Ils sont designers, artistes, curateurs, chefs d’entreprise, ébénistes, éleveurs, tisserandes. A priori, rien ne les relie. Hormis leur engagement à sortir du schéma commercial traditionnel pour (re)donner du sens à nos achats. Au quotidien, ils créent, éditent ou distribuent meubles et objets pour soutenir une cause qui leur tient à coeur, humanitaire ou écologique. Conscients de l’urgence climatique, avides de trouver des solutions mais également architectes du beau, ils font rimer “valeur” avec “meilleur” et s’adressent au “consomm’acteur” qui sommeille en chacun de nous pour l’éveiller à l’urgence d’un changement. Pionniers d’une ère nouvelle, ils réinventent notre rapport aux biens qui nous entourent sur la base d’une consommation raisonnable et raisonnée.
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Raffaella Loï : complètement marbré
C’était inscrit dans le marbre : Raffaella hériterait de la passion familiale pour ce matériau noble. Depuis toute petite déjà, cette jeune Franco-Italienne de 29 ans admire le travail qu’accomplissent sa grand-mère, son père, sa tante et, plus récemment, son cousin dans leur marbrerie de Bry-sur-Marne. Diplômée de l’Ecole bleue, à Paris, elle intègre une agence d’architectes avant de se lancer un défi : utiliser les chutes de marbre pour leur redonner vie. “On ne les jette jamais, ça me fait un formidable terrain de jeu ! Et puis l’extraction du marbre n’est pas écologique : il est d’autant plus important de le recycler pour ne rien gâcher.” Ce sont précisément les tranches, ces déchets issus des découpes, qu’elle imbrique les unes dans les autres. “Je fais mon marché dans la cour, avant de demander aux maîtres marbriers de les assembler et de les façonner : même si les tranches font en moyenne 2 cm d’épaisseur, elles sont bien trop lourdes pour moi.” A elle en revanche d’imaginer les formes à créer en fonction des chutes, et de les appareiller, c’est-à-dire de faire en sorte que les lignes des veinures se suivent. “On donne ainsi une impression de plein.” Un travail méticuleux et patient : il lui faut environ quatre à cinq jours pour créer un meuble.
>> www.raffaella-loi.com
Marie-Sarah Adenis : la magie de l’invisible
Son cerveau va clairement plus vite que le nôtre. Tandis qu’elle peaufine l’installation de son exposition au Palais de Tokyo, la lauréate du prix Audi Talents nous coiffe d’un casque de réalité virtuelle pour nous plonger au coeur du monde invisible de l’ADN, qu’elle entend décrypter pour le grand public. Nourrie par sa double formation en biologie (à l’Ecole Normale supérieure) et en design (à l’Ecole nationale supérieure de création industrielle, ENSCI), Marie-Sarah défend un rapport inédit entre le vivant, les technologies et la société pour “prendre acte de ce qui nous lie et ce que nous devons protéger”. En travaillant sur l’infiniment petit, elle a ainsi donné vie à un procédé inédit dans la création de la couleur par fermentation bactérienne. Pili, l’entreprise qu’elle a confondé, s’apprête à produire ses premières tonnes de teinture de couleur indigo, alternative 100 % renouvelable aux colorants pétrochimiques. Mais être à l’origine d’une innovation qui révolutionne cette industrie polluante ne lui suffit pas. “En tirant un seul fil de la nature, on réalise qu’il est attaché au reste du monde. Les bactéries – nos ancêtres, colocataires et alliées – racontent des histoires merveilleuses qui doivent être données à voir pour mieux comprendre le vivant. C’est de cette façon que je rêve de changer notre manière d’habiter le monde.”
