À l’heure où les réseaux sociaux ont réinventé la manière d’aborder la beauté, l’idée de communauté s’est imposée. Et permet aujourd’hui, via le financement participatif, de faire naître de nouvelles marques, pensées et soutenues par et pour les consommatrices.

En 2018, la marque de soins d’hygiène Respire fait sensation. La fondatrice, Justine Hutteau, a l’idée d’élaborer des déodorants naturels et décide de lancer un crowdfunding via la plateforme Ulule. Après avoir fédéré une petite communauté sur Instagram autour de la course à pied, elle mobilise cette dernière autour de son projet. Résultat, l’objectif, fixé à 2000 déodorants… finit avec plus de 20 000 précommandes. Un succès qui pousse Ulule à créer une catégorie dédiée à la beauté et au bien-être.

Le financement participatif serait-il devenu le nouveau sésame des jeunes marques pour se faire une place sur le marché des cosmétiques ? «En 2020, nous avons vu 400 projets se lancer sur cette thématique, soit un projet sur dix» explique Fiona Vindret, «success manager» au sein de la plateforme participative fondée en 2010. De 900care, produits de salle de bains à recharger, qui vient d’établir un record en termes de fonds collectés, à Poupon, qui vise la clientèle des touts-petits, chacun semble pouvoir trouver sa place dans un marché déjà très actif. Et avoir une chance de séduire sur des thématiques de niche, la clé du succès résidant avant tout dans la capacité à fédérer une communauté.

«Nous avons établi une règle des trois cercles. On ouvre d’abord la campagne aux proches, puis on élargit à la communauté via les réseaux sociaux et enfin au grand public, avec la presse et la publicité.» poursuit Fiona Vindret. «On vise 30% des objectifs avec le 1er cercle et 50% avec le deuxième. C’est important pour convaincre le grand public, surtout quand les porteurs du projet sont inconnus.»

Le made in France, un argument de poids

«Il y a beaucoup de bienveillance au sein de la communauté dans un financement participatif. Et nous avons constaté une vraie envie de soutenir les entreprises françaises» constate Caroline de Blignières. Une dimension « made in France » de plus en plus présente sur Ulule, comme le constate Fiona Vindret. «C’est un critère qui compte, comme l’éco-responsabilité pour notre communauté.» Un atout qui a par exemple boosté les premières commandes de Novëm, la marque de Maegan Rocca, ayant trouvé un premier soutien au sein de sa propre région, à Grenoble.

Une stratégie vertueuse

Réussir à fédérer de futurs clients, les convaincre de mettre la main au porte-monnaie sans même avoir vu le produit : un pari qui tient lieu d’une véritable étude de marché, et souvent d’un accélérateur pour la marque. «En plus d’être intéressant financièrement pour le porteur de projet, c’est un bon test : on sait si ça vaut le coup de se lancer et de persévérer» analyse Maegan Rocca. Expatriée à Londres, elle a l’idée d’une ligne de beauté autour de la noix de Grenoble, sa région. Un projet qu’elle concrétise avec un laboratoire de Haute-Savoie, et qui prend vie grâce à une campagne participative : c’est ainsi que naît Novëm. «Ce type de campagne se révèle être un gage de fiabilité, et permet aussi de prouver aux potentiels futurs financeurs que notre projet tient la route» renchérit Marie de Mauregard, qui a fondé la marque de soins Cœurveillé. «En parallèle, ce système permet d’avoir des premiers clients convaincus, qui deviennent de vrais ambassadeurs de la marque.»

Baume cosmétique Le Petit Remède, L’Occitane, 35 € les 100 g. En vente sur loccitane.com.

Baume SOS Réparateur, La Rosée, 14,90 € les 20 g. En vente sur larosee-cosmetiques.com.

Baume sans odeur, Les Petits Prödiges, 14,90 € les 30 ml. En vente sur lespetitsprodiges.com.

