Aujourd’hui à la retraite, cette alpiniste chevronnée a dû batailler pour s’imposer dans un univers totalement machiste.
Restez informée
Qu’est-ce qui vous a poussée à passer d’alpiniste amatrice à guide de haute montagne professionnelle ?
M. R. Je voulais vivre de ce métier. J’étais la première femme à tenter de le faire en 1979. Je ne suis pas partie sur une démarche féministe mais quand je me suis retrouvée à l’examen, qui est public, il y avait beaucoup de gens autour, des journalistes et des guides de Chamonix. Ça a été très déstabilisant : je n’étais plus une candidate anonyme. J’étais là, avec mes tresses, au milieu des garçons. Tout a bien fini mais je me suis rendu compte qu’il y avait des gens très opposés à l’idée qu’une femme devienne guide et l’un d’entre eux a tout fait pour que je rate mes examens. Il a fallu que je me blinde. Les stages de formation qui ont suivi ont aussi été des mises à l’épreuve. Les premiers jours, le professeur qui était avec moi ne me faisait pas confiance, il a fallu que je prouve que j’étais capable de passer en tête dans une cordée. Après, ça a été plus facile, j’ai été acceptée.
Le monde de l’alpinisme, notamment à Chamonix, semble très machiste…
M. R. Les guides de Chamonix à la fin des années 1970, ce n’étaient que des hommes de la vallée. Et pour eux, l’alpinisme, c’était Chamonix. À Briançon, j’étais dans un milieu moins fermé. Les guides m’ont accueillie sans problème. C’était plus jeune. C’est quand même une question de génération : les anciens ont plus difficilement accepté l’arrivée d’une femme. Les jeunes avec qui j’allais grimper n’avaient pas de problème : j’étais comme eux.
Votre exemple a-t-il été suivi ? Y a-t-il beaucoup de femmes guides de haute montagne ?
M. R. Non. Une trentaine sur 1 800. Les choses ont évolué très lentement. Il a fallu attendre une dizaine d’années pour qu’une deuxième femme entre dans le métier. Maintenant, chaque année, il y en a une ou deux par stage. Les choses s’améliorent mais c’est aussi une question de motivation. Est-ce que beaucoup de femmes veulent faire ce métier ? Les choses ont changé, quand même. En escalade, on voit souvent des femmes devant. En alpinisme, il y en a aussi qui sont premières de cordée et le niveau s’est amélioré.
Quelles sont les montagnes qui vous ont le plus marquée ?
M. R. L’expérience du mont McKinley* pendant vingt jours avec mon mari, en Alaska, a été quelque chose de très fort. Vous êtes dans un endroit complètement isolé, où on vous dépose avec un petit avion à trente kilomètres du pied de la montagne. Il faut l’atteindre à skis, remonter une vallée glaciaire très dangereuse avant d’arriver au pied de la montagne, où il faut faire l’ascension des 3 000 mètres avant de redescendre par un autre itinéraire. On s’est retrouvés coincés par le mauvais temps, on installait la tente dans les crevasses en attendant que ça passe. Après, il y a l’Himalaya, qui est une autre dimension. Les montagnes sont gigantesques, les glaciers phénoménaux. Quand on arrive au sommet du Broad Peak à plus de 8 000 mètres, on voit des montagnes et des glaciers à l’infini. C’est un sentiment extrême où l’on se sent totalement insignifiant. Mais il faut redescendre. Tant que vous n’êtes pas redescendu, vous n’avez pas l’esprit tranquille.
On imagine quand même une forme de plaisir intense. Comment le décririez-vous ?
M. R. C’est difficile de parler de plaisir. Souvent, c’est une souffrance. En altitude, on n’est pas très bien. On dort mal, on a mal à la tête, on n’a pas très faim. Marcher sans oxygène est très pénible. Le plaisir, on le ressent quand on redescend. On se sent bien au niveau physique. Il y a un relâchement. Avoir réussi vous fait vous sentir sur un petit nuage.
L’Everest ne vous a jamais tentée ?
M. R. Non. Il y a trop de monde. C’est très cher. Tout est équipé, il y a des sherpas qui aident les gens à monter et qui portent les sacs. Permettre à des gens qui ne sont pas bons mais qui ont de l’argent de faire de l’alpinisme, ce n’est pas comme ça que j’aime la montagne. Sur le mont Blanc, c’est un peu pareil. Les gens veulent faire des sommets prestigieux. Ça ne m’intéresse pas. Des montagnes, il y en a des milliers. Pourquoi aller tous sur les mêmes ?
* Rebaptisé mont Denali en 2015, son nom traditionnel issu des langues amérindiennes.
A lire aussi :
⋙ Road trip : le meilleur itinéraire au cœur des Alpes suisses
⋙ Les Alpes : le plein de sensations !
⋙ 6 idées d’escapade nature en montagne
Source: Lire L’Article Complet