50.000 personnes ont manifesté à Paris contre les violences sexistes et sexuelles, samedi 20 novembre, selon les chiffres du collectif féministe #NousToutes, qui organisait l’événement. Elles étaient 18.000 selon la préfecture de police de Paris. L’événement s’est aussi décliné dans de nombres villes en France.
Manifestation inter-générationnelle
Foulard, Tshirt, manteau ou divers accessoire violet, couleur symbole de la lutte féministe : peu avant 14 heures, la place de la République se distingue déjà par l’omniprésence du violet, comme le demandait le collectif féministe #NousToutes.
Les pancartes distribuées par le collectif, aussi violettes et affichant des slogans courts et percutants, se comptent déjà par centaines. Cette marche se veut évidemment revendicative, mais surtout festive. Si les pancartes portent des messages évocateurs rappelant les violences faites aux femmes (« On ne naît pas femme mais on en meurt », « Je te crois. Tu n’y es pour rien », « Soumis(e) à la culture du viol », « Délivrez-nous du mâle », »Nous sommes les voix de celles qui n’en ont plus », « Du coup Cantat, il a tué la femme ou l’actrice ? »), les visages sont souriants.
Toutes les générations sont représentées, avec un nombre important de jeunes femmes, collégiennes, lycéennes, et étudiantes, souvent venues en groupe, mais aussi de familles, parfois même avec des poussettes.
À l’heure du bilan d’Emmanuel Macron, qui avait fait de la lutte contre les violences faites aux femmes la « grande cause de son quinquennat », et alors que les dénonciations des violences sexistes et sexuelles ont pris une nouvelle ampleur cette année avec l’émergence des hashtags #MetooInceste, #DoublePeine, #MeTooPolitique, entre autres, le consensus se résume en un slogan scandé par la foule et repris sur les pancartes : « Grande cause du quinquennat bla bla bla ».
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Le bilan du gouvernement critiqué
Pour Marylie Breuil, devenue une des figures principales du collectif #NousToutes, le bilan d’Emmanuel Macron se vérifie avant tout en terme de chiffres : « Les moyens sont insuffisants, qu’ils soient financiers, matériels et humains. Nous demandons 1 milliard d’euros pour lutter efficacement contre les violences sexistes et sexuelles. Aujourd’hui, le budget engagé est seulement de 360 millions d’euros. Ce milliard d’euros est pourtant conseillé par le Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes ». « Ce qui est triste c’est que pour 2022, on demande la même chose qu’il y a cinq ans parce que les choses n’ont pas été mises en place », conclut-elle.
Alors qu’elle s’apprête à quitter la place de la République avec son cortège, Maryse, 75 ans, a un avis bien tranché. Venue manifester parce qu’elle « étai[t] là en 68 et [est] évidemment contre les violences faites aux femmes », elle n’a pas envie de disserter sur le bilan gouvernemental, qu’elle résume haut et fort à « rien, rien, rien ». La retraitée aux cheveux courts gris tient à rappeler qu’elle ne vote pas pour « lui » (Macron, ndlr), ni pour « Marine Le Pen, parce qu'[elle] la déteste » et que « finalement les communistes ne sont pas si mal ». « Le gouvernement dit qu’il protège les femmes alors qu’il protège que dalle », résume-t-elle, avant se rejoindre une bande de copines.
À cinq mois de l’élection présidentielle d’avril 2022, la manifestation a plus que jamais un aspect politique, comme en témoignent la présence la présence de militants de la primaire populaire, défendant une candidature unique pour la gauche.
Le gouvernement dit qu’il protège les femmes alors qu’il protège que dalle.
En tête du cortège de l’association Osez le Féminisme, reconnaissable par un masque Zorro dessiné sur son visage avec de la peinture violette, la porte-parole, Ursula Le Menn, qualifie cette grande cause du quinquennat de « de bla-bla com' ». « Rien n’a changé. On a toujours les mêmes constats et le gouvernement se contente de faire des missions d’évaluations, mais il n’y a toujours aucun moyen et pas de changement structurels », explique-t-elle. Pour Ursula Le Menn, la politique mise en place par Emmanuel Macron peut être comparée à du feminism washing, « c’est-à-dire l’utilisation des luttes féministes pour se positionner comme progressiste ».
Le matin même de la marche, Élisabeth Moreno, ministre en charge de l’Égalité femmes-hommes, a quant à elle défendu le bilan du gouvernement sur Franceinfo, soulignant qu' »ill n’y avait pas un seul gouvernement qui se soit occupé des violences comme nous l’avons fait ».
