- Des mécanismes bien précis à l’origine de notre amour des cosmétiques
- Efficacité des produits et émotions positives vont de pair
- Être mieux avec soi et les autres grâce au parfum
- L’émotion, au coeur des prochaines innovations beauté
Si les secteurs du design, des transports et de l’agroalimentaire ont recours aujourd’hui aux neurosciences, c’est celui des cosmétiques qui s’y est intéressé le plus tôt pour créer des produits titillant nos émotions. Une démarche tout sauf simpliste.
« Longtemps, on a imaginé les émotions comme une réponse à des stimuli. C’est une vision naïve. En réalité, c’est un flux dynamique, un processus de traitement de l’information qui est permanent et non conscient », résume Arnaud Aubert, docteur en psychologie et neurosciences, directeur scientifique de la société Emospin (spécialisée dans l’étude des émotions).
Cela signifie que, chaque seconde, tout ce que l’on perçoit via nos sens (consciemment et inconsciemment) est d’abord traité par notre cerveau sur le plan émotionnel.
« La perception est une construction du cerveau qui va s’ancrer dans notre mémoire, mais pas forcément la réalité exacte », explique le scientifique. Décoder cette construction est utile aux marques à deux niveaux. D’une part, cette perception est déterminante au moment de choisir un produit. D’autre part, si le bénéfice émotionnel est mieux ciblé, la satisfaction grandit aussi à l’utilisation.
Des mécanismes bien précis à l’origine de notre amour des cosmétiques
Une palette de techniques est nécessaire pour mesurer la complexité d’une émotion. « Elle possède une composante subjective, cognitive (l’état que l’on peut décrire). Elle a aussi des manifestations physiologiques (la modification des battements du cœur). La troisième composante, expressive, est marquée par la gestuelle, les mimiques du visage, le ton de la voix… « , détaille Arnaud Aubert.
Les scientifiques ont à leur disposition des boîtes à outils pour analyser ces points. Et différentes méthodes pour croiser les résultats et obtenir une information plus précise que le ressenti des personnes. « On sait dire si on aime ou pas une odeur, une texture, un objet. Cela se complique si on doit expliquer à quel degré et pourquoi. Souvent, le cerveau conscient n’a pas accès à l’information », note-t-il. Parfois même, on ne veut pas dire certaines choses.
Au moment de la découverte d’un produit cosmétique apprécié, les consommateurs activeraient les mêmes zones cérébrales que lors d’un premier contact amoureux.
« L’excitation sexuelle procurée par un parfum ne sera pas verbalisée », constate Arnaud Montet, responsable du département Sciences du consommateur chez IFF. L’observation des comportements et des expressions, ainsi que des mesures comme l’électroencéphalographie, apportent des réponses. Avec l’Université métropolitaine de Tokyo, le centre de recherche de Shiseido a mené en 2018 une étude aux résultats étonnants.
« Les chercheurs ont voulu démontrer une analogie entre l’activité neuronale lors de l’utilisation des cosmétiques et celle des différents stades d’une relation amoureuse. Au moment de la découverte d’un produit cosmétique apprécié, les consommateurs activeraient les mêmes zones cérébrales que lors d’un premier contact amoureux. Les fidèles, qui connaissent la marque, les textures, les odeurs, qui sont en terrain connu, activeraient d’autres zones cérébrales qui correspondent aux sentiments d’amour et de sécurité ressentis par un couple stable« , indique Nathalie Broussard, directrice de la communication scientifique de la marque.
Efficacité des produits et émotions positives vont de pair
La mesure des émotions a d’abord été utilisée pour valider des promesses avancées. Aujourd’hui, les laboratoires convoquent les neurosciences en amont pour concevoir des produits très marketés où plus rien n’est laissé au hasard.
Pour moduler le ressenti, il est ainsi possible de jouer sur les aspects sensoriels (texture, couleur, parfum) mais aussi sur le packaging, sa forme, ses codes et l’aura de la maison.
« Une étude que nous avons menée en 2020 a montré que la valeur émotionnelle des produits de luxe est largement influencée par la texture, mais aussi par l’univers informatif autour du produit – packaging, positionnement de la marque, argumentation, storytelling… « , confirme Nathalie Broussard. Manipulation ? La valeur ajoutée pour le ou la consommateur.rice est a priori bien réelle, car un produit qui provoque l’adhésion sera utilisé régulièrement et aura donc plus de chances d’offrir des résultats.
« La première efficacité d’un produit cosmétique vient de son application sur la peau, qui fait naître des émotions positives. S’il procure du plaisir, on va le masser plus longuement », note Virginie Couturaud, directrice de la communication scientifique Dior.
