En attendant Get Back, le documentaire de Peter Jackson sur les Beatles annoncé pour fin novembre sur Disney+, les éditions Seghers publient avec quelques semaines d’avance un livre, The Beatles : Get Back, qui en est le compagnon de route. Si vous avez rêvé un jour d’être une petite souris assistant en direct aux séances en studio des Fab Four, cette immersion dans le quotidien de travail du groupe va vous combler.
Le 30 janvier 1969, les Beatles donnent leur mythique dernier show, perchés sur le toit de l’immeuble de leur maison de disques Apple, au 3 Savile Row, au coeur de Londres. Quelques semaines plus tôt, les Fab Four, qui n’ont pas donné de concert depuis le 29 août 1966 à San Francisco, ont accepté l’idée folle du jeune réalisateur Michael Lindsay-Hogg de donner un grand show télévisé en public et de se laisser filmer en studio durant tout le processus de création.
Le trailer du documentaire de Peter Jackson « Get Back »
Le 2 janvier 1969, ils entrent donc aux studios de Twinkenham, entourés d’une équipe et de deux caméras qui tournent en permanence. Mais l’idée d’un show télévisé, d’abord envisagé en Libye puis sur un bateau, est abandonnée en cours de route. En revanche, durant un mois, le groupe va composer le titre Get Back et avancer sur de nombreuses nouvelles chansons, dont Let It Be, The Long and Winding Road et I’ve Got a Feeling que l’on retrouvera sur l’album ultime du groupe Let It Be. D’autres chansons se retrouveront, elles, sur l’album Abbey Road.
Plus de cinquante heures de rushes sont tournées durant ces séances de travail. Un matériau exceptionnel. En attendant de voir ce qu’en aura fait Peter Jackson pour son documentaire, le livre propose la retranscription de nombreuses conversations des bandes audio, agrémentée d’une foule de photos inédites de Linda McCartney et du photographe américain Ethan A.Russell. Un régal.
L’ambiance était plus à la déconnade qu’à la bagarre
Plusieurs choses frappent dans les échanges retranscrits dans ce livre. D’abord, l’absence d’ambiance délétère entre Paul, John, George et Ringo à quelques mois de leur séparation officielle. Les dialogues contredisent de façon éclatante le refrain de bagarres incessantes à cette époque entre les Fab Four dont on nous rebat les oreilles depuis 50 ans.
Certes, il y a des tensions. George, qui, comme Ringo, n’est pas chaud du tout pour partir donner un concert à l’étranger, va même quitter le navire assez rapidement avant de revenir à la raison quelques jours plus tard. Il se sent manifestement incompris et sous-estimé, écrasé par l’aura de McCartney et Lennon. Le couple inséparable Lennon-Yoko Ono a également tendance à irriter les autres membres du groupe. Ils râlent mais se contrôlent. « Ils veulent rester ensemble, l’un près de l’autre, ces deux-là. (…) Ce n’est pas si grave en fait« , répète Paul. « Ça va paraître d’un comique incroyable, dans 50 ans, tu imagines : ‘Ils se sont séparés parce que Yoko s’est assise sur un ampli’ (il rit) ou un truc dans le genre… »
Dans l’ensemble, tout se passe donc bien, et même très bien, entre cette bande de copains qui font preuve jour après jour, malgré les enjeux, d’un humour incroyable. On assiste, les yeux écarquillés, aux blagues et taquineries de quatre joyeux drilles à coups d’accents exagérés, d’humour absurde, d’autodérision ou de railleries face à la presse. On rit dès les premières lignes de dialogues, datées du 2 janvier 1969. John à Ringo : « Tu as entendu le nouveau Eric Burdon ? Il est vraiment bien. » Ringo : « Mais c’est un vieux, non ? » Quelques lignes plus loin, ils improvisent sur la chanson I’ve Got A Feeling, qui se transforme en I’ve Got a Hard On (J’ai la trique).
