On aime ses parents, on aime ses enfants, de façon inconditionnelle, croit-on. Sauf qu’on projette sur nos proches des attentes qui se révèlent parfois bien irréalistes. Comment dépasser ce sentiment de déception?

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La déception est une expérience vécue par la plupart des familles. Pour les parents qui découvrent leur nouveau-né, elle peut prendre le nom « d’étonnement » quand l’enfant ne correspond pas à celui qu’ils s’étaient imaginé. Ou, plus tard, lorsque la progéniture parfaite se transforme en adolescent « ingrat » et se tourne vers d’autres modèles. De son côté, l’enfant va élaborer vers 5-6 ans son « roman familial » et fantasmer sur une autre ascendance que celle de ses parents, afin d’ouvrir un espace où s’inventer autrement. « La déception fait partie du processus d’évolution », assure Charlotte Wils, coach et thérapeute. Mais, parfois, la déception s’enkyste dans la famille et nous fige dans ses attentes déçues. Comment en sortir pour aller de l’avant, évoluer et nous accomplir, c’est-à-dire remplir « notre mission vitale d’être humain » ? Témoignages et explications.

« J’ai déçu mon père, et réciproquement ! »

Marc, 50 ans, psychologue pour enfants.

« Mon père a toujours dit que j’étais « né chiant ». Peut-être attendait-il un demi-dieu ! C’est un érudit exigeant et impatient. Enfant, quand j’étais fier de ce que j’avais appris, il répondait : « Enfin quoi, tout le monde sait ça à ton âge ! ». A l’inverse, il a toujours été comme un poisson dans l’eau avec les enfants de ses amis qui sollicitaient son savoir. Il leur donnait son temps, tissait avec eux des liens paternels. Cela m’a longtemps anéanti, je suis devenu insupportable et provocateur. Ce qui l’accablait, mais au moins je l’inquiétais : un bon moyen d’être dans ses pensées ! Tout cela, c’est en analyse que je l’ai compris, après avoir mis des mots sur ce que je ressentais : ma profonde déception à l’égard de cet homme qui, en se voulant si grand aux yeux des autres, s’était rendu si petits aux yeux des miens. Je ne lui en ai jamais parlé. J’ai grandi. Régler mes comptes lui ferait de la peine et, à ce stade, ce serait anachronique, donc régressif. »

« Mes parents étaient aussi charmants qu’immatures »

Sonia, 45 ans, entrepreneuse, deux frères.

« Jeunes, mes parents étaient bourrés de charme et entourés d’amis. Nous étions une famille heureuse. En grandissant, on a compris qu’ils étaient un peu enfants gâtés par l’argent de leurs familles, avec lequel ils vivaient pour l’essentiel. Ils ne savaient pas se battre quand c’était nécessaire, et ça l’a été assez vite, quand la manne familiale s’est épuisée. Au détriment de nos études, on a bossé très tôt. Nous pouvions ainsi les aider. Mais ça n’est jamais assez. Parfois, nous leur demandons des conseils, du soutien. En fait, ils n’ont jamais mémorisé en quoi consistait notre job à chacun. En les sollicitant, je crois que nous cherchions surtout à leur donner la chance de prendre leur place de parents, en vain… Malgré ces parents aussi adorés que décevants, nous avons à peu près réussi nos vies. Sauf quand qu’il s’agit de réaliser un vrai désir : un sentiment d’illégitimité nous barre encore la route. »

« Sous des dehors bohèmes, ma famille avait un esprit sectaire »

Sandra, 50 ans, cadre en entreprise.

« Je viens d’une famille d’artistes plutôt bohèmes. J’ai grandi librement dans les vieilles pierres, au milieu de la nature et des chevaux. Nous étions fauchés mais authentiques, en gros ! Un jour, j’ai invité des amis du collège et ils ont été passés au crible : untel était un petit bourge coincé, unetelle était vulgaire avec ses yeux maquillés, le père d’un autre avait la voiture d’un représentant de commerce… Humiliée, j’en ai beaucoup pleuré. Je n’ai plus vue ma famille comme un modèle et cela me perturbait : je ne me sentais plus libre d’être qui je voulais. Je craignais leur sentence arbitraire si mes choix ne rentraient pas dans leurs critères. Alors que j’étais douée pour les responsabilités, j’ai démissionné de plusieurs boîtes parce que je n’assumais pas de bosser dans un tel cadre. Bizarrement, c’est à la mort de ma mère que j’ai pu mener ma barque. »

L’avis du psy

Charlotte Wils, coach, thérapeute et co-auteur avec le psychanalyste Savério Tomasella de Faire la paix avec sa famille, aux éditions Larousse

Pourquoi est-on déçu par sa famille ?

Dès le départ, la famille est un lieu d’attentes : de reconnaissance, d’affection, de valorisation, d’entraide. D’attentes, donc de déceptions. Car la famille est aussi un lieu d’idéalisation et nous pouvons être profondément déçus par des comportements, des indifférences, voire le déni de ceux qui sont les plus proches. Plus les attentes sont élevées, de part et d’autre, plus la déception est grande.

Comment peut-on dépasser ce sentiment et aller de l’avant ?

Tout d’abord, en reconnaissant ce sentiment, puis en acceptant de passer par un processus de deuil de ses illusions, attentes et croyances. Cela va prendre du temps, il y a des phases à traverser (choc, déni, colère, tristesse, etc.). L’important, c’est de ne pas rester là où on est tombé, de se relever et d’avancer.

Vous dites « ce n’est pas grave d’être déçu ». Pourquoi ?

Parce que cela fait aussi partie du processus d’évolution. Nous pouvons regarder la déception de deux manières : soit comme une frustration, soit comme un nouveau départ et une occasion de grandir. On a la possibilité de choisir. Pour être nous-mêmes, il est nécessaire d’accepter de décevoir nos proches chaque fois que nous ne sommes pas comme ils souhaiteraient que l’on soit. De sorte de ne pas se laisser enfermer dans la vision qu’ils ont de nous.

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