Senteur nécessitant d’être le nez collé à la peau, composition aux notes rassurantes ou encore élixir de séduction : la notion floue du parfum de peau démontre l’imaginaire fertile sur lequel repose le pouvoir des odeurs.
Etre à fleur de peau, l’avoir dans la peau… Autant d’expressions qui trahissent l’importance de l’épiderme pour exprimer ses sentiments. La perception des parfums, matière impalpable s’il en est, est aussi du ressort des sentiments, liée au vécu, à l’inconscient et à l’intimité de chacun. Alors lorsque les deux univers se rencontrent à travers les parfums de peau, cela donne lieu à mille et une interprétations. N’avez-vous jamais entendu une vendeuse de parfumerie vous argumenter qu’il « s’agit là d’un parfum de peau » ? Cette assertion ne repose pourtant sur rien de tangible sur le plan scientifique mais relève du ressenti.
« C’est une vieille expression qui revient à la mode, un effet de manche du marketing pour éveiller l’attention du consommateur mais qui n’est guère utilisée dans le jargon des parfumeurs ; car cela ne correspond ni à une famille, ni à une forme olfactive précise » affirme Francis Kurkdjian, fondateur de la maison de parfums éponymes. « Les rares fois où j’ai entendu des professionnels employer le terme, c’était pour justifier des sillages à faible diffusion. Car il est évident qu’un parfum est destiné à la peau, sinon on précise qu’il est d’intérieur, pour les cheveux ou la voiture ». Pourtant lorsque Claude Montana, enfant terrible de la mode des eighthies lance son premier flacon en 1986 sous le nom de Parfum de Peau, celui-ci n’a rien d’une bluette olfactive : son sillage brûlant d’encens, de cuir et de notes animales s’inscrit dans la lignée d’un Poison de Dior ou d’un Opium d’Yves Saint Laurent. Son rapport avec la peau ? Sans doute la sur-représentation de notes de fond, de celles qui tiennent des heures sur l’épiderme, ainsi que ses émanations de cuir rèche.
Aujourd’hui, les codes ont changé et lorsque des labels cosmétiques proposent un «Parfum de peau » comme le tout nouvel opus olfactif d’Aime Skincare, il s’agit plus d’un sillage intimiste aux notes de linge propre renvoyant à l’univers du soin et d’une peau douce (Eau de Parfum, 50 ml, 80€, aime.co). Et c’est là qu’interviennent les muscs dits blancs issus de la synthèse organique. Depuis les années 70, ceux-ci caractérisent l’odeur des lessives et adoucissants, sélectionnés pour leur persistance sur les fibres, malgré les lavages vigoureux à l’eau chaude. Leurs notes de fruits, de vapeur de riz et de boule de coton ont ainsi été assimilées à la sensation de draps fraîchement lavés, de peau propre et d’univers ouaté.
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Le parfum de peau : de la poudre et du propre
Les fragrances qui en contiennent beaucoup ont été peu à peu designées comme des « parfums de peau ». Le pionnier fut incontestablement Mûre &Musc de L’Artisan Parfumeur, un concept très moderne lorsqu’il sort en 1978, avec une fraîcheur fruitée acidulée qui bouscule un halo blanc abstrait et qui continue de séduire des années plus tard (Eau de Toilette, 100 ml, 150€, l’artisanparfumeur.fr). Dans cette lignée, White Musk de The Body Shop connaît depuis quarante-deux ans un succès inébranlable lui aussi (Eau de Toilette, 60 ml, 37€, thebodyshop.com). Des parfums annonciateurs de Trésor de Lancôme, un cran moins musqué mais avec des notes fruitées poudrées, de la rose et du santal qui incarnent une féminité douce (Eau de Parfum, 100 ml, 127 €*). Ou encore Flower by Kenzo, une rose-violette musquée qui s’offre ce printemps une Edition Couture avec un très joli ruban de soie autour de son flacon. (Eau de Parfum, 50 ml, 99€*). L’ enveloppement rassurant des muscs fait souvent mouche avec des amatrices extrêmement fidèles ; en France, Flower by Kenzo était encore numéro 10# des ventes en 2020, soit vingt ans après…
Citons encore For Her de Narciso Rodriguez, un poudré fruité musqué cette fois légèrement animal, dont l’affiche avec Carmen Kass, blonde juvénile aux cheveux tressés en couronne prônait une féminité innocente. Pour ses vingt ans, la version For Her Forever s’aère de fleurs blanches irradiant sa boule de muscs. Un jus magnifique, dans la lignée de son grand frère ! (Eau de Parfum, 50 ml, 105€*). L’univers de la peau s’invite même dans le discours de présentation de certains : This is Her Undressed de Zadig &Voltaire se définit comme une « fragrance addictive aussi sensuelle qu’une peau nue ». Une façon imagée de représenter les muscs, ici attendris de santal et fleur d’oranger salée (Eau de Parfum, 50ml, 87€*). Même le grand parfum L’Air du Temps de Nina Ricci se plie à l’exercice lorsque la décoratrice Alix D. Reynis, connue pour ses porcelaines rétro, revisite le célèbre flacon aux colombes d’un blanc mat parsemé d’étoiles. Cette édition collector met en sourdine le célèbre oeillet épicé au profit de néroli sur lit de musc, vanille et benjoin. (Eau de Toilette, 50 ml, 113€*).
