- Le styliste italien Nino Cerruti est mort ce samedi à l’âge de 91 ans.
- Nino Cerruti rêvait de devenir journaliste, et reprit l’usine de tissus familiale à vingt ans.
- Le début d’une trajectoire qui se confond avec l’histoire de la mode Made in Italy depuis soixante-dix ans.
- De la veste déconstruite au magasin monomarque en passant par le pantalon pour la femme, ce que la mode doit au surnommé « l’homme le plus chic d’Italie ».
Nino Cerruti, décédé ce samedi, était le maître du raffinement décontracté. Si Cerruti est une marque globale, qui vend aussi bien des parfums, de la maroquinerie, des montres, des bijoux, des lunettes, des cravates, des foulards, des chaussures, des instruments d’écriture, des sous-vêtements, des chaussettes, des vêtements de nuit et d’intérieur, tout a commencé par un créateur, magicien des tissages, qui a écrit l’histoire de la mode Made in Italy au cours des soixante-dix dernières années. En suivant une règle simple, « les vêtements sont notre seconde peau et doivent être en harmonie avec le corps, tout en étant beaux et de qualité : je n’ai jamais cru à la laideur artistique », aimait-il dire. Retour sur l’apport de « l’homme le plus chic d’Italie » à la mode.
De l’innovation pour de nouveaux fils et tissus
Né le 25 septembre 1930 à Biella en Italie, Nino Cerruti rêvait de devenir journaliste. Il abandonne pourtant ses études de philosophie en 1950, à tout juste vingt ans, pour reprendre la Lanificio Cerruti, l’usine familiale de filage et de tissage, Lanificio Fratelli Cerruti, fondée par son grand-père en l’an 1881.
Installée à Biella en Italie, au pied des Alpes, la filature profite de l’exceptionnelle pureté de l’eau qui permet de laver et teindre la laine venue d’Italie ou d’Australie ou le cachemire de Mongolie, retravaillée afin de créer des tissus tels que flanelle, tweed, cachemire ou étamine de laine.
Aux manettes de la filature, il révèle ses talents de créateur et de chef d’entreprise. Nino Cerruti est convaincu que la véritable élégance repose sur des vêtements qui mettent à l’aise.
Sous son impulsion, la lainière Piémontaise devient un laboratoire de recherche qui multiplie les innovations techniques pour créer de nouveaux fils et tissus – toujours plus fins, plus robustes et précieux – comme le super 100 (1 kg de laine pour 100 km de fil), suivi par les super 120, 150, 180 et même 210 ! Aujourd’hui encore, les tissus Cerruti sont fabriqués dans ces ateliers.
« Ma famille s’occupe de tissus depuis le début du XIXe siècle et j’ai repris l’affaire peu après avoir commencé à créer. Depuis lors, on a assisté à une évolution vers des vêtements plus confortables, une évolution qui correspond aux changements de nos modes de vie et de nos comportements sociaux », expliquait-il en avril 2004 à nos confrères de l’édition italienne deL’Officiel.
Un vestiaire masculin « casual chic »
Nino Cerruti investit dans deux usines milanaises pour produire ses premières lignes masculines. En 1957, il ouvre la boutique Hitman à Milan où est vendue sa première collection de prêt-à-porter homme – principalement des costumes souples ultra-luxueux, en 1962, il fonde la marque Flying Cross avec Osvaldo Testa.
Son credo : faire rimer élégance et décontraction. Le « casual chic », combinaison de la tradition sartoriale napolitaine, d’éléments de sportswear et de tissus luxueux mais confortables, est né.
La « veste déconstruite », pièce maîtresse du « casual chic »
Nino Cerruti est considéré comme le premier à avoir créé la veste déconstruite pour hommes. Une veste légère et fluide, qui fait l’économie de l’entoilage tailleur traditionnel, avec le minimum de toile aux épaules uniquement, puis plus rien, ce qui rend la veste souple et légère comme une chemise au point de ne plus savoir si on la porte ou non.
Un style de veste qui sera popularisé par Richard Gere dans American Gigolo en 1980 et Don Johnson dans Miami Vice entre 1984 et 1989, tous deux habillés par Giorgio Armani.
Dans les années 1960, Nino Cerruti rencontre ce dernier, alors scénographe des vitrines du grand magasin milanais La Rinascente, et le nomme créateur de mode pour hommes. Nino Cerruti fournit tissus et habits, et Giorgio Armani mouline tout cela à sa manière et invente un métier « stilista ». Une banalité aujourd’hui, alors inédite, qui fait le succès du duo.
Des stars vitrines d’un style de vie
Jean-Paul Belmondo en complet trois-pièces à rayures dans Borsalino (1970), Kathleen Turner ensorcelante dans sa vertigineuse robe à dos nu dans Le Diamant du Nil (1986), Jack Nicholson en veste en lin rose dans Les Sorcières d’Eastwick (1987), Richard Gere dans Pretty Woman (1990), Sharon Stone en nuisette dans Sliver (1993) ou encore Tom Hanks dans Philadelphia (1994)… Les collections Cerruti ont marqué les esprits autant que la pellicule. «
Les films et la télévision sont d’incroyables façons de communiquer (…). Par quel autre médium pouvez-vous influencer les esprits et les attitudes de tant de personnes ? », raconte-t-il dans les colonnes du Figaro en 2020.
Dès 1958, le jeune chef d’entreprise a l’idée pour lancer un nouveau tissu bleu pétrole, de s’associer à Lancia. Il fait peindre de bleu douze voitures qui emprunteront la célèbre via Veneto de Rome, conduite pour la première par Anita Ekberg. Nino Cerruti a compris qu’il ne vendait pas des vêtements, mais un style de vie, la Dolce Vita.
Sa première boutique Cerruti 1881, qui vend sa ligne de prêt-à-porter de luxe pour hommes, située au 3, place de la Madeleine à Paris, est dès son ouverture en 1967 le lieu de rencontre privilégié des gens de la Nouvelle Vague, au premier rang desquels Jean-Paul Belmondo et Alain Delon poussent la porte.
Le monde du sport l’attire aussi, surtout pour la recherche de tissus performants. Quand il lance sa ligne de sport au début des années 1980, le créateur parraine des athlètes de renommée mondiale tels que le joueur de tennis américain Jimmy Connors et le skieur suédois Ingemar Stenmark. En 1994, il devient le designer officiel de l’équipe de Ferrari en Formule 1, assouvissant sa passion pour l’imagerie liée à la figure du pilote qui l’a toujours fasciné.
Le précurseur du « gender fluid »
Dès la fin des années 1960, dans son magasin monomarque Cerruti 1881, conçu par l’architecte de renommée mondiale Vico Magistretti avec un concept totalement innovant, les collections masculines sont exposées aux côtés des collections féminines, du jamais vu.
« Il est très intéressant de voir comment la garde-robe masculine se rapproche de plus en plus de la garde-robe féminine », souligne-t-il dans L’Officiel version Italie au début des années 2000. En 1968, il propose une collection unisexe, fonctionnelle et interchangeable, et invite les femmes à se plonger dans le vestiaire de leur homme pour s’échanger trenchs, cravates, cardigans ou ensembles en jersey.
Nino Cerruti s’illustre comme un styliste novateur qui fait défiler hommes et femmes dans les mêmes habits sur les podiums. Les femmes, dont Coco Chanel, aiment le choix courageux du créateur de les habiller en pantalon, à une époque où celui-ci était encore considéré comme un vêtement scandaleux. Nino Cerruti a contribué à l’émergence de ce qu’on appelle le gender fluid, une fluidité entre les codes du masculin et du féminin plus que jamais d’actualité.
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