Comptes drolatiques sur Instagram, chaînes YouTube, applis… L’astrologie, cette vieille lune, fait sa révolution. Démonstration avec cinq influenceuses à des années-lumière de Madame Soleil.
«Regarder l’astro sur Instagram, c’est un peu comme un toc. Je ne comprends pas forcément tout, mais ça me fait rire, surtout quand je vois des mèmes avec Monica de Friends, une Vierge fan de ménage comme moi !», raconte Marie, 41 ans. Cette responsable marketing, qui suit religieusement les conseils de Susan Miller, gourou américaine de l’astrologie (voir l’appli Astrology Zone), ne rate pourtant jamais un post sur @astrotruc. Sur ce compte Instagram, l’une des références du genre, point de prédictions littérales, mais plutôt une récréation pop et second degré autour des signes astrologiques. Comme Marie, elles sont nombreuses à suivre sur le réseau social des comptes qui reprennent les codes de l’astrologie pour mieux les détourner. Un rapide coup d’œil permet de mesurer l’ampleur du phénomène : @glossy_zodiac (5 millions d’abonnés), @groupe.astrologie (133 000 d’abonnés), @astro.lya (237 K), @sisters_astrologie (105 K), @signeastro.off (410 K)…
En vidéo, douze bonnes habitudes pour rester en forme et garder le sourire toute l’année
Des centaines de comptes et de créatrices de contenu se sont emparé de l’astrologie comme d’un nouveau moyen de fédérer des communautés. À chaque fois la même recette : les signes astrologiques, les ascendants, les maisons, leurs planètes, mais surtout leurs stéréotypes (Taureau superorganisé, Verseau excentrique, Capricorne hyperambitieux, etc.), et des blagues à base d’images tirées de séries télé, de l’actu people ou de cartoons. Et ce sont surtout les jeunes générations, nées avec un smartphone dans leur berceau, qui accrochent.
Bahia a 19 ans, et elle n’irait «jamais consulter une voyante». Pourtant, elle ne rate pas une story de ses comptes astro préférés : «Je les regarde tous les jours ! Je suis Balance, et je me reconnais grave dans les profils. J’ai envie d’y croire ! Avant, je regardais même la compatibilité avec les signes de mes copains, mais ça, j’ai arrêté.» Comme Marie, Bahia tague ses copines ou reposte ses stories favorites sur son propre compte, comme une manière de parler d’elle et d’engager la conversation avec sa communauté. Exit donc l’horoscope qu’on lisait aux copines dans le magazine féminin : Madame Soleil a fait sa mue, elle est désormais «influenceuse astro». Elle rejoint ainsi le club de la «sorcière 2.0», autre figure très présente sur les réseaux, sorte de réactivation féministe du mythe de la magicienne.
Une ère de mutation
Hier un peu ringarde, voilà donc l’astrologie redevenue cool. Lorsque Maheva Stephan-Bugni, 41 ans, a ouvert en 2018 son compte Instagram dédié à l’astro, @astrotruc (voir ci-dessous), c’était pourtant presque «comme une blague», raconte-t-elle. Professeure des écoles à mi-temps, elle ne croit pas en l’astrologie : «Depuis toute petite, c’est la puissance de la symbolique qui me passionne. Pour moi, l’astrologie, c’est comme un métalangage pour dire les mêmes choses qu’en littérature finalement, pour mener une réflexion sur soi et sur le monde. Je m’en sers comme d’un biais de narration, un chemin pour mieux se connaître.» Passionnée de philo comme de séries télé (ses références vont de Game of Thrones à Heidegger), Maheva revendique une forme de réappropriation de l’astrologie comme «quelque chose qui jusque-là était estampillé “truc de bonnes femmes”». Féministe, l’astrologie ? Une chose est sûre, désormais cornaquée par Ariane Geffard (la puissante agente et éditrice de Mona Chollet et de Titiou Lecoq ), Maheva a toutes les cartes en mains pour devenir un phénomène d’édition. Car, comme les sorcières avant elles, ces nouvelles astro-influenceuses aiguisent les appétits. Et certaines mènent clairement la danse.