Paul se posait en leader naturel
Autre chose surprend dans leurs rapports : Paul apparaît en leader naturel. Il regrette avec George la disparition de Brian Epstein, leur agent mort en août 1967, quatorze mois plus tôt. « Plus personne ne décide plus rien », déplore Paul. « On est devenus très négatifs depuis que M.Epstein est mort. (…) Est-ce qu’il ne faudrait pas être plus positifs ? (…) Il n’y a plus personne, maintenant, pour nous dire : faites ceci ou cela. Alors qu’on a toujours connu ça. (…) Il faut grandir, c’est tout.«
Tout en restant bienveillant et ouvert au dialogue, McCartney tente de pallier cette absence, d’encadrer et de rassembler le quatuor autour du projet de départ face au côté dissipé de ses comparses, qui ont par exemple beaucoup de mal à se lever et à être à l’heure le matin. Il fixe l’agenda et s’impatiente face à l’absence de motivation des troupes pour le projet de show télé. « Tout ce que je veux voir c’est de l’enthousiasme !« , réclame-t-il.
Quant à John, il ne tente pas de prendre l’ascendant et reste étonnamment conciliant. Sauf au sujet de sa compagne Yoko Ono : « Je vous sacrifierais tous pour elle« , assène-t-il un jour.
Le claviériste Billy Preston aurait pu être un 5e Beatle
S’il en fallait encore une preuve, ces échanges (et le documentaire à venir) enfoncent le clou : les Beatles étaient incroyablement inspirés lorsqu’ils étaient ensemble en studio. Dès qu’ils se mettaient à jouer, les chansons avançaient naturellement et sans effort. Leur producteur George Martin lui-même leur dit à un moment : « Vous travaillez tellement bien ensemble. Vous vous regardez, vous vous observez les uns les autres… Vous êtes connectés, quoi ! » (il claque des doigts)
L’arrivée du claviériste Billy Preston, dont le groupe avait fait la connaissance à Hambourg en 1962 et que George a amené en studio, va apporter du liant musical et donner une dimension encore plus joyeuse à l’ensemble. Personnage solaire tout en sachant rester discret, Preston est un musicien accompli qui a accompagné Little Richard au début des années 60 et sort d’une tournée avec Ray Charles. Le groove, il connaît. On entend notamment son piano électrique débridé sur l’énorme succès Get Back.
Billy Preston, dont les Rolling Stones s’attacheront régulièrement les services par la suite, s’intègre si bien au quatuor que les Beatles décident de publier ses productions en solo sur Apple. Et ils envisagent même d’en faire le cinquième Beatle, comme le montre un échange. « On pourrait l’intégrer dans les Beatles« , suggère George. « Ça me plairait bien un cinquième Beatle« , répond John. Une idée douchée par Paul. « Moi non. Parce que c’est déjà assez pénible à quatre… (souriant) Mais je l’apprécie ! C’est un musicien incroyable, c’est sûr !«
Ils ne voulaient plus jouer en public
Une seule chose nous désole dans ce que révèlent ces dialogues. Si George et Ringo n’ont pas envie d’aller jouer à l’étranger, même pour un soir, il y a plus grave. Après des années à donner des centaines de shows (1 400 depuis leurs débuts en 1960) devant des foules hystériques, la troupe a visiblement perdu le goût du live en public. Le quatuor est rincé.
Même Paul est touché par ce désamour. « A quoi ça sert d’avoir un public ? L’idée c’est quoi ?« , se demande-t-il. « Par pure bonté d’âme, on va jouer pour les gens parce qu’on les aime ? Ou alors pour ramasser l’argent des tickets ? Ou pour que ça crée une étincelle entre nous, pendant le show ?« .
Dans la foulée, George se fait expliquer par leur producteur George Martin combien compte l’interaction avec le public. On croit rêver. George Martin : « Vous le sentez réagir, ouais, comme un comédien sur scène. » George : « Et on lui renvoie quelque chose en retour, quoi. » Yoko : « Eh bien des chaises vides, ce serait bien plus spectaculaire (que du public NDLR). » Et le réalisateur Michel Lindsay-Hogg de conclure : « Le public fait partie de vous. »
The Beatles : Get Back par The Beatles (39,90 € Editions Seghers)
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