Reese Witherspoon, Emma Watson, Oprah Winfrey, Lena Dunham, Sarah Michelle Gellar, Emma Roberts, Sarah Jessica Parker… On ne compte plus le nombre de célébrités féminines qui ont lancé leur propre Bookclub, fédérant ainsi lecteurs et lectrices autour d’ouvrages stimulants, best-sellers, classiques et autres must-read.

Mais pas la peine de traverser l’Atlantique pour tutoyer ce lectorat. En France aussi, la tendance du club de lecture ne s’est pas tarie. Loin de là même. Depuis quelques années, journalistes, bibliothécaires et autres amoureuses du livre n’hésitent plus à lancer leur club de lecture féministe.

Qu’il prenne place dans une médiathèque, un café ou un appartement, c’est l’espace rêvé pour partager ses derniers coups de coeur, faire des rencontres (entre soeurs ou adelphes) et, bien évidemment, débattre de sujets à la fois militants, culturels et persos sans attirer sur soi la malveillance des réseaux sociaux.

Un club de lecture féministe, c’est donc tout cela, et pas seulement.

« Organique, informel et chill ! »

« Ce n’est pas un Bookclub comme celui d’Emma Watson ou Oprah ! », sourit justement Arièle quand on l’interroge sur son Club lancé il y a tout juste quatre ans suite à une publication Facebook : le Feminist Bookclub. Pas vraiment à l’américaine malgré l’intitulé, le lieu d’interactions fondé par la jeune journaliste se définit comme un espace « plus organique, informel et chill ».

Ses membres, des femmes en grande majorité et la trentaine en moyenne, répondent aujourd’hui au nombre de 145 (excusez du peu). L’orga ? Elle est limpide comme un incipit : ces bibliophiles se réunissent sur une page Facebook dédiée, et Arièle convient via un sondage d’une date pour ce rendez-vous du mois, qui prendra place dans son appartement parisien.

Chacune présente dès lors a tour de rôle les livres qu’elle a amenés pour donner aux autres (ou pas) le goût de lire. 500 livres ont déjà pu défiler dans ces lieux – mais « beaucoup de doubles », nous souffle son instigatrice.

Informel, car les règles n’ont rien d’un Fight Club (ses membres lui préféreront volontiers le formidable Fight Club féministe de Jessica Bennett), chill, car la dimension détente, gâteaux et thé/café importe pour bien savourer un livre. Et organique, car c’est bien cela qu’incarne la tradition du club de lecture au féminin. Bien antérieur à l’ère Instagram (on en trouvait déjà durant la Révolution française), le bookclub féministe porte en lui un ADN synthétisable en quatre concepts : lectures, discussions, découvertes, transmission.

Aux antipodes des « boysclub » et fraternités, ce n’est pas l’entre-soi, mais l’élan vers l’autre qui est privilégié. « Il s’agit d’amener le savoir à des personnes qui n’avaient pas forcément accès à ces lectures-là. Des gens que je ne connais pas ont pu débattre des livres mais aussi des thématiques féministes, ce qui n’est pas forcément possible dans leur entourage proche. C’est un vecteur de lien social « , nous assure à ce titre Arièle, qui voit en tous ces rendez-vous conviviaux « un prétexte pour parler de plein de sujets, très intimes, politiques, culturels, philosophiques, des portes d’entrée merveilleuses à la discussion ».

Comme une révolution douce enflammée par la curiosité.

Débats façon « Apostrophes », mais pas que

Une curiosité qui fait la force de ces clubs amateurs où parler de livres, c’est déjà parler de tout. C’est ce que nous explique Marie, adhérente au Feminist Book Club. La jeune femme perçoit en ce lieu un « safe space », autrement dit un espace sécurisé, où la parole est soutenue, et encouragée. « On y discute de féminismes, de vécus de femmes aussi. Je me souviens d’une discussion qu’on a eu à propos de nos mères et de la manière dont on les sensibilisait au féminisme, quels livres on leur avait fait lire… », se remémore notre interlocutrice.

