Après une soirée bien arrosée, votre premier réflexe est de prendre du paracétamol ? Erreur ! Dans The Conversation, Francisco Javier Otero Espinar, professeur au département de pharmacologie, de pharmacie et de technologie pharmaceutique de l’université de Saint-Jacques-de-Compostelle (Espagne), explique pourquoi alcool et paracétamol ne font pas bon ménage.
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Tout le monde a, un jour, fait la fête. Certains ont eu à en subir les conséquences le lendemain, sous la forme d’une rude veisalgie… plus communément connue sous le nom de « gueule de bois ».
Mais tout le monde n’est pas égal face à une consommation excessive d’alcool, et ne va pas être affecté de la même façon. La réponse varie fortement en fonction de l’individu, comme de facteurs environnementaux et temporels. Tous ces éléments peuvent avoir un impact majeur sur le fait de souffrir de cette (in)évitable sensation d’indisposition, pour user d’un euphémisme, et ce de façon plus ou moins intense.
Bien que nous en connaissions les éléments déclencheurs, et que l’on regrette parfois de leur avoir permis de s’exprimer, la cause scientifique de la gueule de bois n’est pas encore connue. Nous ne connaissons pas non plus les raisons de tous les effets qui y sont associés – maux de tête et nausées (dans 68 % des cas), fatigue (73 %), difficulté de concentration (72 %), etc..
Gueule de bois : qui est responsable ?
Si nous examinons un peu la littérature scientifique sur ces fameux symptômes, on peut constater que plusieurs types d’explications ressortent. La première est la déshydratation, l’alcool favorisant le besoin d’uriner.
Il ressort que la concentration de substances endogènes (naturellement présentes dans le corps), comme le glucose ou certaines hormones, est modifiée. Cela pourrait être dû à l’ingestion de grandes quantités d’alcool, qui entraîne des concentrations élevées d’éthanol et de ses produits de dégradation dans le sang.
Cependant, il n’est pas évident que le malaise associé à la gueule de bois soit dû à ces altérations… Son origine (biologique) est donc encore à l’étude.
Ces dernières années, certains chercheurs ont établi un lien entre ces symptômes et une origine immunologique qui déclenche la libération de substances endogènes liées à la douleur et aux processus inflammatoires. Voilà qui pourrait expliquer maux de tête et malaises généraux.
Mais laissons aux chercheurs le soin d’identifier les véritables causes de la gueule de bois, et concentrons-nous sur les médicaments disponibles pour nous aider à faire face aux lendemains d’agape… Préliminaire incontournable, nous devons d’abord comprendre comment l’alcool agit dans notre corps.
Comment l’alcool traverse notre corps
Lorsque nous buvons une boisson alcoolisée, l’éthanol qu’elle contient est absorbé très rapidement dans le tractus gastro-intestinal (l’ensemble des organes de notre système digestif, de la bouche à l’anus), puis se dirige vers le foie. Cet organe le prend en charge grâce à des enzymes appelées alcool-déshydrogénase (ADH).
Si la consommation d’alcool se poursuit sur une longue période, l’activité intense de ces enzymes hépatiques peut avoir un impact sur la santé du foie lui-même. Cet organe peut en effet être altéré par l’accumulation de métabolites de l’éthanol (composés organiques issus de sa dégradation), qui peuvent endommager ses cellules.
En outre, ces produits de dégradation peuvent provoquer une inflammation et conduire au développement d’une stéatose hépatique alcoolique (avec accumulation de graisses dans les cellules). C’est le stade initial et le plus précoce des lésions hépatiques pouvant conduire à une hépatite alcoolique ou à une cirrhose dans les cas les plus graves.
Ceci étant dit, et connaissant les graves conséquences de l’abus d’alcool, revenons à la gueule de bois proprement dite…
Après une nuit de folie, oubliez le paracétamol
Vous êtes là, la tête lourde et sous la menace de nausées. Vous avez alors pu vous tourner vers le paracétamol ou l’ibuprofène, en espérant quelques résultats miraculeux. Mais est-ce une bonne idée ?
