Marraine de l’Arise Fashion Week, Naomi porte au plus haut les couleurs de la mode africaine et œuvre pour la diversité dans la création. Rencontre au Nigeria avec une supertop qui brille par son engagement.
Décembre 2020. La nuit tombe sur Lagos, mégapole tentaculaire située au sud du Nigeria, en Afrique de l’Ouest. Au bord de la lagune, devant des yachts amarrés pour l’occasion, un gigantesque set est organisé pour accueillir l’édition 2020 de l’Arise Fashion, la plus remarquée des Fashion Weeks se tenant sur le continent africain grâce à l’aura de sa marraine d’exception, la Supermodel Naomi Campbell .
Cette saison, malgré la pandémie qui paralyse une partie du monde, l’événement se tient à la fois en présentiel et en streaming, comme pour conjurer l’annus horribilis .Ce n’est pas un hasard si cette démonstration de la résilience africaine a lieu au Nigeria, géant pétrolier où Marvel situe son Wakanda… Ce pays est la terre des superlatifs. Si le Nord est confronté à des troubles importants et aux exactions du groupe terroriste islamiste Boko Haram, au sud, c’est Dallas : le règne du glamour et du luxe étincelant de très grosses fortunes, nouvelles ou anciennes. Place forte du marché de l’art contemporain et du cinéma – on l’appelle Nollywood -, le Nigeria est aussi le pays du continent où le secteur de la mode est le plus dynamique.
En vidéo, Naomi Campbell : « Je ne veux pas qu’on utilise les créateurs africains comme une tendance »
Mettre en valeur les couturiers africains
Lancée au début des années 2000 par Nduka Obaigbena, influent patron de médias locaux et internationaux – avec lequel Naomi œuvre depuis 2008 à promouvoir les créatifs africains en Europe et aux États-Unis -, Arise met à l’honneur la vitalité de la mode africaine. Mais depuis trois ans, l’événement a pris une ampleur inédite grâce à l’implication de Naomi Campbell, qui convoque toute l’aristocratie mondiale de la mode en Afrique afin de faire rayonner les talents émergents.
«Au début, je participais en tant qu’invitée spéciale, témoigne Miss Campbell. Mais progressivement, j’ai ressenti l’envie et le besoin de m’engager davantage dans cette aventure, que ce soit au niveau de la production ou du casting, mais aussi en invitant des personnes influentes de l’industrie de la mode à Lagos. Le reste du monde a une perception si fausse du continent africain… Il m’importe de faire évoluer les mentalités, d’ouvrir les yeux des gens sur l’incroyable culture, vitalité et créativité de ce continent. Pour cela, les gens doivent venir en Afrique. Je m’y sens chez moi, si fière d’être noire. Je passe une partie de l’année au Nigeria. Tous ceux qui viennent assister à l’Arise Fashion Week adorent l’expérience et l’énergie créative qui s’en dégage. Ce qu’ils découvrent les inspire…»
Lors des précédentes éditions, la reine Naomi avait ouvert en grand son carnet d’adresses et invité de prestigieux noms de la mode, créateurs, journalistes et directeur de rédactions – tels Edward Enninful (directeur des éditions européennes de Vogue )ou le célèbre journaliste américain André Leon Talley – à assister aux défilés du couturier nigérian Mai Atafo, de l’Ivoirienne Loza Maléombho, ou encore de l’Afro-Américain Pyer Moss. Mais cette année, le Covid a tout chamboulé. «Épidémie ou non, je me devais d’être là, il n’était pas question d’annuler cette édition, insiste la Supermodel. Plus que jamais nous devons soutenir les jeunes mannequins et designers africains. Ils ont besoin de visibilité et de reconnaissance internationale. C’est pourquoi nous avons décidé de retransmettre l’événement en simultané partout dans le monde pour toucher une audience encore plus grande.»
Pour éviter que le Covid-19 ne s’invite à la fête, tout a été anticipé : tests quotidiens du staff et des modèles, masques, distanciation, réduction drastique à 50 invités… La formule 2020 a évolué vers un ancrage plus local : 30 designers de moins de 30 ans, pour la plupart nigérians, présentent leurs créations, futurs best-sellers d’Alara (un concept-store arty de Lagos), dont la fondatrice, Reni Folawiyo, est membre du jury aux côtés de l’artiste américain Kehinde Wiley. Les «nouvelles stars» concourent pour remporter le prix final (et 500.000 dollars).
S’engager pour la bonne cause
En front row, Naomi Campbell ne rate aucun des shows. Pendant deux jours, elle observe attentivement les créations vibrantes de couleurs du jeune créateur nigérian VicNate (18 ans), les looks déjantés et arty de COLRS, les pièces upcyclées de la Nigériane Pepper Row et les collections des 27 autres designers. Elle défile même pour MmusoMaxwell, jeune duo sud-africain. «J’aime particulièrement leurs pièces, ils ont une parfaite maîtrise du tailoring. Mais je porte beaucoup de créations de designers africains. Quand je reviens à Paris, à Londres ou à New York, j’adore arborer des pièces de ces jeunes talentueux, encore inconnus en Occident, et contribuer ainsi à leur notoriété.»