Celle qui a eu pour habitude de passer et emprunter des bouquins dans cette zone de « non-mixité involontaire » (peu d’hommes ont répondu présent en quatre ans) se souvient même d’un débat stimulant sur cette grande question théorique : qu’est-ce qu’un livre féministe ? « On en est venues à la conclusion que ce n’était pas forcément un livre écrit par une femme et qu’une femme pouvait très bien écrire un livre qui n’est pas du tout féministe », se rappelle-t-elle. Manière comme une autre d’interroger le fameux « regard féminin ».

S’y déploient des débats littéraires plus ou moins pointus façon Apostrophes donc, mais pas que, puisque les papotages portent tout aussi bien sur « la sexualité, les applis de dating », surenchérit la créatrice du Club.

Une polyphonie qui réjouit Nolwenn, l’une des membres fondatrices d’un club de lecture féministe mixte et gratuit lancé à Rennes. Depuis trois ans, ce rendez-vous breton se perpétue au sein de la vaste bibliothèque des Champs Libres. « Ces séances sont mixtes aussi bien en genres qu’en générations, c’est un espace inclusif, ouvert aux ‘novices’ et curieux·ses. Chacun·e peut venir à sa guise avec ses dernières lectures sur lesquelles iel a envie de partager : essai féministe, roman porté par une héroïne, auto fiction d’une autrice », détaille la co-instigatrice.

Et la discussion en groupe de généralement dériver vers l’actu et la pop culture féministe la plus globale : podcasts, séries, films, et autres joyeusetés. « Nos discussions sont aussi variées que les mouvements féministes actuels : afroféminisme, écoféminisme, identités de genre », développe encore Nolwenn. Ça fait envie.

Au fond, le club de lecture se fait la chambre d’échos d’un éveil sociétal aussi individuel que collectif, qui une fois les livres reposés pourra volontiers se perpétuer dans la rue, lors des manifs et des marches, ou sur les réseaux sociaux, à travers l’activisme digital. Une conscience sororale se meut entre deux évocations de poétesses ou de romans graphiques.

Les Clubs à l’heure du Covid

Mais que deviennent donc ces Clubs à l’heure du Covid-19 ? Eh bien, malgré la fermeture des cafés et des lieux culturels jugés « non essentiels », l’application de la distanciation sociale et l’interruption des retrouvailles amicales depuis des mois déjà, ils subsistent. Ou plutôt, survivent. Sous forme d’échanges numériques, ou l’espace de quelques conversations Zoom ou Skype groupées, initiées sur Facebook ou WhatsApp.

Arièle a observé que les membres de son Bookclub étaient plutôt motivé·e·s à l’idée de s’évader par la littérature lors du premier confinement. Depuis, l’enthousiasme s’est un peu tari, la fatigue et la lassitude ayant volontiers remplacé l’inquiétude et la solidarité. « Mais je ne m’inquiète pas trop, ça reviendra », positive la lectrice. « Ce qui est relou c’est qu’on s’échange beaucoup de livres d’habitude et qu’en ne se voyant plus ‘in real life’, c’est compliqué. Je crois que depuis qu’on ne se voie plus mon budget librairie a explosé », ironise de son côté Marie.

Même constat pour Elsa. Cette journaliste trentenaire a lancé son propre cercle de lecture il y a trois ans, après qu’une amie l’ait incité à poursuivre celle – de lecture – de L’amie prodigieuse, la saga culte d’Elena Ferrante. Les participantes se retrouvaient chaque semaine dans un café parisien pour propager leurs bonnes ondes, découvrir des coups de coeur, écorner des pages. « Là on est un peu en pause car Covid. On a tenté de le faire en Zoom mais ça accroche moins », détaille-t-elle.

Mais Nolwenn est un peu plus optimiste. A l’heure trente de discussion « joyeuse, bienveillante et parfois enflammée » qui se tenait un mercredi de chaque mois aux Champs Libres, ont succédé des échanges toujours aussi vifs via la plateforme de discussions Jitsi, et sur un groupe de l’application Signal. S’y partagent recommandations, articles, et réflexions. « C’est devenu au fil du temps un endroit où la solidarité et la sororité sont de mise, un soutien bienvenu en cette période compliquée », nous explique cette passionnée.

C’est à dire à quel point les clubs de lecture féministes vont compter dans le monde d’après.

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