Bague Scorpio en or jaune et pierre, Daniela Villegas, prix sur demande. Renseignements sur Danielavillegas.com
Médaille Zodiaque Scorpion en or jaune, Van Cleef & Arpels, 2240 €. Disponible sur Vancleefarpels.com
Collier Scorpion en or jaune, Elsa Peretti x Tiffany & Co, 3550 €. Disponible sur Tiffany.fr
Piercing Astro Scorpion en or jaune et diamant, Djula, 295 €. Disponible sur Djula.fr
À 28 ans, Shera Kerienski est un poids lourd du milieu (@shera, voir ci-dessous). Youtubeuse à succès, la rafraîchissante Shera surfe sur toutes les tendances, ses vidéos parlent autant des astres que de féminisme ou de body positivisme. Pour celle qui se définit comme une «autodidacte passionnée», l’astrologie est avant tout une «quête de soi». Elle poursuit : «Cela m’a permis d’aimer mes défauts et de me sentir moins seule. De comprendre aussi mes réactions dans certaines situations.» Sur son compte, des vidéos dans lesquelles elle se met en scène et décode les signes avec humour et dérision. Elle ajoute : «Je n’ai pas la prétention d’être astrologue, je partage ma passion en toute humilité.» Et sa communauté en active la machine à likes.
Une envie de réenchanter le monde
Thomas Zylberman, tendanceur pour le bureau de style Carlin, observe avec intérêt cette mutation de l’astrologie, qui touche aussi les marques de mode. Certaines n’hésitant pas à puiser abondamment dans l’imagerie zodiacale pour leur storytelling (comme Jacquemus, Vetements ou Dior Joaillerie, qui propose des bijoux en fonction de son signe solaire). «Ici, on n’est plus du tout dans le prédictif, mais dans le “où suis-je dans ce monde ?” Nous sommes entrés dans la société du mieux-être : on le voit avec tout ce qui touche à la tendance healthy wellness. Il est désormais fondamental d’apprendre à se connaître et à s’écouter, alors que cela était auparavant mal vu», explique-t-il. «Les gens ont envie de se ménager un espace qui ne serait pas rationnel, froid et cartésien : il s’agit là d’un besoin civilisationnel, il y a une véritable envie de réenchanter le monde, de trouver une place pour le merveilleux», poursuit Thomas Zylberman. En somme, une forme de mysticisme sur mesure et d’expression de sa personnalité, raccord avec cette société de l’individu qui est la nôtre.
À écouter : le podcast de la rédaction
Un filon marketing ?
À l’heure où les parfums se «dégenrent», par exemple, quoi de mieux que de proposer des fragrances en fonction de son signe zodiacal ? Ça existe avec les maillots de bain, comme ceux de l’influenceuse Noholita, déclinés en douze couleurs : «Cancer, vous êtes sentimentale, créative, intuitive, mais aussi douce, sage, simple, clairvoyante… Élément, eau ; planète, Lune ; couleur, blanc.» Une ficelle marketing comme une autre, qui permet de se sentir en adéquation avec sa personnalité. Car, comme le dit Shera, «chaque thème astral est un peu la carte d’identité spirituelle de chaque individu.» Ce besoin de saupoudrage ésotérique n’est pas nouveau, mais il s’accélère dans nos mondes hyperconnectés, dans lesquels les grandes religions monothéistes sont en plein recul. L’ethnologue Dominique Camus, qui a beaucoup écrit sur les mythes populaires, pense, quant à lui, que «ce retour en grâce de l’astrologie s’explique d’abord par le fait… qu’elle n’est jamais totalement partie ! On fait toujours un thème astral de la même manière, c’est codifié depuis des millénaires. Seuls les usages ont changé.» Bref, avec les réseaux sociaux, l’astro est simplement devenue une grille de lecture pop et ludique de la vie. Mais qu’en pense Jupiter ?