Commençons par le paracétamol. Il s’agit d’un médicament aux propriétés analgésiques et antipyrétiques. Très efficace contre la douleur et pour contrôler la fièvre, il est souvent l’un des premiers choix pour les traiter… Il ne s’agit toutefois pas d’un anti-inflammatoire, donc si la douleur est associée à des processus inflammatoires, il sera moins efficace.
Aux doses thérapeutiques, ce médicament est sûr et n’a pas d’effets toxiques. Une fois absorbé et passé dans la circulation sanguine, il est métabolisé dans le foie avant que ses résidus ne soient éliminés principalement par les reins.
L’ibuprofène appartient, lui, au groupe des anti-inflammatoires non stéroïdiens et possède une activité antipyrétique, analgésique et anti-inflammatoire. Il est généralement prescrit pour les douleurs causées par des processus inflammatoires tels que l’arthrite, les maux de dents, les blessures musculaires ou les douleurs menstruelles.
Contrairement au paracétamol (si pris à trop fortes doses), l’ibuprofène ne provoque pas de lésions hépatiques, bien qu’en raison de son propre mécanisme d’action anti-inflammatoire, il puisse affecter la muqueuse gastrique et endommager la barrière protectrice de l’estomac. Cependant, il le fera dans une moindre mesure que les autres anti-inflammatoires.
Paracétamol + alcool : un cocktail épuisant pour le foie
Le problème de la prise de paracétamol après une consommation excessive d’alcool est lié au mécanisme de métabolisme des deux participants.
Vous vous souvenez de l’enzyme ADH, qui gère l’éthanol absorbé ? Cette enzyme prend en charge l’alcool dans la muqueuse gastrique et le foie pour le transformer en une molécule plus facile à éliminer par l’organisme. Mais lorsque nous consommons de l’alcool en excès, elle se retrouve dépassée et doit faire appel à une autre enzyme : la CYP2E1. Et elle le fera d’autant plus que l’alcool va favoriser cette autre voie.
Or, le paracétamol est également métabolisé dans le foie par deux processus : à 80 % par conjugaison avec l’acide glucuronique, et à 20 % par l’enzyme CYP2E1.
Comme vous pouvez le constater, cette enzyme est donc impliquée dans le métabolisme de l’alcool et du paracétamol. C’est là que le bât blesse…
Car la petite fraction du paracétamol qui est métabolisée par CYP2E1 est transformée en un métabolite hautement réactif, le NAPQI, qui peut entraîner un stress oxydatif et la mort cellulaire. Dans des conditions normales, nous pouvons l’éliminer grâce au glutathion (molécule impliquée dans de nombreuses réactions de détoxication), mais lorsque nous avons beaucoup bu, le processus se complique.
Pourquoi ? Parce que l’enzyme CYP2E1 est présente à des niveaux très élevés dans notre organisme pour métaboliser l’alcool, le paracétamol aura tendance à utiliser sa voie secondaire de métabolisation qui l’utilise.
CYP2E1 étant très utilisée, une quantité beaucoup plus importante de NAPQI sera générée. Et si l’organisme n’est pas en mesure de l’éliminer (parce que le glutathion est débordé), cela peut entraîner des dommages au foie.
Qui choisir ?
Au vu des deux molécules et surtout de leur voie de dégradation dans notre corps, il est conseillé d’avoir plutôt recours à l’ibuprofène.
En outre, si comme envisagé, la gueule de bois est associée à un processus inflammatoire, l’ibuprofène (qui est un anti-inflammatoire en plus d’être un analgésique) sera plus efficace.
Cependant, il convient d’être prudent. L’ibuprofène n’est pas la panacée : il peut en effet peut renforcer l’effet irritant de l’alcool au niveau gastrique en altérant la barrière gastrique. Cependant, cela ne se produit généralement pas après absorption d’une seule dose respectant les prescriptions. Il faut une prise continue à des doses très élevées pour noter ces effets indésirables.
Si bien que le meilleur remède à la gueule de bois… est encore de l’éviter !
Cet article a été publié le 6 octobre sur The Conversation, sa version originale est à retrouver ici. Il a été rédigé par Francisco Javier Otero Espinar, professeur au département de pharmacologie, de pharmacie et de technologie pharmaceutique de l’université de Saint-Jacques-de-Compostelle, en Espagne.
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