Ils ont en commun leur irrésistible ascension, leur talent radieux et leur sens de l’engagement. L’actrice française césarisée et le petit prince de Hollywood incarnent résolument l’avenir du cinéma et enchantent le dernier film de Wes Anderson, The French Dispatch. Rencontre en toute simplicité.

Festival de Cannes, 12 juillet 2021. Ce jour-là, la Croisette est en feu. Aux abords de l’hôtel JW Marriott, des fans et des cinéphiles agités guettent fébrilement les acteurs de The French Dispatch (1), de l’Américain Wes Anderson (La Vie aquatique, The Grand Budapest Hotel ). L’un d’entre eux suscite la frénésie : Timothée Chalamet, le petit prince du cinéma hollywoodien. À l’étage, sa partenaire, la délicieuse Lyna Khoudri, la jeune actrice surdouée (César du Meilleur espoir féminin en 2020) révélée par Papicha (2019), de Mounia Meddour, discute sur le pas de la porte de sa chambre en attendant que le nouveau Leonardo DiCaprio ne la rejoigne. Lorsqu’il apparaît enfin, ils échangent un affectueux hug très américain avant de se prêter, ensemble, au jeu de l’interview.

L’entretien se déroulera en français (Chalamet passait ses vacances dans la famille de son père, au Chambon-sur-Lignon, en Haute-Loire) et, contre toute attente, sans la tutelle encombrante d’un agent ou d’un publiciste, dans l’intimité d’une chambre. Bien que la superproduction Dune, de Denis Villeneuve, ne soit pas encore sortie à ce moment-là, Chalamet est déjà présenté – depuis Call Me by Your Name (2017), de Luca Guadagnino – comme l’«élu de sa génération» ou encore la «star de cinéma la plus sexy d’Amérique». Moins exposée, mais pas moins talentueuse, Lyna Khoudri, quant à elle, évolue depuis quatre ans dans un cinéma engagé et exigeant. Ils ont en commun une énergie incandescente propre à la jeunesse actuelle, un mélange de sagacité percutante et d’espièglerie joyeuse. Ces deux enfants du siècle, ancrés dans l’époque et les engagements de leur génération, sont tous les deux militants écologistes, féministes, et des citoyens cosmopolites. À l’image de leurs personnages dans The French Dispatch, un film sur la vie d’un journal fondé en France par un Américain dans les années 1960.

Dans un des chapitres de cette production au casting de luxe, tournée à Angoulême, en Charente, Lyna Khoudri, Franco-algérienne de 29 ans, et Timothée Chalamet, Franco-américain de 25 ans, jouent respectivement une activiste et un leader du mouvement de contestation étudiant. Derrière leurs beautés solaires, ces deux têtes bien faites incarnent résolument l’avenir du cinéma.

Une « vaste colonie de vacances »

Madame Figaro. – Qu’est-ce qui vous a séduit dans The French Dispatch ?
Lyna Khoudri.
– Wes Anderson est un des plus grands réalisateurs de l’époque. Son imaginaire, son esthétique et ses univers sont tellement uniques qu’il était impossible de refuser une telle aventure. C’est un grand cinéphile. Pour ce film, il s’est inspiré, entre autres, des Quatre Cents Coups (1959), de François Truffaut, et du Pont du Nord (1981), de Jacques Rivette, un cinéaste qu’il m’a fait découvrir. L’ambiance du tournage était insolite, une vaste colonie de vacances stimulante et joyeuse. Il crée un monde.
Timothée Chalamet. – J’avais entendu dire que ses tournages se distinguaient des autres, car Wes Anderson fait naître une grande alchimie entre les gens. J’ai pu le constater à Angoulême, lieu du tournage, où toute l’équipe et les comédiens dormaient dans le même hôtel et dînaient ensemble tous les soirs. Et, pour des jeunes acteurs comme Lyna et moi, c’était une chance incroyable d’intégrer cette famille créative et de travailler avec des géants comme Bill Murray, Tilda Swinton et Frances McDormand. Ils étaient très détendus sur le tournage, et certains étaient même accompagnés de leur famille. J’ai aimé cette atmosphère de travail autant que l’exigence d’Anderson. Il peut vous demander de refaire une scène une quarantaine de fois pour reproduire l’exacte idée qu’il a en tête, mais c’est passionnant.