Un pafum de peau : de la vanille à foison
Si la vanille est bien connue de tous, ce n’est pas le cas du benjoin, une résine aux notes caramélisées chaudes qui twiste les muscs d’une gourmandise moderne. Comme ce duo musc-benjoin en thème majeur de Sur Ma Peau de Dries Van Noten, éclairé de bergamote et citrus. (Eau de Toilette, 200 ml, 200€*, exclu Bon Marché Rive Gauche, 24s.com). A sentir aussi, le nouveau label Ynepsie qui lance Benjoin Solaire, un jus rehaussé de rose et d’encens pour une sensualité exacerbée (Eau de Parfum, 50 ml, 34€, ynepsie.com). « L’idée d’un parfum de peau est sa fusion avec l’épiderme, ce que font les ingrédients dont l’évaporation lente nécessite de la chaleur » précise Francis Kurkdjian. « Contrairement aux agrumes qui fusent de suite, cela concerne les notes ambrées, vanillées, les bois et les baumes dont le benjoin fait partie : il se dévoile au fil des heures » ajoute t’il, dont le best-seller Baccarat Rouge 540, embrase l’épiderme d’un fond ambré gourmand, aéré en tête de jasmin frais. Une merveille. (Eau de Parfum, 70 ml, 235 €*, franciskurkdjian.com).
« Enfin, l’iris poudré est aussi un bon candidat car l’irone, sa molécule odorante, a des accents de peau laiteuse ». Deux gouttes de My Way Parfum, dont le coeur de tubéreuse solaire s’attendrit justement d’un iris duveteux à souhait combiné aux muscs, amplifie mine de rien les sensations. (50 ml, 120 €*. Recharge, 100ml, 130€*). Le santal aussi, extrêmement tenace sur vêtement comme sur peau, est à peine perçu lors de la vaporisation. Et pourtant, sa musique lactée chaude surprend bien après au détour d’un mouvement. Une magie des notes de fond que retranscrit Solstice, de la collection Les Sommets chez Moncler, avec de l’iris enveloppé de santal crémeux. (Eau de Parfum,100ml, 190 €*, boutiques Moncler).
Parfum de peau : les mystères de l’olfaction
Cette impression d’enveloppement varie toutefois d’une peau à l’autre. Ne dit-on pas que certaines feraient virer le parfum ? En réalité, il ne s’agit pas d’une « formule qui aurait tourné », mais bien du biotope de chaque peau qui rentre en interaction avec le composé odorant et en module le rendu. « Selon son PH, notre peau est plus ou moins acide et héberge des bactéries différentes qui procurent des odeurs variées » décode Roland Salesse, spécialiste de biologie moléculaire et auteur de Faut-il sentir bon pour séduire, aux éditions Quae. « La peau est recouverte de milliards de bactéries qui se délectent de ses sécrétions, les métabolisent et émettent des composés volatiles. Attention, l’autre ne sent pas mauvais, mais juste différemment ». Ces bactéries responsables de l’odeur corporelle varient selon l’alimentation, l’âge mais aussi les changements hormonaux et les maladies éventuelles. Il est alors logique que d’une peau à l’autre, d’un moment de vie à un autre, le même parfum ne sente pas pareil. Ainsi, un régime riche en épices change l’odeur d’une personne quand l’ail ou l’oignon lui donne un goût légèrement sucré. De même, les mangeurs de viande ont une odeur plus forte : ils ingurgitent des protéines donc des acides aminés, fournisseurs de groupes ammoniaqués et sulfurés odorants. Attention aussi aux préjugés, car chacun peut devenir le « puant » de l’autre. Ainsi, pour les Japonais, les Occidentaux ont pour la plupart une odeur désagréable. « Ils nous appellent les batakuzai ce qui signifie le beurre rance » reprend Roland Salesse. « Au Japon, si tout le monde transpire, 95% de la population ne possède pas un gène précis, le ABCC11 responsable des odeurs de la transpiration. Pour eux, les Occidentaux sentent donc très forts, même sans parfum».
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La médecine de demain
Et pour ceux qui douteraient encore que le corps humain a une odeur, la coutume ancestrale des médecins de sentir l’haleine n’était pas si incongrue : actuellement les laboratoires médicaux multiplient les diagnostics olfactifs de certaines maladies grâce à des nez électroniques associés à l’Intelligence Artificielle, en s’appuyant sur les composés organiques volatiles dégagés par la peau. Des méthodes encore à l’état de test mais qui inaugurent la médecine de demain. En attendant, pour se laisser surprendre par son parfum, il est bon d’observer une vieille recette : l’appliquer là où le sang afflue , aux poignets, à la nuque ainsi qu’ au creux des genoux. Ou de suivre le conseil de Gabrielle Chanel : « Parfumez-vous partout où vous souhaitez être embrassée ».
* en parfumeries et grands magasins.
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Texte Laurence Férat
Crédits photos : Photos Fabrice Bouquet. Réalisation Dominique Evêque
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Une composition signée Fabrice Pellegrin. Son coeur musqué facetté par un accord de vapeur de riz évolue et diffère d’une peau à l’autre tandis que le sésame évoque l’odeur enivrante de l’encre qui imprègne le papier.
Un voyage olfactif autour du jasmin associé à la vanille enveloppante et à un trait de patchouli. Eau de parfum 100% d’origine naturelle.
Jean JACQUES, Parfumeur de la Maison Caron décrit cette nouvelle création comme « un somptueux soliflore fleur d’acajou où la puissance des fleurs blanches est adoucie par la fraîcheur juteuse de la carambole. »
Un floral oriental inspiré par le Liban où l’iris est réchauffée par les notes ambrées et baumées de myrrh et benjoin.
Cette fragrance en édition limitée s’ouvre sur une base d’agrumes frais de bergamote de Calabre, son cœur révèle la douceur de la pêche mûre et le cèdre apporte une touche apaisante et chaleureuse.
Un parfum floral et boisé majestueux homme à la beauté de la femme italienne.
Autour de
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