Annette, de Leos Carax, comédie musicale qui flirte avec la tragédie et le surnaturel, ouvre le Festival de Cannes. L’actrice y joue une cantatrice face à Adam Driver. Pour nous, devant l’objectif, elle incarne des héroïnes d’opéra et se confie comme jamais. Rencontre avec une star pas diva.

Tôt le matin, un studio photo parisien. Marion Cotillard, visage de nacre et regard d’opale, sans une trace de maquillage, ressemble à une adolescente. Elle fait du cinéma depuis plus de vingt-cinq ans. Une filmographie intelligente, qui aligne autant de films français dits d’auteur que de blockbusters dans la grande tradition hollywoodienne. Dans Annette, le sixième film du rarissime Leos Carax, elle joue Ann, une cantatrice d’opéra lumineuse et adulée. Entre deux triomphes internationaux, Ann, si peu diva, mange des pommes, change de look, trouve le temps de tomber amoureuse de Henry (le très physiquement menaçant Adam Driver), comédien de stand-up célèbre lui aussi mais dont la carrière va irrémédiablement s’effilocher. Ils sont les parents d’Annette, une fillette mystérieuse qui, malgré elle, va sceller le destin de ce couple maudit.

Annette est un conte cruel sur la célébrité, une parabole sur l’ego, mais avant tout une comédie musicale opératique chantée en live devant la caméra, et non en play-back comme c’est généralement l’usage. Un nouveau rôle à performance pour qui, elle, avait quelques longueurs d’avance : elle sait chanter (on se souvient de Nine, où elle remportait la mise) et est parfaitement à sa place dans ce film étrange, poétique et surdimensionné, dont la partition musicale (éblouissante) est signée des Sparks. Ce film-événement ouvre le Festival de Cannes le 6 juillet. Une nouvelle étape dans la vie et la carrière de cette actrice remarquable qui fait son retour sur un territoire qui lui est cher, le cinéma d’auteur. Fidèle à sa dualité, elle a depuis enchaîné Astérix et Obélix, l’empire du milieu (elle joue Cléopâtre devant la caméra de Guillaume Canet, son compagnon), et Frère et Sœur, d’Arnaud Desplechin, qu’elle retrouve pour la troisième fois.

En vidéo, la bande-annonce d' »Annette », de Leos Carax

Leos Carax

«Sur le plateau, j’ai découvert un homme dont l’énergie de l’enfance est très présente, avec beaucoup d’humour. Énigmatique aussi. J’étais adolescente quand j’ai vu la première fois Les Amants du Pont-Neuf. J’allais beaucoup au cinéma et je voulais déjà devenir actrice. Je me souviens très bien de l’aura sulfureuse d’un film estampillé “maudit” : on parlait d’énorme dépassement de budget et du tempérament singulier de son réalisateur. En réalité, je l’ai appris plus tard, il s’agissait simplement d’un grand créateur qui avait rencontré toute une série d’obstacles et se débattait pour mener à bien son projet. Je me souviens aussi de la performance de Juliette Binoche, une actrice qui représentait une source d’inspiration pour moi : sa manière de travailler, du moins ce que j’en lisais, son incandescence, son investissement total, tout cela résonnait en moi. Je regardais ça avec passion car c’était exactement là où je voulais aller, même si je ne savais pas vraiment comment m’y prendre : je ne me suis jamais dit que c’était inaccessible, ni possible non plus…»

Actrices

Body en velours et sandales Chanel.

«Mes parents sont comédiens et professeurs de théâtre : à travers leur exemple, j’ai toujours su que le travail est la composante essentielle. Je me souviens aussi avoir lu il y a longtemps une biographie de Romy Schneider, dont j’admire la puissance du don, qui disait à peu près : “Je travaille mes rôles de 50 façons différentes, et même si la première est la bonne, elle sera chargée du chemin des 49 autres.” C’est quelque chose que je partage complètement : la construction et l’exploration d’un personnage. Il y a plusieurs profils d’actrices : certaines qui se “brûlent” et les autres, celles qui parviennent à se détacher en rentrant à la maison. Je crois que je me situe à mi-chemin. Partager sa vie avec un personnage n’est pas anodin et m’affecte. Il est compliqué de plaquer les contours d’un personnage au périmètre d’un plateau de cinéma et de ne pas le ramener chez soi à la fin de la journée. Depuis que je suis mère, j’ai délimité des espaces cloisonnés pour préserver mes enfants, tant les personnages que je visite sont sombres et peuvent influer sur mon humeur. Les personnages les plus envahissants ? Ceux de La Môme, de Lady Macbeth et de Deux Jours, une nuit. Tout débordait. Il y avait beaucoup moins de joie et de lumière en moi…»

Veste et longue jupe en jean imprimé, Chanel.