« Nous devons nous battre pour la justice »

Dans le film, vous jouez des militants. L’êtes-vous dans la vie ?
L. K. –
À partir du moment où l’engagement est naturel, il n’y a aucune difficulté à militer. Par exemple, en 2021, la question de l’écologie est inévitable. On ne peut plus esquiver, puisque la catastrophe est sous nos yeux. En revanche, pour ce qui est de la politique en général, je trouverais plus difficile de m’engager officiellement et de soutenir un candidat, car je ne me sentirais pas à ma place.
T. C. – Je ne milite pas parce que je suis acteur, mais parce que c’est une nécessité absolue. Notre génération a hérité d’un monde fracturé économiquement, politiquement, mais aussi écologiquement, et nous devons nous unir pour lutter contre ça. Nous devons nous battre pour la justice, qu’elle soit raciale, environnementale ou économique.

Quelle figure militante vous inspire le plus aujourd’hui ?
L. K. –
Les activistes qui œuvrent dans le documentaire Bigger Than Us, de Flore Vasseur, coproduit par Marion Cotillard, m’ont beaucoup impressionnée.
T. C. – J’ai été bluffé par la force d’Amanda Gorman lorsqu’elle a lu son magnifique poème lors de l’investiture du président Joe Biden, devant des hommes politiques abjects comme Mike Pence et Mitch McConnell. C’est l’une des jeunes voix les plus inspirantes du moment. Mais il y a aussi de nombreux activistes anonymes, plus jeunes que moi, qui luttent tous les jours dans l’ombre pour des causes auxquelles ils croient et pour changer le monde.

En vidéo, « The French Dispatch », la bande-annonce

Citoyens du monde

Qu’appréciez-vous le plus dans votre génération ?
L. K. –
Je me souviens que Timothée cherchait un appartement pendant le tournage de The French Dispatch, et lorsque je lui ai demandé où il souhaitait s’installer, il m’a répondu : «Je m’en fiche un peu, on n’appartient plus à un pays mais au monde entier.» Cette phrase m’a questionnée, car il a raison : il n’y a plus de frontières entre nous, nous sommes tous connectés.
T. C. – Étant né le 27 décembre 1995, je me situe vraiment entre les millennials et la génération Z (le changement se ferait le 1er janvier 1996, NDLR). J’observe donc avec intérêt l’universalité des genres et, comme le dit Lyna, les gens sont désormais connectés. Après le film de Wes Anderson, je suis parti tourner à Budapest, et j’ai été frappé de voir à quel point les aspirations de la jeunesse y étaient identiques à celles des jeunes de New York ou de Paris.

Et ce que vous appréciez moins ?
L. K. –
Il ne s’agit pas tant de notre génération, mais plutôt de l’époque dans laquelle nous vivons, qui ne laisse aucune place à l’erreur. Dès que les lumières sont braquées sur nous, il faut que tout soit parfait. Moi qui suis très maladroite, cela me fait peur, car je sais que je pourrais vaciller à tout moment ou dire une bêtise en interview. Même combat sur tapis rouge : si on a le malheur de choisir la mauvaise robe, tout le monde nous tombe dessus. On a tendance à juger un peu trop facilement les acteurs…
T. C. – Moi, je crois que je pourrai répondre à cette question quand j’aurai un peu plus de recul sur ma génération…

À écouter : le podcast de la rédaction

« Une nomination aux Oscars est une pression »

Quel regard portez-vous sur votre génération d’acteurs ?
L. K. –
Beaucoup de gens m’inspirent. Je citerais le casting des Filles du Docteur March (2019), de Greta Gerwig, dans lequel Timothée joue face à Saoirse Ronan, Florence Pugh et Emma Watson.
T. C. – Trois actrices sensationnelles. C’est aussi le cas de George MacKay, de Barry Keoghan, que l’on a découvert dans Mise à mort du cerf sacré (2017), de Yórgos Lánthimos, ou encore de Taylor Russell, avec qui je viens de travailler sur le film d’horreur de Luca Guadagnino, Bones & All (2021). Sans oublier Anya Taylor-Joy, qui était formidable dans Emma (2020) et dans Le Jeu de la dame (2020). J’ai l’impression que nous sommes une génération de grands travailleurs : on se donne à fond quand on décroche un rôle.

