• Émissions carbone et santé mentale, les conséquences néfastes de la mode
  • Le prix de la fast-fashion
  • Acheter moins mais (vraiment) mieux

Un mois sans acheter de vêtements neufs ? Tel est le défi que lance Oxfam en cette rentrée dithyrambique, alors que le Fashion Month est sur le point de battre son plein en bonne et due forme, une première depuis le climax de la pandémie, en mars 2020.

C’est en effet dans ce contexte mode que, du 1er au 30 septembre prochain, l’organisation internationale de developpement, engagée dans la lutte contre la pauvreté, les discriminations mais aussi la préservation environnementale, lancera la seconde édition de son #SecondHandSeptember, incitant les citoyen.ne.s éclairé.e.s du monde entier à adopter des modes de consommations durables et responsables.

S’informer au détour des talks organisés, prendre en photo sa nouvelle sape seconde main ou encore faire dons de ses anciens vêtements à l’une de leurs boutiques dépot-vente : tout est bon selon Oxfam pour protéger la planète. Car on le sait, acheter des vêtements, a un impact sur l’environnement.

« En achetant et donnant avec Oxfam, vous n’aidez pas seulement à combattre le changement climatique, mais votre argent contribuera à soutenir les personnes en situation de pauvreté. Par exemple, il sera réinvesti auprès de communautés au Bangladesh, un pays qui a été largement affecté par la chute de l’industrie retail durant la pandémie mais aussi par des catastrophes météorologiques imputables au changement climatique. » clame l’organisation sur son site internet.

La page web est agrémentée du témoignage de Zara, membre d’Oxfam et nouvelle « second hand maniac » qui, comme beaucoup de modeuses eco-friendly, n’a pas acheté un seul vêtement neuf depuis plus d’un an et arrêté définitivement la fast fashion. “J’ai toujours su que je voulais changer. Et je l’ai fait. Et 13 mois plus tard, je le fais toujours. » se réjouit-elle. Et on ne peut que l’applaudir.

Mais que se passerait-il concrètement si absolument tout le monde sur cette planète, ou du moins ceux qui ont l’habitude de changer de vêtements comme on change de chaîne de télévision, suivait le conseil d’Oxfam et arrêtait tout simplement d’en acheter ? À quoi ressemblerait le monde si, effectivement, le shopping, tel qu’on le connaît dans la majorité des pays à l’économie capitaliste développée, venait à disparaître ?

Émissions carbone et santé mentale, les conséquences néfastes de la mode

C’est la question troublante posée par J.B. McKinnon, journaliste canadien acclamé et auteur d’un nouvel ouvrage anti-consumeriste explicitement intitulé : The Day the World Stops Shopping: How ending consumerism gives us a better life and a greener world. Publié cette année en pleine apocalypse covidienne, l’essai ultra-documenté de l’écrivain à succès tente d’imaginer les tenants et aboutissants d’une société qui n’assimilerait pas le bonheur au compulsif acte d’achat et les citoyens à de vains consommateurs, notamment en matière de vêtements et autres possessions textiles.

Selon un rapport de 2017 de la fondation Ellen MacArthur, mettre un terme à la production de vêtements purement et simplement pendant simplement un an équivaudrait à stopper les vols internationaux et le fret maritime pendant la même durée.

Adieu donc les émissions de carbone, adieu les continents de plastique flottant au milieu des océans, adieu les alertes à la pollution de l’air : selon J.B. McKinnon le jour où le monde arrêtera net ses achats la nature reprendra ainsi ses droits et nous, notre santé mentale, nos esprits se trouvant ainsi (enfin) libérés des injonctions à une consommation addictive et des vanités socio-culturelles qui en découlent.

On ne fera plus la queue 3 jours pour un sweat au logo rouge et blanc floqué, on ne dépensera pas 1 S.M.I.C dans des baskets indéfiniment copiées et on ne conditionnera plus la réussite de sa vie à l’obtention d’un sac matelassé. On arrêterait de se comparer les un.e.s et les autres sur un mode classiste ou, pour les femmes, de penser nos tenues dans une perspective de validation mi-patriarcale, mi-capitaliste. On serait joyeuse et clairevoyante, en jogging all day-long, aptes enfin à cuisiner vegan et à méditer avec assiduité.

Quand vous achetez un t-shirt à la mode pour 4$ ou 2$, vous ne vous demandez jamais : « Comment le coton est-il cultivé, égrené, filé, tissé, teint, imprimé, cousu, emballé, expédié, le tout pour 4 $ ?

Ou pas.

Car dans le monde où les gens arrêtent subitement d’acheter, tout se casse aussi salement la figure. Les magasins, les usines et même les petits ateliers ferment, les chaînes de production s’arrêtent et des millions d’ouvriers, notamment dans les pays dont l’économie dependent entière de ce modele de consommation, perdent leur emploi et plongent dans une misère sociale et sanitaire dévastatrice. C’est le cas de la Chine, plus grand producteur de vêtements au monde, du Bangladesh, le second, dont un tiers des emplois manufacturiers et 85% des exports viennent de l’industrie textile.