La plus pro
https://instagram.com/p/CXocxu3r7c3
Les codes : en tête à tête. À 48 ans, Sophie a déjà eu une vie bien remplie avant de se former à l’astrologie à la Faculty of Astrological Studies de Londres (elle était RP chez Clarins). Désormais, cette fan de yoga vit de sa passion pour les astres, entre l’île de Sifnos, en Grèce, et Amsterdam. Elle propose des consultations par Zoom à tous ses clients internationaux.
Le mantra : marquée par son étude d’Alan Leo, qui a transformé l’astrologie à la Nostradamus en astrologie dite «humaniste», Sophie se définit comme une «astrophile».
Son bonus : sur Instagram, elle réalise tous les 15 jours ses «astroblablas» pour voir «les grands moments du mois». Elle envoie aussi tous les dimanches, par WhatsApp, un bulletin astral à 2 000 abonnés.
La plus classique
https://instagram.com/p/CXs8jVUgro9
Les codes : véritable néovoyante, Julia, 24 ans, produit chaque semaine un taroscope sur son compte Instagram. Couleurs pastel et imagerie romantique de rigueur. Les fans en redemandent.
Le mantra : «Swipe («balaie l’écran») pour voir les conseils des anges !»
Son bonus : Julia a eu son premier flash à 20 ans. Très cartésienne, elle finit par découvrir que sa propre tante possède, depuis toujours, des talents de médium. En bonne pro, elle propose en parallèle de ses taroscopes Insta des consultations en présentiel et en visio. Elle a même déjà participé à des soirées voyance organisées par des marques comme Gucci ou Converse.
La plus influente
https://instagram.com/p/CR9bG7cANmJ
Les codes : franc-parler et proximité chez celle qui est l’une des plus puissantes influenceuses du genre. Forte de plus d’1,4 million d’abonnés, la jeune femme, qui parle aussi de body positivisme dans ses posts, s’est récemment piquée d’astrologie. Elle régale sa communauté de «climats astraux» et de sketchs sur les signes avec ses #sherastrologie.
Le mantra : «Avec Mercure en rétrograde, c’était pas la folaï !»
Son bonus : comme toute influenceuse qui se respecte, elle vient de sortir son livre de développement personnel, Astro book, le guide pour aller mieux dans ta vie, Éditions Hugo Image.
La plus littéraire
https://instagram.com/p/CXfh-vcICqZ
Les codes : créé en 2020, ce compte original promet d’allier astrologie et littérature. On y trouve des mèmes qui font se rencontrer Fran Lebowitz, Toni Morrison et Alexandre Dumas. Spirituel et référencé.
Le mantra : «L’astrologie relève de la magie dans le meilleur sens du terme.»
Son bonus : l’auteure, Marion, est une prof d’anglais à l’université. «Je voulais donner envie à mes élèves de lire des autrices féministes et afroféministes, et l’astrologie, c’est comme la littérature : des personnages et une histoire.»
La plus « LOL »
https://instagram.com/p/CXyCR4Cq9kN
Les codes : sur son compte Instagram lancé en 2018, l’auteure Maheva Stephan-Bugni régale ses followers (comme Clara Luciani ou Caroline de Maigret) de ses mèmes astro humoristiques et d’images tirées de séries ou de films hyperconnus. Elle ne croit pas en l’astrologie, son truc c’est plutôt «l’astro-philo», ou comment se servir de l’astrologie comme d’un langage «poétique et narratif».
Le mantra : «Ne croyez pas à l’astrologie. Je suis Sagittaire, et les Sagittaires sont sceptiques.» Elle a emprunté cette citation à Arthur C. Clarke, auteur de science-fiction et coscénariste de 2001 : l’Odyssée de l’espace.
Son bonus : son dernier livre, Astrotruc. Décryptez votre thème astral avec la pop culture !, Éditions Marabout, est un vagabondage littéraire et philosophique (elle cite Spinoza) sur les astres. Infiniment décalé. L’antiguide de développement personnel.
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