Naomi : robe en tulle, Nicolas Lecourt Mansion, t-shirt en coton recyclé, Pangaia. Boucles d’oreilles et bracelets (À gauche) Goossens, collier Aurélie Bidermann, bracelet (À droite) Chloé, escarpins Jimmy Choo. Maquillage Pat McGrath par Angloma.
À gauche. Les filles : robe en coton blanc et robe en polyester recyclé, Ester Manas, sweat en coton recyclé, Pangaia, et robe en mesh, Marine Serre. tongs Kenzo. À droite.
Naomi : manteau en gabardine, Prada, robe en toile, Miu Miu. Boucle d’oreille, Charlotte Chesnais, colliers et bagues personnelles, sac Coperni, escarpins Paco Rabanne.
Alpha : chemise en coton, Miu Miu, jupe en lin, Zimmermann. Chapeau Kenzo, sac porté en tablier, Mansour Martin, sac rose Corto Moltedo.
Naomi : robe en mousseline de soie brodée de plumes, Saint Laurent par Anthony Vaccarello. Boucles d’oreilles, Charlotte Chesnais.
À la question : existe-t-il une mode africaine ? Naomi répond aussitôt : «Je n’envisage pas les choses sous ce prisme. Il se trouve que ces designers viennent d’Afrique, voilà tout. Pourquoi les ségréguer ou projeter des interprétations stéréotypées sur leurs créations ? Ce sont des créateurs de mode, point final. Tout comme les autres, ils devraient être adoubés dans les principales capitales de mode du monde. Si je peux être utile pour faire bouger les lignes, cela vaut le coup que je m’investisse comme je le fais avec tous ces jeunes designers du continent africain. Je suis ici pour qu’ils soient inclus dans la conversation, qu’ils puissent être vus et reconnus pour leur travail, qu’on leur donne les mêmes opportunités de s’exprimer que des créateurs occidentaux.
L’Afrique n’est pas juste une “tendance”, je m’y intéresse, je m’y engage et j’y voyage depuis 1993, date à laquelle ma route a croisé celle de Nelson Mandela, une rencontre déterminante. C’est lui qui m’a encouragée à utiliser ma notoriété pour la bonne cause. Le continent africain souffre encore de discrimination et d’exclusion, même si la situation évolue. J’essaie, à ma modeste mesure, d’y œuvrer. L’éducation reste un levier essentiel. Avec Gucci, j’ai notamment contribué à faire entrer l’Afrique, avec trois collèges, dans leur programme de bourses attribuées à des jeunes afin qu’ils puissent étudier à l’étranger. Je veux être dans l’action.»
Encourager la diversité
Très tôt dans sa carrière, Naomi Campbell s’est engagée pour lutter contre les inégalités et le racisme à l’œuvre dans le milieu de la mode, rejoignant notamment en 1989 la Black Girls Coalition, puis cofondant en 2013 l’association Diversity Coalition avec ses consœurs Iman et Bethann Hardison. «J’ai été élevée dans l’idée que nous étions tous égaux. Je ne pouvais pas me taire, on a pourtant essayé de contrecarrer mes projets, mais rien ni personne ne m’a jamais arrêtée. Je ne cherche pas à convaincre les ignorants, je cherche à être moi-même et faire ce que j’ai à faire. Le monde de la mode évolue vers plus de diversité, mais il y a encore beaucoup de travail à accomplir pour l’équité. Cette Fashion Week au Nigeria représente aussi un moyen de révéler la beauté des mannequins et le talent des designers et créatifs africains. L’énergie de ces jeunes me pousse à leur tendre la main.»
Naomi Campbell parvient en tout cas à faire de cette Fashion Week un événement reconnu. Cette saison, à défaut de n’avoir pu faire le voyage, Anna Wintour, la grande papesse de la mode – rédactrice en chef du Vogue US et responsable du contenu Monde de Condé Nast -, a adressé un message d’encouragement aux 30 futures stars de la mode. Après deux jours intenses, c’est le Nigérian Kenneth Ize, déjà lauréat du LVMH Prize 2019, qui remporte le prix du Fashion Arise. Le jeune trentenaire d’origine nigériane – qui a grandi en Autriche – est célébré pour sa mode mixant somptueusement le savoir-faire artisanal nigérian et la mode occidentale. «Il est brillant, s’enthousiasme Naomi Campbell. Voir des créateurs africains comme lui ou Thebe Magugu être célébrés dans le monde me rend heureuse et optimiste. Après trente-cinq ans de carrière, je reste toujours impressionnée par la mode, et surtout par cette jeune garde de créateurs africains qui émerge sur la scène internationale. C’est très inspirant et rafraîchissant dans le contexte actuel.»
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