>> mariesarahadenis.com
Emma Brushi : vivre au rythme des moissons
Emma Bruschi, 26 ans, conçoit la mode à travers ses “racines paysannes”. De ses projets d’études en master à l’école d’art suisse de la HEAD, en passant par son choix d’un premier stage au sein de “Regain”, le magazine “de nos campagnes”, pour finir par sa collection Almanach – nom du calendrier savoyard du cycle des moissons – présente lors du festival de mode de Hyères en 2020, dont elle était finaliste, “il y a une rengaine agricole dans mon travail”, sourit-elle. La paille fait évidemment partie de ses souvenirs d’enfance dans la ferme de ses grands-parents en Savoie, mais elle redécouvre la matière et les savoir-faire qui en découlent au Musée de la Paille de Wohlen, en Suisse. En lien avec des artisans, elle apprend les gestes traditionnels pour les incorporer dans sa collection. Animée par une soif d’indépendance, elle demande à son oncle agriculteur de lui planter du seigle, fait de la moisson un moment de partage et tresse ses premiers bouquets qu’elle vend aujourd’hui chez Sessun Alma. En 2022, elle exposera ses créations et des collaborations dans ce musée suisse qui lui a ouvert les yeux sur la paille, “cette matière ancestrale vivante”.
>> emmabruschi.fr
Jeanne Goutelle : "l’enrubanneuse"
Mi-designer, mi-artiste, la jeune femme s’est créé un nouveau métier : elle transforme les rebuts textiles en tableaux, sculptures, paravents, éléments de scénographie, etc. “J’ai eu le déclic lorsque j’ai vu, dans les ateliers d’un fabricant de maille, la quantité monstrueuse de fils teints restants après production et dont on ne pouvait plus rien faire.” Le textile, pour Jeanne, c’est une seconde peau. Elle a grandi entre une grand-mère modiste et un grand-père tisseur, en charge du musée de la Soierie de Charlieu, avant d’intégrer les équipes de ModAmont, le salon des accessoires et composants pour la mode, pour une plongée au milieu des passementiers, rubanniers, boutonniers et autres plumassiers. “Même si j’ai fait l’école Duperré, ce n’était pas la création de vêtements qui me tentait.” Depuis 2017, Jeanne tresse, noue, tisse et entrelace des sangles et rubans pour former des surfaces inédites et colorées, en deux ou trois dimensions, à partir de matières destinées à être jetées, qu’elle collecte dans un rayon de 100 km autour de son atelier stéphanois. Et qui résonnent désormais jusqu’à Bruxelles, puisque Jeanne a réalisé les paravents du salon du président du Conseil économique de l’Union européenne…
>> jeannegoutelle.com
Noma : éthique et choc
Même lorsqu’il mange des sushis, Guillaume Galloy pense réutilisation des déchets. “Forcement, nous travaillons sur un matériau à base d’écailles de poisson, s’amuse le co-fondateur de Noma, jeune maison d’édition qui a mis le recyclage au centre de sa démarche. Avec Bruce Ribay, nous affichons la couleur. Chacune de nos pièces porte un nom auquel est associé un pourcentage qui correspond à la part de matériaux recyclés utilisés.” 95 %, 77,5 %, 88,1 %, ils assument aussi les 42 % du fauteuil “Laime”. “Ce n’est pas un concours, explique Guillaume. Je pense qu’il est important de sortir du champ du déchet pour parler de matière. Arrêtons d’imaginer qu’écolo rime avec moche. Le coeur de notre travail reste le design et les belles matières. Noma, c’est pour Nobles Matières.” Séduits par la sincérité. d’un projet à mille lieues du green washing, Charlotte Juillard, A+A Cooren, Sam Baron ou plus récemment RDAI ont rejoint l’aventure Noma, promise à un avenir aussi vert que radieux.