Le Baume Miracle à l’huile de chanvre enrichie en CBD, Ho Karan, 21 € les 50 ml. En vente sur hokaran.com.

Pour Fiona Vindret, le succès repose sur l’investissement et l’implication des porteurs de la marque, qui doivent vraiment incarner leur projet, le porter sur les réseaux sociaux. Mais aussi sur la transparence : «Il faut vraiment être clair sur les objectifs : à quoi va servir le financement ? Dans quels délais va s’organiser la production ? Il faut aussi garder cette confiance tout au long, en instaurant un dialogue avec les consommateurs. Ce n’est pas grave, par exemple, d’avoir du retard dans les délais, du moment qu’on l’explique.» La confiance, un élément clé que Marie de Mauregard n’a pas voulu ébranler, quitte à faire marche arrière sur certains points en élaborant ses produits. «Lors des tests, certaines peaux ont mal réagi, ce qui est assez fréquent avec des soins bio. J’ai expliqué à ma communauté que je devais reformuler mon soin hydratant et que cela allait induire un retard dans les délais de livraison. Ce qui a été compris.» La créatrice, qui a fondé sa marque sur la transmission et l’héritage de son arrière-grand-mère botaniste, associe ses futurs clients aux décisions de sa marque. «J’échange presque tous les jours avec eux, en essayant de leur donner le choix sur les produits à venir, par exemple.»

Les aliments pour avoir une belle peau

Demain, tous créateurs?

Laisser les clients décisionnaires et porteurs du succès : une volonté qu’a complètement intégré la marque Nidé.co dans son modèle de fonctionnement. Son credo ? «Des produits co-créés ensemble, pour la vie». Le système est simple : chacun peut présenter un produit, qui sera soumis ensuite au vote de la communauté. Selon l’engouement (le projet doit obtenir 2000 votes), l’article voit le jour, un pourcentage des ventes étant reversé au membre qui en est à l’origine. Ce qui permet à des produits de niche, qui n’en sont finalement pas tant que ça, de voir le jour, à l’image du best-seller Fesse Time, un soin pureté «spécial fesses» qui vise les irritations dûes au frottement des cuisses. Ou du sérum Oh my Periods qui vient au secours des peaux perturbées par les changements hormonaux pré-menstruels.

Car la force de la communauté, c’est aussi de faire entendre sa voix et d’aborder les problèmes souvent mis de côté par les grands groupes, faute de potentiel glamour. Les troubles hormonaux en font partie et c’est ce qui a poussé les fondatrices de MiYe, Caroline de Blignières et Anna Oualid, à lancer leur marque autour de l’écologie féminine «un sujet pas sexy, voir tabou». Elles ont imaginé des produits (sérum cheveux anti-chute, gel intime rééquilibrant et compléments alimentaires) en accord avec les cycles qui régissent le corps des femmes. Et qui interviennent à des moments clés de la vie : syndrome prémenstruel, post-partum, ménopause… Ne restait qu’à trouver leur cible. «Proposer un produit cosmétique complet mais pas médical, comme le gel intime, cela a un coût. Il faut savoir que la sécheresse vaginale concerne une femme sur deux après cinquante ans, mais aussi une sur six avant cet âge. Les investisseurs n’étaient pas sûrs que les clientes potentielles seraient prêtes à mettre le prix, parce qu’ils ne voyaient justement pas ce marché avec un regard de femme» explique Caroline de Blignières. Avec un objectif de 100 commandes, elles en enregistrent plus de 1900 en un mois de campagne. «Dans les commentaires, on a pu voir l’intérêt mais aussi la gratitude d’avoir une marque pensée par des femmes, pour des femmes. Je crois que c’est la force d’une start-up face à un grand groupe : créer au plus près de sa communauté.» Une preuve de plus que les consommateurs sont aujourd’hui de vrais consomm’acteurs. Et que le marché de la beauté ne se pense pas uniquement pour eux, mais avec eux.

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