Interview.- Deux personnages en un : c’est le défi relevé par l’hyperactrice qui crée de nouveau la surprise dans le thriller schizophrénique d’Antoine Barraud, Madeleine Collins.
Présents sur nos écrans, certains acteurs finissent par lasser. Comme si leur mystère se tarissait au gré des rôles et des films. Virginie Efira produit l’effet inverse. Plus on la voit, plus on la réclame, chaque film lui permettant de se renouveler et d’explorer d’autres territoires. Il y a un an, elle se fondait dans l’univers poético-burlesque de d’Albert Dupontel pour Adieu les cons, avant de tout oser dans le transgressif Benedetta, de Paul Verhoeven, l’été dernier. Après un petit tour dans l’introspectif Lui, de Guillaume Canet, et avant de s’offrir un pas de deux avec Tahar Rahim dans la comédie musicale Don Juan, c’est en héroïne de thriller qu’elle se réinvente aujourd’hui.
Dans Madeleine Collins, d’Antoine Barraud, elle interprète une femme aux réalités multiples : mère de deux adolescents et épouse d’un chef d’orchestre avec lequel elle mène une vie aisée, elle s’est construit en secret un autre quotidien avec Abdel et sa petite fille, qu’ils élèvent ensemble. Se berçant d’illusions, vivant dans le mensonge et la fiction, en quête d’elle-même, ce personnage est aux antipodes de l’actrice qui, elle, semble ne jamais tricher. Ni face caméra ni dans l’exercice promotionnel. Quand elle joue, la croyance du spectateur est à hauteur de la sienne : sans faille. En interview, elle ne se dérobe pas et pose un regard lucide et réfléchi sur son parcours, le cinéma ou la célébrité. De quoi stimuler notre intérêt, encore et encore.
« Madeleine Collins », la bande-annonce
Madame Figaro. – Était-ce un fantasme d’actrice que de jouer deux rôles en un comme dans Madeleine Collins ?
Virginie Efira. – J’aime les personnages qui ont un rapport singulier à l’identité. Une caractéristique que l’on retrouvait par exemple dans Sibyl ou Benedetta. Mais c’est moins la dualité qui m’intéresse qu’une perception en marge de la vie qui peut confiner à une forme de folie, ou plutôt de déséquilibre. Dans Madeleine Collins, Judith fait exactement ce qu’on attend d’elle jusqu’à ce qu’elle trouve le moyen d’agrandir son horizon, de trouver son espace de liberté, de se réinventer. Sa double vie n’est peut-être pas le meilleur choix possible, mais nous sommes tous en mesure de comprendre son désir d’émancipation, cette envie de «sortir de soi».
Est-ce la raison pour laquelle vous êtes devenue actrice, pour «sortir de vous» ?
Très certainement. Il y a dans ce métier l’idée très forte, presque mélancolique, de se dire qu’une vie ne suffit pas. Comme le don d’ubiquité n’existe pas, j’ai choisi ce métier pour expérimenter d’autres chemins, d’autres sentiments. C’est une manière de mieux se comprendre et de mieux comprendre le monde, mais sans que la démarche ne soit intellectualisée. Je joue avec mon instinct, mon corps ou ma croyance, en l’équipe, mon réalisateur, mon personnage. Au moment où je joue, je crois sincèrement que les choses existent. Je les vis comme dans une réalité alternative.
Qu’est-ce qui vous conduit précisément vers ce type de rôle à facettes ?
Je ne sais pas. J’avais la prétention de croire que j’évoquais surtout une sorte de «bon sens au coin de chez vous», mais je dois avoir l’air plus perdue que je ne le pense. (Rires.) Il est amusant de voir quel chemin on peut emprunter sans en avoir conscience. Est-ce un film qui influence l’autre ? Est-ce ma morphologie «solide» qui me permet davantage de cacher le mystère que si j’avais le physique d’une femme fatale ? Peut-être est-ce aussi mon âge ? Je ne dis pas que l’on devient cinglé après 40 ans, mais c’est une période charnière : on a certes de l’expérience mais il reste encore beaucoup à vivre. Cela implique de fait plus de complexité que si j’avais joué ce rôle il y a dix ans.
« Tordre la réalité »
Madeleine Collins, à voir au cinéma le 22 décembre.
Vos choix d’actrice sont-ils liés à votre cinéphilie ?
J’ai toujours aimé les thrillers. Pendant le confinement, j’ai eu une phase où je ne regardais que ça. Un instinct primal : je voulais ressentir cette tension, ce frémissement, dont nos quotidiens étaient privés. J’ai par ailleurs toujours aimé les films qui embarquent dans la psyché d’un personnage. Ce qui m’intéresse, ce ne sont pas tant les faits que la façon dont on les perçoit, dont on peut tordre la réalité. Comme dans le formidable Safe, de Todd Haynes, avec Julianne Moore, ou Gone Girl, de David Fincher, avec Rosamund Pike, l’un de mes films préférés. Il questionne tellement sur le couple, sur l’existence réelle ou non de l’intimité, sur la façon dont l’autre vous regarde, sur la notion de transparence avec la personne qui partage notre vie… À l’image de ces films, Madeleine Collins est la preuve que le thriller, même s’il représente un cinéma accessible, n’empêche pas une certaine grandeur théorique, esthétique, philosophique.