Et éprouver du bien-être en mettant sa crème provoque une cascade de réactions biologiques (comme la libération de certaines hormones) qui viennent renforcer l’action des ingrédients. Un exemple simple : celui de l’effet relaxant d’un parfum. « Il entraîne une relaxation des traits du visage, une détente des muscles et donc réduit les crispations, un vrai bénéfice antirides », indique-t-elle.
Être mieux avec soi et les autres grâce au parfum
Au-delà de l’efficacité pure sur la peau, les émotions positives engendrées par l’utilisation d’un produit ont ce bienfait d’améliorer notre rapport à nous-mêmes et aux autres. « Les textures à effet immédiat, en termes de confort ou d’aspect visuel, créent une meilleure perception de l’image de soi », explique Virginie Couturaud.
Or si on se sent mieux dans sa peau, notre rapport aux autres n’en sera que plus positif. Le secteur de la parfumerie est particulièrement impliqué dans ces aspects.
On n’invente pas le pouvoir du parfum mais les neurosciences nous permettent de le mesurer. Et à partir du moment où on mesure, on maîtrise, c’est-à-dire qu’on peut orienter la formulation dans un sens ou un autre.
« Le parfum possède trois grands rôles sociologiques : le lien social, le rapport à l’autre dans l’idée de séduction et le rapport à soi », rappelle Arnaud Montet. Le Covid a rebattu les cartes en renforçant le besoin de bien-être pour soi, une dimension rassurante, presque spirituelle. Ce qui explique que les ventes de parfums n’ont pas chuté avec la crise.
Cette demande des consommateur.rices est croissante et, grâce aux neurosciences, les maisons de composition ont la capacité de proposer des fragrances « feel good« , preuves à l’appui. « On n’invente pas le pouvoir du parfum mais les neurosciences nous permettent de le mesurer. Et à partir du moment où on mesure, on maîtrise, c’est-à-dire qu’on peut orienter la formulation dans un sens ou un autre », souligne Arnaud Montet.
Elles peuvent objectiver ce qui était souvent connu de manière empirique avec l’aromachologie, tout en allant bien plus loin. « On a, par exemple, trouvé une fraction de lavandin qui a plus d’effets relaxants que la lavande standard. De plus, ce qui est très nouveau, c’est que l’on prouve que les molécules de synthèse génèrent aussi des émotions », poursuit le spécialiste.
L’émotion, au coeur des prochaines innovations beauté
Si la dimension du bien-être est aujourd’hui bien explorée, tout comme celle de la séduction, le nouvel axe de recherche porte sur le rapport aux autres, sur la dimension sociale du parfum. « C’est l’idée de créer du lien. Le parfum est le premier réseau social », commente Arnaud Montet, qui espère voir sortir des applications concrètes d’ici trois à quatre ans.
Dans tout le secteur de la beauté, l’émotion sera au cœur des prochaines innovations. « Le design émotionnel est une voie d’avenir. Aujourd’hui les gens veulent consommer moins mais mieux, c’est une façon de leur proposer des produits qui leur sont vraiment utiles. Cela veut dire moins de déception de leur côté et, pour la marque, plus de fidélisation. C’est un cercle vertueux », estime Arnaud Aubert.
Aujourd’hui les neurosciences nous emmènent encore plus loin. Dans l’absolu, elles permettent donc de mettre en place des protocoles émotionnels et sensoriels qui vont anticiper nos désirs, influencer nos perceptions et conditionner nos comportements.
Un modèle de conception des produits à l’opposé de la « fast-beauty« , qui peut cependant nous donner la sensation d’être manipulé.e à notre insu et de perdre tout libre arbitre.
« Au XXe siècle, les recherches du béhaviorisme et des sciences comportementales avaient déjà montré la réalité et l’efficacité de certains protocoles pour influencer la décision des individus, note Pierre Bisseuil, cofondateur de l’agence de prospective The Prospectivists. Aujourd’hui les neurosciences nous emmènent encore plus loin. Dans l’absolu, elles permettent donc de mettre en place des protocoles émotionnels et sensoriels qui vont anticiper nos désirs, influencer nos perceptions et conditionner nos comportements. Cependant, il existe encore de nombreuses incertitudes sur les interprétations et les protocoles employés qui font que, pour l’instant, on tâtonne encore beaucoup et que de nombreuses conclusions scientifiques sont apparues fausses ou biaisées. »
Reste à savoir si toutes les marques y auront recours demain.
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