Entre pandémie et explosion au port de Beyrouth, leur film fait figure de rescapé : un couple de réalisateurs libanais a ouvert lundi 1er mars la compétition du festival de cinéma de Berlin, qui se tient en ligne en raison de la pandémie.
Memory Box, de Joana Hadjithomas et Khalil Joreige, premier des 15 longs-métrages en lice pour l’Ours d’Or de la Berlinale, est une plongée, façon puzzle, dans la mémoire d’une famille de la diaspora libanaise installée à Montréal (Canada). Le troisième film de ce couple de réalisateurs et artistes contemporains exposés dans le monde entier (Tate Modern de Londres, Centre Pompidou à Paris, MoMa à New York…), qui ont reçu en 2017 le prix Marcel Duchamp, aurait bien pu ne pas voir le jour.
Le tournage s’est terminé juste avant l’explosion du 4 août 2020 sur le port de Beyrouth, qui a fait plus de 200 morts et 6 500 blessés, et détruit sous leurs yeux des quartiers de la capitale libanaise. L’appartement, la société de production et une bonne partie des oeuvres du couple, stockées près du port, se sont volatilisés également ce jour-là. Le film, sur la mémoire et l’oubli, « fait un écho incroyable au présent », explique Khalid Joreige à l’AFP.
La catastrophe du 4 août donne un nouveau poids au film
Le temps de retrouver ses esprits, le couple s’est ensuite demandé s’il fallait conserver la fin du film, et une scène-clé de retrouvailles familiales, justement au port de Beyrouth, baigné de lumière. Mais la catastrophe donne finalement un nouveau poids au film, ce qui est « à la fois troublant et attristant », poursuit Joana Hadjithomas, qui veut croire que, « après les catastrophes, il y aura des régénérations ».
Dans ce film, blessures et secrets intimes vont ressurgir lorsque la petite-fille de la famille, Alex, ouvre un volumineux colis de papier kraft expédié de Beyrouth. A l’intérieur, cahiers, cassettes et photos témoignent d’une vie d’avant dont on lui a si peu parlé : ces années de guerre civile, à Beyrouth, vécues par sa mère Maia, avant l’exil.
Ce passé figé sur pellicule argentique, que Maia veut oublier, sa fille Alex, smartphone à la main, va l’exhumer. Et faire ressurgir les secrets de famille.
Un aller-retour sans pathos entre les époques
« Tout a commencé quand j’ai retrouvé des cahiers que j’avais écrits pendant six ans dans les années 1980 à ma meilleure amie partie vivre à Paris », raconte Joana Hadjithomas. Ces souvenirs sont « tricotés » avec des milliers de photographies prises par son compagnon Khalid Joreige à la même époque au Liban, pour raconter l’histoire – inventée – du film.
Le résultat, aller-retour sans pathos entre les époques, est un mélange riche et inventif de scènes de cinéma, de montages plus ou moins artisanaux, et de madeleines de Proust des années 1980 : pantalons « pattes d’eph » et tubes de Blondie.
« Au Liban, on a le sentiment de ne pas partager une histoire commune », déplore la coréalisatrice. « On a aussi fait ce film dans l’idée de transmettre ce passé à notre propre fille », installée à Londres.
Quant à la pandémie, elle a empêché la tenue physique de la Berlinale, premier grand festival européen de cinéma de l’année, qui se tient en ligne jusqu’à vendredi, comme l’a déjà fait aux Etats-Unis le festival de Sundance.
Le couple parle de son film, premier long-métrage libanais sélectionné depuis 40 ans, en vidéoconférence depuis sa salle à manger parisienne. « Evidemment, il y a une très grande frustration », convient Joana Hadjithomas, d’autant que ni les acteurs, ni l’équipe n’ont pu voir le film. Mais « d’une certaine façon, le Covid a aidé le film. On a pu travailler plus longtemps, on a eu du recul. Le temps, parfois, vous fait revisiter les choses, et les voir différemment ».
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