>> noma-editions.com
Lucile Viaud : verre de terre
À l’Ecole Boulle, où elle étudie durant cinq ans, Lucile Viaud, à contre-courant de sa formation, part de la matière pour aller vers l’objet. Qu’a-t-on en quantité suffisante ? Qu’est-ce qu’un détritus sinon “un trésor en attente d’être sublimé”, écrit-elle ? En 2014, elle s’intéresse à la revalorisation des déchets marins en Bretagne, ce qui la conduit à la création de son “verre marin”. Elle lance sa marque, Ostraco, en 2016. “L’idée était de financer mes recherches avec la vente d’objets utilitaires”, explique-t-elle. L’artiste-chercheuse étudie la chimie du verre à l’Institut des sciences chimiques de Rennes. Et si les déchets marins alimentent ses recherches sur les îles du Ponant, Lucile Viaud arpente aussi l’Occitanie ou le Grand-Est en quête de rebuts du BTP ou de coquilles d’escargot. C’est le concept de la “géoverrerie”, recyclable à l’infini.
>> atelierlucileviaud.com/
We Give Collab : donner de sa personne
Aude Adrien est une photographe et journaliste qui vit à New York. Durant le premier confinement, elle participe à une initiative en rassemblant des marques qui offrent des lots pour une vente solidaire. Quand elle en parle à son amie Camille de Laurens, à Paris, celle-ci veut dupliquer le format en France. Elles embarquent Marine de Bouchony – avec qui Camille a créé l’agence de création M/B – et l’artiste peintre Faustine Badrichani, et lancent We Give Collab. Elles réalisent quinze ventes pour les soignants, contactent des parrains-marraines comme Juliette Armanet, Jean Jullien ou Caroline de Maigret pour fédérer, dénichent des marques qu’elles aiment avec un côté curation qu’elles revendiquent, bref, rendent “le solidaire sexy”, selon les termes d’Aude. Depuis, elles ont récolté 335 000 euros pour l’AP-HP, la Maison des femmes, Entourage ou Info-Endométriose. “On veut s’engager sur le long terme”, clament-elles. A Noël, elles ont test. un nouveau format avec une vente aux enchères d’une semaine. Des produits
>> wegivecollab.com
Camille Cousté et Grégoire Gérard : beau et bien à la fois
Pour faire simple, Camille et Grégoire présentent l’algorithme qu’ils ont imaginé comme le “Yuka” du mobilier. “Si vérifier ce que l’on met dans son assiette est entré dans les moeurs, il n’existait aucun moyen de contrôler l’empreinte sur l’environnement de nos meubles”, expliquent ces trentenaires installés A Marseille. Ils ont donc créé un instrument scientifique ultraperfectionné qui étudie le cycle de vie des objets et les classe selon des notes allant de A à F. Cet outil, qui intéresse les poids lourds du secteur, leur sert pour le moment à sélectionner les pièces qu’ils mettent en vente sur leur site “tres.ecodesign”, ouvert depuis quatre mois. “Avoir un impact sur la planète et sur les humains est notre objectif numéro un”, poursuit Camille Cousté, qui contacte un à un les fabricants et éditeurs du monde entier pour accéder à leurs secrets de fabrication et entrer les données recueillies dans l’implacable algorithme. “L’éco-score prend en compte l’extraction de la matière première, la confection, le transport, la durée et la fin de vie pour offrir une vision globale.” Et si leur sélection coche toujours la case de “bon”, elle doit aussi coller avec leur idée du “beau”. “Ce que l’on souhaite, c’est que nos clients ne regrettent jamais leur achat, et c’est une sacrée pression pour faire les bons choix.
