Seulement huit semaines séparent le diagnostic de Jacqueline de celui de Catherine. C’était en 2011, la première a alors 70 ans, la seconde 45. « J’ai reçu un coup de téléphone de ma mère, un soir, qui s’excusait presque d’appeler un peu tard, pour m’annoncer qu’elle souffrait d’un cancer du sein », se remémore Catherine. S’en suit un besoin irrépressible d’essayer de comprendre. Elle se plonge dans tous les ouvrages qui lui tombent sous la main, pour y découvrir des mots qui font écho à quelque chose de trop familier : « Tout écoulement ou saignement au niveau du mamelon peut être le signe de la présence d’une tumeur », lit-elle alors.
Ces symptômes, elle les connaît, elle les observe dans le bonnet de son soutien-gorge depuis quelques semaines. Il faudra insister auprès des médecins, qui pensent à une inquiétude infondée, mais l’acharnement sera justifié. Après plusieurs examens, son diagnostic tombe aussi. « C’est la maladie de ma maman qui aura éclairé la mienne. »
Affronter la maladie à deux : un combat salvateur
Le pronostic est d’abord assez optimiste, jusqu’à l’opération. « Après ma mastectomie, le chirurgien m’a reçue pour me dire que les ganglions étaient déjà touchés. » Le tableau devient plus sombre. Ce coup de massue supplémentaire, elle le voit avec le recul comme un palier de décompression presque salvateur : « D’abord le cancer de ma mère, puis le mien, puis le caractère plus invasif que prévu… Malgré la violence des chocs, j’ai pu les absorber de manière un peu plus progressive. »
« Quand ma fille m’a appris qu’elle avait aussi un cancer du sein, j’étais déjà ‘dans le bain’. Nous avions commencé à organiser mes traitements, je voyais un peu à quoi il fallait s’attendre », nous confie Jacqueline, dynamique pharmacienne à la retraite. « Elle allait affronter les mêmes choses que moi, je devais tout faire pour dédramatiser ce qui m’arriverait, pour ne pas l’inquiéter. » Un poids supplémentaire à porter ? « Tout le contraire, une force qui m’a permis de tenir. »
C’est la maladie de ma maman qui aura éclairé la mienne.
Leur « entrelacement de destins » ne s’arrêtera pas là. Les deux femmes se voient prescrire quasiment le même protocole de soin : chimiothérapie, radiothérapie et Herceptin, un anti-corps monoclonal efficace uniquement dans certains cas très précis de cancers. « Dans notre malheur, cette particularité que nous avions toutes les deux a été une aubaine », admet Catherine. Ce médicament a transformé la prise en charge des cancers dits HER2 positifs, améliorant considérablement les chances de guérison.
« Ma maman débroussaillait la voie »
Les traitements durent presque deux ans. Jacqueline est suivie à l’institut Paoli-Calmettes à Marseille, Catherine à l’institut Claudius Regaud à Toulouse. Aussi souvent que possible, elles se rendent visite, partagent leurs trouvailles sur les soins complémentaires pour soulager les effets secondaires : nausées liées à la chimiothérapie, brûlures causées par la radiothérapie… Des échanges qui auront été déterminants, surtout pour la Toulousaine :
« À chaque étape, ma maman débroussaillait la voie. J’avais la sensation qu’elle me tendait la main pour me dire que, c’est bon, je pouvais y aller. » Y compris dans les moments particulièrement douloureux : « L’idée de perdre mes cheveux a été un cataclysme. J’ai accompagné ma mère le jour où elle est allée chercher sa perruque. Quand je l’ai vue, si jolie avec, complètement elle-même, cela a été un immense soulagement. Ça aussi, j’allais le surmonter. »
Sa « première de cordée », telle qu’elle l’appelle, aura aussi été une aide précieuse pour faire accepter sa propre maladie à ses trois enfants, dont l’aîné avait seulement 13 ans à l’époque. « Ils ont vu leur mamie tout traverser avant moi, ils étaient préparés, n’ont pas eu de surprises. » Le choc est un peu amorti, les angoisses un peu dissipées.
Dans notre malheur, cette particularité que nous avions toutes les deux a été une aubaine.
Leurs itinéraires parallèles les mènent toutes deux vers la même issue favorable : la rémission. Et cinq ans après, au mot tant attendu : la guérison. « Nos parcours ont été très similaires, nos cancers aussi, mais il y avait tout de même des spécificités. Celui de ma mère par exemple était hormono-dépendant, pas le mien. Je pense que c’est important à réaliser, que tous les cas sont différents », note Catherine.
Quant au caractère héréditaire ? « La question ne s’était jamais posée avant, puisqu’il n’y avait pas de cancer du sein dans notre arbre généalogique. Quand j’étais suivie, on m’a dit que ce n’était pas génétique. Mais maintenant que ma fille est une jeune adulte, je lui proposerai peut-être de faire un test d’hérédité tout de même », poursuit-elle.
Un lien mère-fille décuplé
Pour aider à tourner la page, Catherine a couché son histoire sur papier. Nos deux seins*, récit édité à compte d’auteur, est un témoignage de la gratitude et de la reconnaissance qu’elle voue à sa maman. Jacqueline a d’ailleurs été la première à en recevoir une copie. « J’ai mis presque deux mois avant de pouvoir le lire. Encore maintenant, l’émotion me bouleverse à chaque fois que je le ressors pour en feuilleter des passages. Il est toujours dans ma table de nuit. Cette admiration que me porte ma fille… Alors que, pour moi, elle m’a protégée autant que je l’ai fait. »
Le cancer est aujourd’hui derrière elles. Catherine a repris son activité de journaliste spécialisée dans la presse jeunesse, Jacqueline le rythme d’une retraite active. Toutes deux avec leur mari à leur côté, tels qu’ils l’ont été, sans faille, tout au long de la maladie. Après s’être battues pour deux, à deux, la relation qui unit mère et fille est irrémédiablement transformée. Leurs échanges sont toujours aussi pudiques – c’est leur mode de communication – mais le lien est plus solide que jamais. Elle savent qu’elles ont été, chacune, la force de l’autre pour vaincre le cancer du sein.
* Pour recevoir le livre de Catherine Menguy, Nos Deux Seins, vous pouvez lui adresser votre demande à l’adresse mail : [email protected]
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