Ressentir de la honte, c’est s’effondrer à nos propres yeux… sous ceux de l’autre. Comment surmonter ce sentiment très déplaisant ?

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On ne naît pas honteux, on le devient. Ce sentiment nous tombe dessus par l’intermédiaire de l’autre, de son regard, de ses paroles ou de ses gestes. Ou de leur absence, lorsqu’elle exprime l’indifférence… Souvent, parents et éducateurs imposent la honte à l’enfant, au motif de l’éduquer. Ce qui caractérise ce « poison de l’âme », comme l’appelle le psychiatre Boris Cyrulnik, c’est son effet désintégrateur : elle dissout notre quant-à-soi et notre confiance intérieure. Elle nous fait taire, voire nous empêche de penser et d’agir, pour ne pas risquer de la réactiver. Certaines personnes sont des inoculatrices patentées de honte dès qu’elles ont un public : elles se moquent, blessent, humilient. Sans doute ont-elles connu la honte et se vengent-elles ! On peut aussi se l’infliger tout seuls, lorsque nous sommes lâches, stupides, vulgaires, médisants, sous le regard intériorisé de l’autre. Dans Le Livre de ma mère, Albert Cohen raconte la fois où il a eu honte de sa mère, par peur de déplaire à des imbéciles. Jusqu’à sa mort, il connaîtra la honte d’avoir eu honte d’elle…

« Humiliée par une prof »

Hélène, 50 ans, artiste peintre.

« J’étais une élève intelligente et cancre. Gentiment dissipée, mais respectueuse des profs, qui d’ailleurs m’aimaient bien. Ma mère était dépressive et je cachais mon angoisse en donnant le change. Un jour, en quatrième, lors d’un cours de maths qui m’échappait totalement, j’ai fait une petite pitrerie qui a fait rire la classe. La prof, une femme raide et laide, m’a alors dit d’un ton métallique : “Hélène Untel, vous êtes une grosse complexée.” Tout le monde s’est tu. J’étais décomposée, au bord des larmes. Elle avait frappé là où ça faisait mal : les cancres souffrent de leur nullité et compensent souvent en faisant diversion. Si elle avait dit “insupportable” ou “pénible”, elle m’aurait permis de me racheter. Mais, alors qu’elle n’avait jamais semblé me voir, elle a révélé qu’elle m’analysait depuis longtemps et attendait son heure pour m’anéantir. J’en ai longtemps gardé un tremblement intérieur. »

« Je l’ai ressentie par procuration »

Natacha, 35 ans, voyagiste.

« C’était dans un village de vacances. Je déjeunais avec une amie et un garçon du coin, Pierre, connu comme le loup blanc. Il avait un frère irrésistible qui, chaque année, charmait les “villageoises”. Ils étaient sympas et suscitaient la jalousie masculine, à en juger par la scène horrible qui a suivi. Alors que l’on était détendus et joyeux, un type est arrivé devant notre table. Un immonde macho qui a saisi Pierre par le bras en le forçant à se mettre à genoux. Je suis restée sidérée. Mon amie criait pour qu’il arrête, mais il redoublait de violence et hurlait des menaces obscènes. C’était insoutenable. J’ai ressenti l’humiliation de Pierre dans toutes mes cellules et, le pire, c’est que j’ai eu honte de lui. Cette expérience déshumanisante a été ma plus grande honte. »

« Soudain, je n’étais plus rien »

Annick, 47 ans, ingénieure.

« Je sortais avec Hugo, fier que je sois jolie et populaire. Je me vantais de mener le jeu, comme de tous mes autres succès. Mais une ombre au tableau est passée sous mes yeux un après-midi : une fille qui venait d’emménager dans la ville. Derrière son naturel passe-partout, j’ai vu son étrange et sidérante beauté, sa sobre assurance, moi qui en faisais toujours trop. Je me suis sentie laide et commune, caduque. J’avais tout faux. J’ai anticipé le jour où Hugo poserait, ainsi que ma bande de copains, les yeux sur elle, pour se détourner de moi. Je ressentais déjà la honte de la disgrâce, comme je l’avais connue, enfant, à la naissance de mon frère. Alors j’ai pris les devants, j’ai quitté Hugo sans explications. J’ai disparu, je me suis “bannie”, faisant le deuil de moi-même. Et j’ai surinvesti mes études pour devenir quelqu’un. Un mois plus tard, j’ai appris qu’ils étaient amoureux… »

L’avis du psy

Boris Cyrulnik est psychiatre et éthologue, auteur de Mourir de dire – La Honte, paru aux éditions Odile Jacob.

Comment la honte agit-elle sur nous ?

L’apprentissage de la honte se fait avec la conscience d’autrui et de la possibilité qu’il a de nous juger. Nous la connaissons tous, sauf les pervers (pour lesquels l’autre n’existe pas) ou les grands narcissiques. La honte est une émotion provoquée par la représentation de ce que l’autre pense de nous. Elle peut créer une loi intérieure assez forte pour nous empêcher de lui nuire, ou être un détracteur intime qui nous rabaisse sans cesse : qui suis-je sous le regard de cet autre et du pouvoir que je lui donne de me juger ?

Bien qu’expérience intime, est-elle contagieuse ?

Les Intouchables et les déclassés appartiennent à un groupe où la honte se perpétue. Et, en présence d’un parent qui se déprécie, un enfant peut « hériter » d’une image délétère de lui-même. Dans les liens d’amour ou d’attachement, il est difficile de lui d’échapper, car on s’identifie à ceux que l’on aime et qui nous transmettent leur honte.

Est-il possible de transfigurer ce sentiment, et comment ?

On peut échapper à la honte par des rêves compensateurs, avec le risque de verser dans une mythomanie névrotique. Ou, à l’inverse, ainsi que l’a fait le docteur Alfred Adler pour compenser la honte de sa faiblesse physique, devenir très fort dans un autre domaine – la psychologie pour sa part. Mais aussi se faire le porte-parole des humiliés et des offensés. Et, pour commencer, se désolidariser d’un groupe ou d’une éducation qui l’inflige à d’autres.

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