« Darmanin démission »
« La lutte contre les violences faites aux femmes était la grande cause du quinquennat, mais il n’y a pas eu de femme Première ministre, ni de femme présidente de l’Assemblée nationale. Emmanuel Macron a plutôt choisi de nommer Gérald Darmanin au ministère de l’Intérieur et c’est un véritable doigt d’honneur monstrueux à la cause », réagit Léo, militant de 23 ans.
Les pancartes « Darmanin démission » fleurissent d’ailleurs sur la place et dans le cortège, comme à sa nomination, à l’été 2020. Avec son bon 1,80 m, « Vivi », comme elle préfère être présentée, âgée de 28 ans, tient la sienne bien en l’air parce qu’elle « regrette que Darmanin soit toujours ministre de l’Intérieur ».
« On en a ras le bol », explique-t-elle, agacée. Déjà présente à la manifestation de 2019, qui avait réuni 100.000 personnes selon les organisatrices, elle juge que les quatre ans et demi au pouvoir d’Emmanuel Macron sont « une catastrophe », mettant la question des droits des femmes, de la liberté et de l’écologie au même niveau.
Selon la militante Ursula Le Menn, les messages symboliques du gouvernement sont plutôt à chercher du côté des « nominations de Gérard Darmanin, accusé de viol, au ministère d’Intérieur, avec un conflit d’intérêt énorme, et d’Éric Dupont-Moretti, à la Justice, un masculiniste déclaré, anti #MeToo, alors qu’on a toujours moins de 1% des violeurs condamnés en France ». En résumé : « des messages en désaccord complet avec leur annonce de grande cause du quinquennat. »
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Manque de moyens, de formations
Marylie Breuil dénonce vigoureusement face aux médias « des politiques publiques mises en place pour lutter contre les violences sexistes et sexuelles en total décalage avec la réalité des violences sur le terrain ».
Les politiques publiques sont en total décalage avec la réalité des violences sur le terrain.
« Si on prend l’exemple des bracelets anti-rapprochement, les chiffres du ministère de la justice de septembre 2021 disent qu’il y en a 379 bracelets anti-rapprochements sur tout le territoire français. Il y a 220.000 femmes victimes de violences conjugales en France. Les moyens ne sont pas non plus à la hauteur en terme de formation des professionnels qui accueillent les victimes », remarque l’étudiante-militante. « À l’heure actuelle, les politiques publiques mises en place sont principalement répressives, elles interviennent une fois que les violences ont eu lieu », regrette-t-elle encore.
Le constat du manque de formation est aussi partagé dans le cortège. « Vivi » juge aussi que l’État doit débloquer plus de moyens : « Il faut mettre en place des ateliers dans les écoles, pour faire comprendre aux enfants et en particulier aux garçons qu’une femme n’est pas un objet, dès la maternelle, la primaire. Il faut également que les profs soient formés, parce que quand les garçons essaient d’embrasser de force une petite fille, ce n’est pas rigolo. »
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La jeune génération mobilisée
Parmi les principales critiques faites au gouvernement par les associations figure l’incapacité à stopper la hausse des féminicides. D’après le collectif Féminicides par compagnons ou ex, 101 femmes ont été tuées par leurs conjoints ou ex depuis le début de l’année.
Chantant et dansant sur les morceaux évocateurs fédérant la foule comme Balance ton quoi d’Angèle ou La Grenade de Clara Luciani, Luce, Mao, Héloïse et Louise, tout juste 14 et 15 ans, sont réalistes sur la situation.
Les adolescentes se passent un carton affichant un des messages les plus évocateurs de la manifestation : « Dans 7 féminicides, c’est Noël ». Elles racontent que la question des violences sexistes et sexuelles fait partie de leur quotidien, et ont même du mal à expliquer quand le féminisme est entré dans leur vie.
Dans 7 féminicides, c’est Noël.
Présentes pour « lutter contre « le patriarcat, le racisme et le capitalisme, tout réuni », elles portent déjà un regard précis concernant la lutte contre les violences faites aux femmes. « J’aimerais plus d’action de la part du gouvernement », réagit Luce, suivie de Salomé qui condamne une « attitude hypocrite d’Emmanuel Macron ».
Alors que la nuit commence à tomber et que le froid devient glaçant, les hymnes féministes comme Free from desire et Survivor confirment l’élan lancé près de trois heures plus tôt sur la place de la République.
À l’approche de la place de la Nation, Juliette et Anémone, 17 ans, tiennent toujours bien haut leurs pancartes, hurlant les slogans lancés au micro par les membres du collectif #NousToutes. Elles assument « ne pas avoir l’âge de voter aux prochaines élections » et « ne pas être assez informées pour avoir un regard précis sur la politique », mais regrettent « des prises en charges insuffisantes ». Peu importe pour elles, l’important est d’être là pour « défendre une cause ».
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