«La question de l’accomplissement, de la reconnaissance, du regard des autres est récurrente dans ma vie. Je considère ça comme une pathologie, mais aussi comme un moyen de se réconcilier avec son ego. Tout le travail que j’accomplis aujourd’hui avec moi-même vise à cela, à ce que la reconnaissance vienne de moi. Dans mon intimité, il m’arrive d’y arriver. Dans le travail, c’est plus compliqué, je suis très exigeante, très dure avec moi-même… Lorsque j’ai reçu l’Oscar, j’ai savouré pleinement ce moment, cela m’a rendue heureuse, mais cette forme de reconnaissance n’est pas pérenne. Et la compétition me déstabilise. Je ne l’ai jamais vécue joyeusement, elle m’a toujours questionnée. C’est dérangeant et, en même temps, je me prête au jeu puisque je n’ai jamais refusé un prix. En revanche, je ne suis pas envieuse : j’aime profondément les actrices et je suis sincèrement heureuse quand elles s’accomplissent. Voir des films que j’ai pu refuser transcendés par d’autres me remplit de joie. Par ailleurs, je ne considère plus l’ambition comme un gros mot. L’ambition, ce n’est pas écraser les autres, c’est dépasser ses limites. C’est donc un très bon moteur énergétique.»

La célébrité

«Au moment de Taxi, j’ai été regardée avec un peu de condescendance par certains dans ce métier. Je ne suis pas arrivée au cinéma dans le bon film d’auteur qui met tout le monde d’accord mais dans une comédie populaire. Je n’étais sans doute pas prise au sérieux comme je voulais l’être. La célébrité reste toujours déstabilisante. Être reconnue et dévisagée dans la rue n’est pas normal, même si on s’habitue et qu’on partage souvent de beaux moments avec les gens. Mais elle crée aussi un décalage entre ce qu’on est et ce que les gens projettent sur vous. J’ignore de quelle façon je suis perçue, mais probablement pas comme je suis. Mes rôles dramatiques et les images de magazine ont sans doute créé une distance, une froideur dans laquelle je ne me reconnais pas. Cependant, j’entretiens une relation très saine avec mon ego, même si tout cela est fragile. Et puis, il a traversé des moments difficiles. J’ai pu être maladroite dans mes propos et je l’ai payé très durement. Faire à l’époque la couverture de Charlie Hebdo, un journal que j’adorais, avec ce sous-titre : “24 conneries par seconde”. Cette période a été extrêmement douloureuse. Du coup, je suis très anxieuse lorsque je suis interviewée à la télévision, par exemple. J’ai toujours peur de rater une marche. Un mot mal choisi, et c’est toute la machinerie des réseaux sociaux qui s’emballe. Du coup, la peur m’empêche parfois d’être naturelle.»

Serre-tête bijou et débardeur, Chanel.

«Annette parle aussi de ça : de parents célèbres, toxiques vis-à-vis de leur enfant. Dans le film, la situation est destructrice. Décider que son enfant accomplira ce qu’on n’a pas pu accomplir soi-même est une profonde déviance : c’est considérer qu’il n’est pas un être entier, mais une prolongation narcissique de soi. Évidemment, il y a plein de moments où je me sens coupable vis-à-vis de mes enfants, mais comme toutes les mères, pas seulement les actrices. Je suis très attentive à préserver la cellule familiale, mais il arrive que le métier empiète sur ce sanctuaire privé. Mais c’est vrai pour tous les métiers : qu’on soit chef d’entreprise ou ouvrier, si on a passé une mauvaise journée, il est vraisemblable qu’on rapporte à la maison une frustration ou une colère qui peut s’exercer contre ceux qu’on aime. Mais les actrices ne sont pas les plus mal loties : elles ont le luxe immense de pouvoir choisir quand elles travaillent et de passer parfois trois mois en continu avec leurs enfants. Le mythe de la star débordée et exténuée, et donc mauvaise mère, est totalement caduc.»

Ma mère

«Ma mère est une des femmes les plus admirables que je connaisse. Je sais qu’elle accepterait que je parle de ça : elle a été une enfant battue. Tabassée même, tous les jours, par son père, mon grand-père. Je porte cette blessure en moi, comme elle l’a portée. Je sais qu’il reste des traces, c’est inscrit dans ma mémoire cellulaire. Ma mère, pour revenir à elle, s’est attelée à nettoyer “ça”. C’est grâce à elle que j’ai découvert des thérapies qui m’ont aidée à grandir, c’est grâce à elle que je continue de grandir, car elle n’a jamais arrêté le chemin de la réconciliation avec elle-même. Nos ancêtres nous transmettent des pathologies que nous transmettons sûrement à nos enfants. Mais ils trouveront leurs propres clés et leurs propres chemins. Je sais que les seules choses qui m’empêchent aujourd’hui d’être entièrement libre sont les choses que je n’ai pas tout à fait nettoyées, mais j’avance. Ce travail sur soi n’a rien d’égocentrique : apprendre à s’aimer est mon moyen de mieux vivre avec les autres. Si on veut sauver le monde, commençons par nous regarder avec amour. Le partage commence comme ça…»

Annette, de Leos Carax. Sortie le 6 juillet. BO du film par les Sparks, chez Milan Records/Sony Masterworks.

Bigger Than Us, de Flore Vasseur, un documentaire écologiste coproduit par Marion Cotillard, sortie le 22 septembre.

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