Cette dernière représente 4 millions d’emplois, 60% d’entre eux étant occupés par des femmes. Si les pays du Nord arrêtaient de consommer les vêtements qu’ils et elles produisent, l’économie de ces pays et du monde entier s’effondrerait si gravement qu’elle ferait passer des crises comme celle de 2008 comme un simple petit coup de mou financier. « Ce serait un choc si grand qu’il semblerait plier le temps lui-même », écrit J.B. MacKinnon dans son ouvrage.

Reporter de terrain, le canadien est parti à la rencontre de multiples acteurs du secteurs dont Abdullah al Maher, directeur de Fakir Fashion, une usine de 12 000 ouvriers située à Dacca, au Bangladesh et qui fabrique des mailles pour des grands acteurs de la fast-fashion comme H&M, Zara ou encore C&A. Hors pandémie, la manufacture peut produire jusqu’à 200 000 pièces par jour.

Pourtant quand J.B. MacKinnon lui demande ce qu’il se passerait si les consommateurs du monde entier daigneraient enfin réduire leur consommation de vêtements pour le bien-être de l’environnement, le PDG ne semble pas spécialement dramatiser. « Vous ne savez, ce ne serait pas si terrible. » lui répond-il sans sourciller, dans une interview rapportée par Fast Company. Nous, par contre, en lisant ça, on est un peu paumée.e.

Le prix de la fast-fashion

« En ramenant la fast-fashion dans votre pays, vous faites aussi du mal à votre pays. » résume de manière laconique le chef d’entreprise, qui n’est pourtant pas sans savoir qu’avec la pandémie, aperçu plutôt réaliste de ce à quoi pourrait ressembler un monde à la consommation en suspens, près d’un million d’ouvriers ont été congédiés rien qu’au Bangladesh.

Si vous produisez des biens durables, vous avez encore besoin d’une main-d’œuvre considérable.

Mais, selon lui, le plus grand danger n’est pas de cesser ou, du moins, de ralentir notre façon de faire du shopping mais, au contraire, de ne pas trouver de moyen de le faire. Dans un monde où l’on a tous largement de quoi se vêtir, accélerer le volume annuel de tendances et par extension, la production incessante de vètements inutiles impulsée, ne peut se faire qu’au dépens des conditions de travail et de salaire des ouvriers qui les confectionnent, et des standards environnementaux que les usines sont censées respectées.

Autant de sacrifices que le Bangladesh ne cesse de payer depuis une vingtaine d’années, les enseignes de luxe et de fast-fashion ne cessant de les inciter à baisser leurs prix tout en intensifiant leurs cadences de production. « Quand vous achetez un t-shirt à la mode pour 4$ ou 2$, vous ne vous demandez jamais : « Comment le coton est-il cultivé, égrené, filé, tissé, teint, imprimé, cousu, emballé, expédié, le tout pour 4 $ ? » Vous n’avez jamais réalisé combien de vies vous touchez, tout simplement parce que ce que vous payez ne permet pas de payer leur salaire. » rappelle-t-il.

Acheter moins mais (vraiment) mieux

La solution ? Non pas de fermer definitivement le robinet à fringues du jour au lendemain comme la pandémie a pu le faire, mais de le ralentir de façon conséquente notre consommation globale, que ce soit en termes de vêtements mais aussi d’equipements, de voyages, d’énergie non renouvelables. Pour J.B. Mackinnon, il faudrait ainsi restructurer l’ensemble de la société sur plusieurs années et ainsi participer durablement à une réduction globale de ce que nous consommons.

Son chiffre hypothetique ? Moins 25%, « assez modeste pour être possible, assez sensationnel pour être bouleversant » avance l’auteur, notamment pour les producteurs textiles pour qui cette transition serait sans conteste douloureuse, mais pas impossible.

Le secret d’une révolution successful ? La confection de produits de qualité, réparable et , par extension, dotée d’une durée de vie extirpée de tout concept d’obsolescence programmée. « Si vous produisez des biens durables, vous avez encore besoin d’une main-d’œuvre considérable. Ensuite, il y a le marché de l’occasion, la réparation de produits, la reprise d’articles et leur recomposition en de nouveaux produits », explique-t-il lors d’une interview accordée au Guardian.

Selon Abdullah al Maher, le directeur de l’usine de Dacca, il est ainsi peu probable que les 6 000 usines du pays puissent dans ce contexte garder l’ensemble de leurs employés. « Peut-être qu’il ne devrait y avoir que 4 000 usines, voire 3000. » admet-il. Mais elles seraient à même d’offrir des salaires décents, de polluer moins et d’assurer une concurrence loyale, basée sur la qualité et non plus l’appat du gain ou la rapidité. » explique-t-il sur Fast Company. « Ce ne serait pas une course de rats, ce serait une vraie course. »

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