Deux ans après la mort du taulier, deux sociologues ont décrypté les dix mille pages du livre d’or de la Madeleine : des poèmes, des anecdotes associées à une chanson, des souvenirs bouleversants, des demandes spéciales… qui en disent long sur la place qu’occupait Johnny dans le cœur des Français.

Il y a deux ans ce 6 décembre disparaissait un monument de la chanson française. Dans son domicile de Marnes-la-Coquette, Johnny s’en est allé, entouré des siens. Incroyable, impensable pour beaucoup de fans. Le 9 de chaque mois depuis sa mort, 800 à 3.000 personnes assistent à une messe hommage au rockeur, rendue à l’église de la Madeleine.

A la Madeleine aussi, trône depuis, un livre d’or. Ou plutôt, des livres d’or. Car chaque mois, de nouveaux cahiers remplacent les précédents chargés de messages et d’émotion. Dix mille pages noircies au total. Collages, chansons, poèmes, lettres cachetées, portraits croqués… Ces cahiers sont des trésors de témoignages d’anonymes qui en disent long sur l’influence de cet homme sur des milliers de vies.

« Comme la Tour Eiffel, tu as été notre monument national de la chanson. Tu es parti donné tes concerts au Paradis », écrit un fan endeuillé. Un autre l’interroge : « Bonjour Johnny, comment vas-tu dans cet autre monde ? As-tu retrouvé ceux que tu aimais ? »

Tous deux et tous les autres emploient « tu », parfois, rarement le « vous ». Mais tous s’adressent directement à leur idole. « Il n’est pas question d’écrire à la troisième personne grammaticale qui mettrait en absence le défunt, contrairement à un cahier de condoléances destiné à la famille. On se passe d’intermédiaire », analysent les sociologues Jean-François Laé et Laetitia Overney*.

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Souvenirs, souvenirs…

De nombreux messages rapportent une anecdote « avec » Johnny Hallyday, qui fut à une étape ou plusieur de leur vie, un véritable compagnon. La carrière du chanteur et les souvenirs personnels se mêlent et créent une expérience commune. « A toi qui étais là quand j’étais à l’armée avec mon mange disque », par exemple. Une autre se souvient : « Ma première heure de colle, je l’ai eue en chantant Gabrielle, debout sur mon lit d’internat. Tes chansons ont guidé toutes nos vies. »

Oh Johnny si tu savais… Johnny, tu as été une révélation en 1962, j’avais 12 ans, en écoutant à la radio une chanson, j’étais désemparée par la maladie grave de mon père

Souvent les scripteurs relatent la rencontre, le déclic : « Oh Johnny si tu savais… Johnny, tu as été une révélation en 1962, j’avais 12 ans, en écoutant à la radio une chanson, j’étais désemparée par la maladie grave de mon père. » 

Parfois, ce n’est pas à un souvenir ou deux que Johnny est associé, puisque c’est une vie entière qu’il a accompagné. « Tu as accompagné 62 ans de ma vie, comment faire maintenant ? », interroge en l’air un fan qui ressent depuis sa disparition un puissant sentiment d’abandon. Une autre résume joliment : « J’ai tout ton répertoire en moi. » 

Johnny, messager de l’au-delà

Johnny Hallyday, c’est aussi – souvent – une affaire de famille. Une passion que l’on transmet d’une génération à la suivante. « Toute la famille a le rock dans la peau. J’aurai tant voulu aller à un de tes concerts, mais ce n’est pas grave parce que mes parents sont déjà allés te voir », écrit en lettres cursives une petite fille de 8 ans.

Les grands enfants sont aussi affectés : « De la part de ma maman de 83 ans, qui a toujours admiré Johnny et qui a tenu bon. C’est elle qui avait raison devant cette personne admirable. » 

J’avais 30 ans, ma grand-mère 70 et on chantait en cœur Le Pénitencier, sa chanson préférée. Tu la verras peut-être là-haut. Chante-lui

Et parce qu’il a permis la transmission, favorisé le lien inter-générationnel, de nombreux visiteurs formulent une demande spéciale au chanteur : être leur messager auprès de ces êtres chers parfois disparus.

« Mon Johnny, déjà un an que tu nous as quitté, tu es parti retrouver Papa, Maman, et tous mes être chers. Je suis sûre que là-haut tu mets le feu et continue à les faire danser comme au temps des Yéyés », espère un premier.

« J’avais 30 ans, ma grand-mère 70 et on chantait en cœur Le Pénitencier, sa chanson préférée. Tu la verras peut-être là-haut. Chante-lui ! », demande une autre. Puis une troisième : « Repose en paix et chante Le Pénitencier à mon mari, cette chanson qu’il adorait tant. Je vous envoie mille bisous à tous les deux. »

Entre au paradis blanc retrouver notre ami Christian et mon mari surnommé « Johnny » par ses amis taxis

Le deuil de l’idole rappelle celui des proches, eux aussi fans à l’époque : « Tu étais l’idole de mon frère, tu l’as rejoint, lui il est parti depuis dix ans mais il toutes tes chansons dans un cahier que j’ai gardé. Amusez-vous tous les deux là-haut ». « Entre au paradis blanc retrouver notre ami Christian et mon mari surnommé « Johnny » par ses amis taxis », confie à son tour une veuve. 

Puissante identification 

D’une page à l’autre, des confidences intimes d’anonymes. Une ligne ou deux sur leur vécu semblable à celui de leur idole. « Tu étais mon alter-égo, je suis le même écorché vif, comme toi, beaucoup de douleur de notre enfance », par exemple.

« L’identification à tel ou tel trait biographique est fréquente et se rassemble sous plusieurs thèmes : une même adolescence en 1960 ; la souffrance dans son milieu familial ; l’absence de diplôme ; l’émancipation brutale ; et l’entrée précoce sur le marché du travail. » Et aux sociologues de poursuivre : « Les non-héritiers, les « sans-attache » se reconnaissent dans ce personnage de Johnny déplacé et élevé par sa tante paternelle. » 

Je suis triste, triste de ne plus ressentir cette énergie magique qui se dégageait de votre être, cette puissance capable de déplacer les nuages au-dessus de nous

L’une d’elle a laissé deux mots, à deux jours d’intervalle, pour confier son cancer. Les fans malades s’identifient, eux aussi, à leur héros. Et selon leurs écrits, la détermination dont il a su faire preuve dans sa vie les aide à tenir.

Déclarations poétiques  

Le livre d’or cache aussi de véritables lettres d’amour. Des envolées poétiques et bouleversantes. On retient celle-ci. « Je suis triste, triste de ne plus ressentir cette énergie magique qui se dégageait de votre être, cette puissance capable de déplacer les nuages au-dessus de nous, au-dessus de moi, pour laisser le soleil nous réchauffer, me réchauffer, m’illuminer. » Johnny est parti, son aura et ses chansons resteront elles encore longtemps.

*« Johnny, j’peux pas me passer de toi », écritures de séparation et mémoire, Jean-François Laé et Laetitia Overney, Bayard

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