Décrocher un César pour vous, Lyna, et être nommé aux Oscars pour vous, Timothée, est-ce un tremplin ou un cadeau empoisonné à votre âge ?
L. K. –
C’est un très beau cadeau ! Mon César du meilleur espoir reçu en 2020 m’a permis de faire des rencontres fructueuses, et m’a offert la possibilité de choisir mes rôles. Quand on commence une carrière d’acteur, on est prêt à tout pour faire ce métier, quitte à accepter de mauvais projets. Pouvoir dire «non» est donc un vrai privilège. Cela ne veut pas dire non plus qu’on ne se trompera pas ou qu’on ne fera que des bons films par la suite, mais au moins reste-t-on responsable de ses choix.
T. C. – Être nommé aux Oscars pour Call Me by Your Name a apporté un souffle énorme à ma carrière. À mes débuts, je jouais dans des pièces de théâtre et mon rêve était de décrocher un rôle dans une série pour une chaîne américaine, comme Showtimes ou HBO. Je me disais que c’était le Graal pour un jeune acteur de ma génération. Une nomination aux Oscars est une pression. Je garde néanmoins un souvenir heureux de cette aventure que j’ai vécue au côté de Saoirse Ronan, qui, elle, était nommée pour la quatrième fois !

Rêves éveillés

L’un et l’autre aimeriez-vous tourner aux États-Unis et en France ?
L. K. –
Il y a tellement de réalisateurs extraordinaires à Hollywood que ça serait forcément incroyable de travailler là-bas. Il faut essayer de se dépasser, de sortir de sa zone de confort, et, à mon avis, les États-Unis symbolisent tout cela.
T. C. – J’adorerais faire un film en français ! J’aime le cinéma de Mati Diop (Atlantique), les films de Jacques Audiard et ceux de François Ozon. Et je voudrais aussi travailler avec des Québécois comme Xavier Dolan ou retravailler avec Denis Villeneuve, avec qui j’ai tourné dans Dune (2021). Ce serait également un défi pour moi de tourner en français, car je parle beaucoup moins bien cette langue que ma sœur, Pauline, qui vit à Paris. Elle est également actrice, et vient de tourner une série à Los Angeles. Je suis très fier d’elle.

Quels sont les rôles qui vous font avancer ?
L. K.
– Je réalise actuellement un rêve en incarnant une danseuse de ballet dans le prochain film de Mounia Meddour. Étant une fan inconditionnelle de Black Swan (2010), avec Natalie Portman, je suis folle de joie de vivre cette expérience, même si je dois confesser que l’exercice est ardu.
T. C. – Plus qu’un rôle, je suis à la recherche d’un sentiment nouveau, quelque chose qui me ferait peur. Mais je laisse venir les choses, car aspirer à un rôle spécifique est le meilleur moyen pour ne pas le décrocher. En attendant, je devrais remonter sur scène à Londres pour 4000 Miles, une comédie dramatique d’Amy Herzog. Cette pièce était prévue avant la pandémie, mais je tiens beaucoup à la jouer, car le théâtre reste mon premier amour. Toujours à Londres, je tourne Wonka, de Paul King, le préquel de Charlie et la Chocolaterie, de Tim Burton. Il s’agit d’une comédie musicale pour laquelle je me suis mis au chant et aux claquettes. Lyna et moi réalisons donc, tous les deux, un rêve en dansant !

(1) The French Dispatch, de Wes Anderson, avec Lyna Khoudri, Timothée Chalamet, Léa Seydoux, Bill Murray. Sortie le 27 octobre.

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