des sanglots à une statue de pierre. Puis les lumières s’éteignent. Céline a quitté la scène sans rappel. Personne n’applaudirait à ses larmes.
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