Au-delà du champ médical, la prostate se dévoile au grand jour et est mise en valeur lundi 20 septembre, en marge d’une journée européenne dédiée. Sous-estimé et méjugé, le plaisir sexuel qu’elle peut offrir fait désormais l’objet de nombreuses publications, tutoriels et podcasts. Jusqu’à faire miroiter un espoir d’équilibre entre les sexes.

Sa forme est ronde. On la compare souvent à une châtaigne mais elle peut doubler de volume au fil des années et se transformer en pamplemousse. Si on la caresse bien, un désir s’exauce. Si l’histoire peut paraître merveilleuse, elle est bien tirée de faits réels. Elle rapporte les plaisirs insoupçonnés de la stimulation de la prostate, cette glande appartenant au système génital masculin, à l’honneur d’une journée européenne ce lundi 20 septembre. En plus de jouer un rôle majeur dans la fabrication et la propulsion du liquide séminal lors de l’éjaculation, cet organe s’avère une zone érogène prometteuse, à portée d’index ou d’objets érotiques.

C’est tout le propos de la chroniqueuse et spécialiste de la sexualité Maïa Mazaurette qui a fait l’apologie des vertus de la stimulation prostatique en septembre 2020 sur le plateau de l’émission Quotidien sur TMC. Une première à une heure de grande écoute à la télévision.

Un tabou persistant

Ricanements, regards fuyants… Sur le plateau, la gêne est palpable parmi les hommes, comme chez les téléspectateurs on l’imagine. Car à moins d’être un sexologue amateur, la pratique reste encore taboue chez les hétérosexuels. «Toute la zone allant du périnée à l’anus n’est pas investie par réflexe hygiéniste mais surtout parce qu’on pense qu’elle est réservée aux homosexuels, souligne le psychanalyste et psychothérapeute Alain Héril, auteur de L’Orgasme thérapeutique (3). Ici, on confond pratique et orientation sexuelle.»

Ladite pratique «est d’autant plus difficile à assumer face à la montée en puissance des mouvements « masculinistes » qui ne veulent pas s’éloigner du modèle archaïque traditionnel», note la sociologue du masculin, Christine Castelain Meunier, auteure de Les hommes aussi viennent de Vénus (1).

Une curiosité nouvelle

Si le tabou persiste, le plaisir prostatique sort tout de même progressivement de l’ombre ces dernières années. D’abord par le fruit d’un accident : l’invention du premier masseur prostatique médical au Texas, l’Aneros, destiné à l’origine à diminuer les prostatites (inflammation de l’organe, NDLR), les hypertrophies et à prévenir le risque de cancer de la prostate. Grâce à l’écho d’un patient émoustillé par cet objet vibrant en forme de T, la sexothérapeute Nathalie Giraud Desforges comprend dès 2004, comme d’autres patients, que «la thérapie conduit au plaisir». Elle devient alors la première distributrice française des produits Aneros. Et depuis quatre ans, elle met en place des ateliers d’exploration de la prostate à Paris avec le blogueur sexo Adam, suscitant une curiosité nouvelle. «Les jeunes de moins de 30 ans s’y intéressent, ils en parlent plus ouvertement, raconte la sexothérapeute. C’est une génération née avec Internet qui a davantage accès à l’information autour de la sexualité masculine et sait comment la chercher.»

En vidéo, désir sexuel : paroles d’experts

« Deux heures incroyables »

Autrefois ignorée, la prostate s’expose et se démystifie sur la Toile, prenant une revanche, semblable – dans une bien moindre mesure – à celle du clitoris, cheval de bataille des femmes depuis plusieurs décennies. «Ce mouvement des hommes en prend le même chemin, sans se baser sur le registre ancien de la guerre des sexes ni de la prédation, note le psychanalyste Alain Héril. Ils veulent aboutir à un message commun : il existe une autre manière de concevoir la sexualité, dans la joie, la bienveillance et le consentement.» Sur Instagram par exemple, les comptes @tubandes (157.000 abonnés), @misterorgasme ou encore @lesgarconsparlent vulgarisent la sexualité masculine et font entendre les voix de ceux qui veulent s’affranchir du mythe de l’homme viril, dominateur et insensible au lit.

«C’est comme un bon pote qui te raconte son expérience», assure M’sieur Jérémy, créateur de contenus, notamment de vidéos critiques de sextoys sur Youtube. Les stimulateurs prostatiques y sont mis en avant, à l’instar de l’Aneros qui rencontre désormais un franc succès dans l’industrie pour adultes. «Depuis 2012, nos ventes ont augmenté d’environ 70%. (…) C’est la catégorie à la croissance la plus rapide», confirme Forrest Andrews, responsable produit de la marque auprès de nos confrères de Rue 89.

