INTERVIEW – À l’occasion des dix ans de l’affaire Dupont de Ligonnès en avril 2021, Guy Hugnet, journaliste spécialisé dans les enquêtes criminelles et auteur de L’affaire Dupont de Ligonnès, la secte et l’assassin, (Archipoche) a accepté de se confier sur le sujet lors d’une interview accordée à Femme Actuelle.
- Xavier Dupont de Ligonnès
C’est une des affaires criminelles françaises les plus énigmatiques. Que s’est-il vraiment passé en avril 2011 ? Où est donc passé Xavier Dupont de Ligonnès ? Journaliste spécialisé dans les enquêtes scientifiques et les affaires criminelles, Guy Hugnet s’est intéressé à ce qui est arrivé à la famille Dupont de Ligonnès (et plus particulièrement à la personnalité de ce père qui aurait tué les siens), au point d’en écrire un ouvrage : L’affaire Dupont de Ligonnès, la secte et l’assassin, publié aux éditions Archipoche (7,95 euros) et dont une nouvelle version enrichie, que Femme Actuelle a pu lire, vient de paraître le 18 mars 2021.
Guy Hugnet y développe la thèse de “l’homicide-suicide ‘altruiste’”, qui collerait à la personnalité du disparu. Ainsi, afin de tenter de percer le mystère, l’auteur explore l’enfance de Xavier Dupont de Ligonnès auprès d’une mère papesse autoproclamée d’une Église apocalyptique en lutte obsessionnelle contre Satan, puis la perte de sa foi et sa descente aux Enfers, entre échecs personnels et professionnels… jusqu’à ce terrible drame d’avril 2011 et la disparition de cet homme dans la région de Draguignan. À l’occasion des dix ans de l’affaire, Guy Hugnet accepté de se confier sur son enquête lors d’une interview accordée à Femme Actuelle.
Femme Actuelle : Comment avez-vous enquêté ?
Guy Hugnet : La question essentielle n’était pas de savoir ce qu’il s’était passé, mais de savoir pourquoi cela était arrivé. Pourquoi un type qui aime sa famille en vient à l’exterminer ? Car il n’y a pas de doute sur le fait qu’il aimait ses enfants. Les relations avec sa femme étaient complexes, mais je pense qu’il l’aimait quand même. Comme dans toute affaire criminelle, cela amène à réfléchir aux frontières de l’humanité. Et si l’on ne trouve pas de réponse, c’est à en devenir fou, car cela signifie que n’importe qui peut réaliser ce genre d’acte. J’ai essayé de suivre le cheminement mental de Xavier Dupont de Ligonnès, d’entrer dans sa psychée, de comprendre son enfance dans un milieu apocalyptique… J’ai fait le parallèle avec des histoires d’enfants qui grandissent auprès de parents psychotiques ou qui ont une pathologie psychiatrique de type bipolaire.
Dans votre livre, il est question de la secte à laquelle appartenait sa famille, l’Eglise de Philadelphie. On évoque aussi beaucoup les thèmes du rapport au temps ou aux sacrifices, auxquels s’intéressait Xavier Dupont de Ligonnès…
G.H. : Xavier Dupont de Ligonnès se prenait pour un féru de théologie mais en fait, il n’y connaissait pas grand chose. Il avait une obsession du temps assez gratinée, qui l’a amenée à se faire virer de tous les forums sur lesquels il s’interrogeait à ce sujet. C’était un homme rongé par une dépression mélancolique et très grave, laquelle a rencontré des facteurs extérieurs. Lors de mes recherches sur la thèse de l’homicide-suicide altruiste, que je défends, j’ai été sidéré de retrouver dans les annales psychiatriques des histoires assez similaires, que je cite dans mon livre.
Vous parlez d’homicide-suicide “altruiste”, mais au contraire, tuer sa famille en pensant qu’elle ne peut pas et ne doit pas vous survivre, c’est très égoïste !
G.H. : Bien sûr. Xavier Dupont de Ligonnès a une personnalité de type narcissique. L’idée, c’est que dans son esprit, il rend service aux autres car il est persuadé qu’après sa mort, sa famille sera malheureuse et ne pourra pas s’en sortir. Il est persuadé qu’il va leur épargner un grand malheur. Mais il s’agit effectivement d’un profil très particulier. Il rumine plusieurs mois, voire plusieurs années avant son crime, sans que cela ne soit très clair dans sa tête.
Vous voulez-dire qu’il avait prémédité son meurtre depuis longtemps ?
G.H. : On a les preuves qu’il y a réfléchi avant puisqu’en janvier 2010, soit plus d’un an avant les meurtres, il prévient sa maîtresse qu’il a envie de se foutre en l’air, mais qu’il ne sait pas encore s’il s’agira d’un suicide ou d’un suicide collectif. Ce que tout le monde oublie, c’est que le scénario qu’il écrit-là s’est finalement réalisé !
Ses proches n’ont-ils jamais été alertés par ses appels à l’aide ?
G.H. : A l’époque, il en profite pour demander de l’argent à sa maîtresse, donc on peut penser qu’il s’agit d’une sorte de chantage. Quant à ses amis, Emmanuel et Michel, à qui il avait aussi envoyé ce genre de signaux, je pense qu’ils étaient habitués à le voir dans des galères. Ils ne l’ont pas pris au sérieux.