Votre personnage dans Madeleine Collins vit dans le mensonge. À quel point ment-on quand on joue la comédie ?
On ne ment pas. On dissimule une vérité pour en embrasser une autre.
A-t-on néanmoins le sentiment d’être parfois schizophrène ?
Quand on a fouillé un endroit de tristesse ou de colère pour une scène, il faut parfois un peu de temps pour que le corps se remette en place. Mais je ne sais pas ce que c’est qu’être hantée par un personnage. Mon quotidien m’en empêche ! Je ne vais pas rentrer chez moi et dire à ma fille : «À partir de maintenant, maman ne s’appelle pas Virginie mais Bernadette !» Mon métier prend déjà suffisamment de place comme ça. Si être actrice implique une forme de schizophrénie, elle n’existe pour moi que de façon diluée, entre «Action !» et «Coupez !». En tout cas pour le moment. Mais on en reparle dans vingt ans : je serai peut-être complètement à la masse.
Une recette qui fonctionne aussi bien au photocall, en robe brodée longueur midi. (Cannes, le 25 mai 2019.)
Virginie Efira en robe chemise pour l’inauguration de la Cité du Cinéma. (Saint-Denis, le 21 septembre 2012.)
Virginie Efira en robe longue et fendue. (Cannes, le 11 mai 2016.)
Virginie Efira en robe longue à décolleté profond. (Cannes, le 21 mai 2016.)
Quid de l’image publique ? Est-ce que vous vous en sentez prisonnière ?
Je ne me pose pas la question, car je pense surtout qu’on surestime l’importance que les gens nous accordent. Je crois sincèrement qu’ils ont mieux à faire que d’attendre quelque chose de moi. Et puis, médiatisé ou non, on peut parfois se perdre ponctuellement dans une caricature de nous-même. Mais c’est assez éphémère, sauf peut-être si la célébrité vous frappe trop jeune, alors que vous êtes en pleine construction. La manière dont les autres vous voient peut alors devenir votre identité première. C’est très déstructurant, y compris sur le désir de jouer qui peut alors ne pas être suffisamment interrogé. Mais j’avais plus de 30 ans quand les choses se sont accélérées pour moi et cela m’a permis, je crois, d’avoir un peu plus de recul. Quand je lis un papier sur moi par exemple, je n’y vois pas de vérité absolue, que ce soit positif ou négatif.
Le 5 janvier, vous serez à l’affiche d’En attendant Bojangles, de Régis Roinsard. Un autre personnage aux personnalités multiples ?
Effectivement, même si le film est très différent dans ses intentions, sa forme, son langage, plus lyriques et romantiques. C’est un monde en soi et il y a un risque très excitant dans ce parti pris. Outre le plaisir de jouer avec, que j’admire énormément, j’aimais aussi l’énergie de ce personnage qui vit dans l’urgence, comme si elle avait une conscience accrue de la mort. Et puis, il y avait ce fantasme d’actrice, oserais-je dire de petite fille, liée au contexte sixties, aux costumes et à la danse.
« J’ai longtemps cru que je chantais bien »
L’un de vos talents innés ?
Pas vraiment ! J’étais même persuadée d’être éléphantesque, empotée, quand une figurante est venue me dire qu’elle me trouvait gracieuse sur le tournage. Je croyais sincèrement qu’elle se moquait de moi mais, au final, même si je ne suis pas Ginger Rogers, ça passe. Comme quoi, la perception qu’on a de soi peut-être quelque chose de compliqué. Autre exemple qui l’illustre bien : j’ai longtemps cru que je chantais bien. La faute, sans doute, aux soirées karaoké un peu arrosées. Et puis, un jour, je me suis entendue…
Un mot sur Les Enfants des autres, le prochain film de Rebecca Zlotowski dans lequel vous jouerez ?
C’est un film très personnel pour Rebecca qui y regarde droit dans les yeux le rôle de belle-mère, loin des caricatures de marâtre ou de simple figurante. À travers mon personnage, une femme sans enfants qui vit une histoire avec un homme déjà papa (, Roschdy Zem, NDLR), le film pose de nombreuses questions passionnantes : quel est le rapport de cette femme à cet enfant ? Comment trouver sa place quand on est celle qui arrive après ? Une relation de sororité est-elle possible avec l’autre femme (ici jouée par Chiara Mastroianni, NDLR) ? C’est une histoire très belle et très pure sur la question de la transmission, sur ce qu’il reste de nous, et ce qui part.
Madeleine Collins, d’Antoine Barraud, avec Virginie Efira, Bruno Salomone. Sortie le 22 décembre.
Source: Lire L’Article Complet