Il faut dire que le jeu en vaudrait la chandelle, à en croire les témoignages de certains internautes. On ne tarit pas d’éloges sur les bienfaits du petit T vibrant sur la fameuse «zone P». «Mon corps entier commençait à convulser comme jamais», «une vague de plaisir remontée en moi pour éclater au niveau de ma tête», «deux heures incroyables»… Voici un florilège des réjouissances à retrouver dans le Traité d’Aneros, écrit par le blogueur Adam et disponible en accès libre.

Une méconnaissance du corps

«Quand on m’a raconté cet orgasme, j’ai eu l’impression qu’on m’avait caché un truc 100 fois mieux que le reste et que je n’y avais pas accès car j’étais hétéro, se souvient Cookie Kalkair, dessinateur. C’était faux, la culture patriarcale nous a enfermés dans notre propre cage.» Ironie du sort, alors qu’ils en détenaient le pouvoir, les hommes ne maîtrisent pas leur propre sexualité. «À cause de leur éducation, ils sont des handicapés émotionnels, étrangers à eux-mêmes et concentrés uniquement sur leur pénis», résume la sociologue Christine Castelain Meunier. Or cette ignorance de son propre corps s’avère problématique. «Les hommes qui ont des varices ne montrent jamais leurs jambes à leur médecin alors qu’ils s’exposent à des maladies cardio-vasculaires», illustre la spécialiste du genre.

Face à cette méconnaissance, Cookie Kalkair publie le blog Pénis de Table, transformé en 2018 en bande-dessinée (2). Il y met en scène une discussion informelle entre sept hommes, aux orientations sexuelles diverses, autour de la sexualité masculine. «Cette parole masculine ne s’inscrit plus dans un rapport de compétition, de comparaison mais d’échange», observe le sexothérapeute Alain Héril.

https://instagram.com/p/BSI6y0lD5AX

Le dessinateur en est conscient, il fait partie d’une poignée de privilégiés à regarder plus loin que leur pénis. «Le décloisonnement des mœurs et les réflexions autour de la « transidentité » touchent davantage les jeunes hommes diplômés des grandes villes, analyse Christine Castelain Meunier. Ils aspirent désormais à être eux-mêmes, connaître leurs désirs et orienter leurs choix indépendamment des stéréotypes et des injonctions.» «Les hommes jouent depuis toujours avec leur extériorité, leur pénis, aujourd’hui il est temps de se réapproprier l’intériorité», renchérit la sexothérapeute Nathalie Giraud Desforges.

Des femmes à l’initiative

Comble de l’histoire, ces derniers ont profité d’un sacré coup de pouce de la part des femmes. Ce sont elles qui introduisent à 22%, selon une étude Ifop publiée en 2019, un doigt dans l’anus de leur partenaire, elles aussi qui achètent à 75% l’ouvrage Pénis de Table, elles qui demandent également à M’sieur Jeremy quel sextoy acheter à leur conjoint pour la Saint-Valentin, elles encore qui s’emparent de la plume ou du micro dans les médias, à la télé ou sur un podcast (On The Verge, Les couilles sur la table) pour aborder l’intimité masculine avec un regard très décomplexé. «Nous sommes les initiatrices du plaisir prostatique et d’une certaine manière, nous en donnons l’autorisation à ces derniers, avance Nathalie Giraud Desforges. Les hommes en avaient besoin car la morale, le regard de leurs pairs, le manteau de la honte de notre société s’est évertué à stigmatiser les caresses et la pénétration anale».

Renverser le rapport de domination

Face à cette évolution des mentalités, timide mais encourageante, le couple peut tirer son épingle du jeu. «La littérature démontre que le plaisir prostatique est le seul moyen pour les hommes de comprendre le plaisir féminin. Et en parallèle, la femme s’octroie le droit de pénétrer. Cela renverse le rapport de domination, une vraie nouveauté dans l’hétérosexualité», poursuit Alain Héril. «On assiste à une sorte de réconciliation entre les genres», conclut Nathalie Giraud Desforges.

Dans son livre Au-delà de la pénétration (4), l’écrivain Martin Page l’illustre parfaitement. «Les hommes ne sont pas encore nés. Ça prendra du temps», écrit-il. Avant d’ajouter quelques lignes plus bas : «Un jour, on pourra dire, sans s’attirer moquerie, réprobation ou pathologisation : « J’ai pénétré mon copain allongé sur la table de la cuisine avec un masseur prostatique et c’était très beau. »»

(1) Les hommes viennent aussi de Vénus, par Christine Castelain Meunier, éditions Larousse, 230 pages, 16,95 €.
(2) Pénis de Table, par Cookie Kalkair, éditions Steinkis, 177 pages, 19 €.
(3) L’Orgasme thérapeutique, quand le plaisir chasse la douleur, par Alain Héril, éditions Grancher, 168 pages, 16 €.
(4) Au-delà de la pénétration, par Martin Page, éditions Nouvel Attila, 160 pages, 10 €.

* Cet article, initialement publié le 30 novembre 2020, a fait l’objet d’une mise à jour.

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