Sa femme Agnès ne s’est jamais douté de rien ?
G.H. : Agnès était extrêmement perturbée par leur situation, elle en parlait presque tous les jours avec un membre de sa famille, mais de là à imaginer le pire… Je ne crois pas.
« On sait qu’il a acheté des matériaux avant les crimes… Ce n’était pas pour faire du jardinage dans le sud de la France ! »
Dès la première page de votre livre, on oublie la présomption d’innocence : il n’y a aucun doute sur sa culpabilité ?
G.H. : Évidemment, il faut toujours respecter la présomption d’innocence. Sur ma quatrième de couverture, il y a d’ailleurs écrit “assassin présumé”. Mais il y a tellement d’éléments à charge contre Xavier Dupont de Ligonnès dans cette affaire… Le procureur confirme qu’il s’agit bien de l’ADN de sa famille, il y a ces messages envoyés aux proches pour faire croire à un départ, on sait qu’il a acheté des matériaux avant les crimes… Ce n’était pas pour faire du jardinage dans le sud de la France !
Pensez-vous que Xavier Dupont de Ligonnès a pu être aidé par un ou plusieurs complice(s) ?
G.H. : Je ne crois pas. Certes, il y a cet itinéraire surprenant de Michel Rétif dans le Sud, mais cela ne prouve pas grand chose. Je ne dis pas qu’il faut rejeter complètement cette thèse, mais essayez d’imaginer votre réaction si votre meilleur ami, que vous connaissez depuis des décennies, vous appelle un jour pour vous dire : “Ma femme m’emmerde, je n’ai plus d’argent, je vais les tuer, me barrer et tu vas m’aider.” Bon, d’abord, vous essayez de l’en dissuader. Si jamais il passe quand même à l’acte, vous n’allez pas continuer votre vie comme si de rien n’était. À la fin, ce fameux Michel Rétif apprend qu’il a un cancer, décide d’en finir et là encore, il part et ne révèle rien ? Je n’y crois pas trop. On ne parle tout de même pas d’aider un ami qui fait un braquage mais du meurtre d’une femme et de quatre enfants ! Pour ce qui est d’Emmanuel Teneur, il avait, il est vrai, une admiration sans borne pour Xavier Dupont de Ligonnès, comme Michel Rétif d’ailleurs. Mais Emmanuel était aussi le parrain du fils de Xavier, Thomas. Je ne pense pas non plus qu’il ait pu faire cela. Lui aussi est mort, d’ailleurs. Il ne s’est pas remis de tout cela.
Selon vous, quel est le pourcentage de chance qu’il soit encore vivant ?
G.H. : La logique de l’homicide-suicide, c’est que l’homicide précède le suicide. Les gens pensent qu’il est en cavale car ils ne connaissaient qu’un tout petit bout de l’histoire et ils inventent le reste à partir de là. C’est romanesque. Ce n’est pas impossible, mais je trouve les arguments qui penchent en faveur d’une cavale assez faibles. Il faut imaginer ce que c’est que de se balader avec cinq crimes sur le dos, il n’a pas volé un Carambar à l’épicerie du coin ! Je dirais qu’il y a environ 5% de chances qu’il soit encore en vie.
Pourquoi a-t-il mis autant de jours avant de se suicider après ses meurtres ?
G.H. : Xavier Dupont de Ligonnès savait exactement où il allait. Il est persuadé d’avoir commis le crime parfait. Il s’en est d’ailleurs fallu de peu, puisque les corps n’ont été retrouvés qu’à la cinquième visite, à cause de la gamelle des chiens qui dépassait ! Pour moi, son périple dans le Sud est un voyage affectif, il passe par des endroits où il a vécu. Il disparaît à l’intérieur des terres, au milieu de nulle part, pour se foutre en l’air dans une cavité. La chose la plus étonnante, c’est qu’il part de l’hôtel vers 16 heures, alors que les check-outs se font généralement vers midi. Il devait avoir une raison. Il avait mis en place une sorte de rite funéraire quand il a enseveli les siens, en les enterrant avec une vierge, des chapelets, des croix, des statuettes, des médailles. Il a vraisemblablement fait la même chose pour lui. S’il ne se suicide pas sur place, c’est parce qu’il ne veut pas signer ses crimes : s’il le fait, il devient un monstre et sa famille est stigmatisée jusqu’à la fin de la lignée. D’autant plus que le suicide ne colle pas avec la religion. En inventant cette histoire d’agent secret, prélevée dans les bouquins qu’il lisait, il renverse son profil et part en héros. Ou du moins, c’est ce qu’il croit.
Pensez-vous que l’affaire puisse être résolue un jour ?
G.H. : Il faut se souvenir qu’à chaque fois que Xavier Dupont de Ligonnès a voulu mettre en place un projet, ça a foiré : ses histoires d’entreprises n’ont rien donné, les corps des membres de sa famille ont été retrouvés… Il y a toujours un grain de sable. Je pense qu’il est allé se suicider dans un endroit qui représente un fort symbole affectif pour lui, dans une cavité perdue au milieu des terres. Peut-être qu’un jour, un élément va nous orienter vers une nouvelle piste.
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