>> tres-ecodesign.com
Laines paysannes : à rebrousse-poil
C’est l’histoire d’une rencontre. Celle de Paul et Olivia, respectivement éleveur et lainière-tisserande. Ensemble, ils font le pari de récolter et valoriser ces belles laines des Pyrénées qui sont mises au rebut après la tonte, pour fabriquer des tapis, vêtements et accessoires. “Nous voulions ressusciter une activité qui faisait autrefois la richesse du territoire ariégeois.” Pour que leurs pièces uniques, tissées à la main, conservent un aspect brut et authentique, ils choisissent les laines les plus rustiques et les plus solides de deux races ovines : la Basco- Béarnaise et la Manech tête noire, dont les fibres longues et lustrées garantissent par ailleurs la durabilité des produits. Proches des bêtes et de leur environnement, ils ont installé leurs bureaux et ateliers à proximité des champs où paissent les troupeaux pour avoir “une main dans la matière et un pied dans la création”. Paul et Olivia militent pour une production raisonnée, qui suit le rythme des saisons et la cadence des métiers à tisser anciens, avec lesquels le duo a choisi de s’équiper. Retour à la “slow life” : Laines paysannes réalise un tapis par mois seulement. Ici, le temps suspend son vol…
>> laines-paysannes.fr
Frères Giannesini : épater la galerie
Une tour. Neuf étages. 200 artistes et créatifs. Initiée par le producteur culturel Manifesto, l’aventure Poush, ce sont d’anciens bureaux de la porte Pouchet à Clichy, transformés en une pépinière artistique où le partage joue à plein. Véritables chefs d’orchestre, les frères Giannesini – Laurent, à gauche, photographe, et Raphaël, à droite, commissaire d’exposition – ont choisi de casser les codes en y installant une galerie “en mouvement”. Ils utilisent leur espace dans la tour comme un laboratoire collectif et l’immeuble comme un réservoir à collaborations. Dans un décor de mobilier moderniste signé par la boutique A Demain (ici, chaise Charles et Ray Eames pour Herman Miller et bureau Marco Zanuso pour Zanotta), ils demandent ainsi au plasticien Cyril Debon de leur confectionner une pièce ou proposent à Héloïse Colrat de créer une oeuvre en écho à une chaise de Robin Day. Les apprentis galeristes ajoutent aussi des oeuvres imaginées dans les différents ateliers de la tour qui résonnent avec la scénographie ou leur manière d’habiter l’espace. “Parce que l’écrin amène à la curation”, expliquent-ils, une co-création se tisse ainsi avec la tour entière. Pour finir dans un livre de clichés du duo qui consigne ce projet organique.
>> poush-manifesto.com
Luka Rennesson : à sens unique
Du sur-mesure design, désirable et responsable : tel est l’objectif de ce jeune artiste de 25 ans. Il dépoussière l’ébénisterie par ses créations impressionnantes, tel le mur en bois ondulé conçu pour l’hôtel Singulier, à Bordeaux. Grâce à sa passion et à son expertise du bois, nourries par la scierie familiale, il sélectionne les plus belles essences issues de forêts écoresponsables. Rien ne se perd : “Mon père récupère mes chutes de bois pour en faire des lampes.”Au-delà des outils traditionnels, Luka s’appuie sur les nouvelles technologies pour des découpes chirurgicales. “Mes défonceuses numériques m’apportent une précision au 10e de millimètre près et avec mon imprimante 3D, je sais produire n’importe quelle pièce.” Une habileté que saluent déjà ses pairs : Luka s’est vu confier la restauration d’une marquise Louis XVI de la collection de la fondation Josef & Anni Albers…
>> lukarennesson.com/
Samuel Tomatis : la révolution de l’algue
Sont-ce les années passées à Nice au bord de la mer et ses vacances en Bretagne qui lui ont fait regarder les algues autrement ? “Sans doute, acquiesce Samuel Tomatis. Très vite je me suis posé la question de comment les transformer en une ressource plutôt que de les considérer comme des déchets.” De son diplôme de l’ENSCI en 2016 à son récent Grand Prix de la création de la Ville de Paris en passant par l’auto-édition de sa chaise “Alga”, il n’a eu de cesse de construire son projet entre sciences et design, et de proposer une alternative aux matières plastiques issues de la pétrochimie. “Je suis arrivé à un moment stratégique où j’ai identifié neuf pistes de développement pour cette matière biosourcée.” Contenants alimentaires ou pour l’horticulture, matériau d’ameublement ou de confection, composant de briques… sa démarche pourrait très bientôt trouver des applications concrètes et faire rimer utilisation des ressources avec respect de l’environnement. Enfin.
>> studiosamueltomatis.com
Plus de reportage dans Marie Claire Maison
Reportage issu du n°531/ Février de Marie Claire Maison
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